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LA CULTURE DU FOOTBALL

Le football canadien a besoin de Colin Kaepernick

Les Alouettes devraient mettre les bouchées doubles pour l'embaucher.
Colin Kaepernick (au centre), avec Eli Harold (à gauche) et Eric Reid (à droite). (Photo : John G. Mabanglo/EPA)

Les Alouettes de Montréal ont invité VICE à passer la saison 2018 au sein de l’équipe. Notre dossier spécial sur la culture du football est disponible ici.

Avant le premier match préparatoire de la saison 2018, l’entraîneur-chef des Argos de Toronto, Marc Trestman, a tenu à expliquer en détails à ses joueurs comment se tenir pendant l’hymne national, il leur a notamment montré comment s’aligner et comment tenir leur casque correctement.

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« C'est un détail, mais surtout une question de respect, a expliqué Trestman. Pour un joueur américain à qui on donne le droit de venir gagner sa vie ici, ça devrait être une raison suffisante. » Trestman n’en était pas à sa première répétition de cérémonie d’avant-match. La saison dernière – sa première à la barre des Argos – il avait déjà donné à ses joueurs une leçon de tenue pendant l’hymne et il était réputé pour l’exercice lorsqu’il a commencé sa carrière dans la LCF avec les Alouettes il y a 10 ans.

Mais cette année, avec la récente attention que Donald Trump et les propriétaires de la NFL portent aux comportements des joueurs de football, la décision de Trestman de montrer à ses joueurs comment se tenir pendant l’hymne prend une dimension lourde de sens.

Alors que Trestman agitait le drapeau canadien à Toronto, Johnny Manziel poursuivait sa campagne de rédemption avec les Tiger-Cats de Hamilton. Comme Kaepernick, il a été absent des terrains de football au cours des deux dernières saisons. L’ancien joueur étoile du circuit universitaire américain a été laissé pour compte par les Browns de Cleveland et les 31 autres équipes de la NFL avant de se joindre à Hamilton. La raison de son absence? Il a été accusé par son ex-copine Colleen Crowley de l’avoir battue si violemment qu’elle a perdu l'ouïe à une oreille pendant plusieurs mois. En échange d’un abandon de poursuite criminelle en lien avec les allégations de Crowley, Manziel a dû suivre une thérapie et des cours de gestion de la colère. Dans une entrevue publiée dans le New York Post en mars dernier, l’ex petite amie racontait qu’elle se comptait « chanceuse d’avoir survécu » à l’incident. «Je me suis battue pour ma vie, ce soir-là. »

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Kaepernick n’a pas été boudé par la NFL pour un manque de sérieux et une moralité douteuse. Il a été boudé parce que les équipes de la NFL refusent d’accepter qu’un joueur soit aussi un citoyen à part entière.

Deux joueurs ont subi le même sort au sein de la NFL : d’un côté Johnny Manziel, de l’autre, Colin Kaepernick. La différence majeure, c’est que Kaepernick n’a pas été boudé par la NFL pour un manque de sérieux et une moralité douteuse. Kaepernick a été exclu parce qu’il s’est agenouillé pendant l’hymne national pour manifester contre l’épidémie de violences policières contre les Noirs aux États-Unis. Il a été boudé parce que les équipes de la NFL refusent d’accepter qu’un joueur soit aussi un citoyen à part entière. À cet égard, Trestman n’a pas de leçon de politique à donner à Kaepernick.

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Ces deux sujets illustrent à quel point la culture du football canadien semble prête à adopter certains des pires traits de la NFL. Avec Trestman, le patriotisme ostentatoire et autoritaire qui terrorise la NFL trouve sa manifestation canadienne. Et l’exemple de Manziel prouve à quel point la culture sportive peut se laisser charmer par la notion de rédemption, peu importe les bassesses que ses héros cherchent à faire oublier.

Comme le souligne The Shadow League, la NFL s’est pliée en quatre pour appuyer le retour de Manziel dans le football professionnel, jusqu’à son embauche par les Tiger-Cats. Elle n’a pas estimé nécessaire de faire le même effort pour Colin Kaepernick. Elle a même pris la direction opposée : son ancien coéquipier, Eric Reid, subit désormais le même sort que Kaepernick après s’être agenouillé pendant l’hymne. « Avec le soutien des médias et de la NFL, Manziel rejoindra probablement la longue liste de quarts-arrière médiocres de race blanche qui ont déniché un poste de partant ou de remplaçant dans la NFL avant Colin Kaepernick. […] Les propriétaires d’équipes de la NFL sont clairement unis dans leur désir d’éliminer de la ligue l’influence et le militantisme de Kaepernick, peu importe le prix à payer. »

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Son embauche viendrait apporter un contrepoids de plus en plus nécessaire aux instincts réactionnaires qui planent sur le football.

C’est la raison pour laquelle le football canadien a besoin de Kaepernick. Les droits de l’ex-quart-arrière des 49ers de San Francisco appartiennent aux Alouettes. Pour Montréal, Kaepernick représente un excellent choix pour ses talents de joueur, mais surtout, son embauche viendrait apporter un contrepoids de plus en plus nécessaire aux instincts réactionnaires qui planent sur le sport.

Comme les défunts Royals de Montréal l’ont fait en accueillant Jackie Robinson à une époque où le baseball professionnel aux États-Unis n’admettait pas les joueurs noirs, les Alouettes devraient mettre les bouchées doubles pour embaucher Kaepernick. L’idée n’est pas de rétablir son image – elle n’en a pas besoin –, mais de corriger une aberration, celle qui fait en sorte qu’un homme accusé de violence conjugale est plus acceptable que celui qui se révolte contre le racisme.

Il y aura un problème dans le football professionnel tant et aussi longtemps que Johnny Manziel en fait partie et que Colin Kaepernick en est exclu.