La saison ou Mboma s'est retrouvé prisonnier des Kadhafi
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La saison ou Mboma s'est retrouvé prisonnier des Kadhafi

Patrick Mboma a évolué en France, au Japon, en Angleterre, en Italie, mais aussi en Libye. Quinze ans plus tard, il revient sur cette expérience traumatisante, marquée par l'emprise qu'exerçait Saadi Kadhafi, un des fils du "Guide", sur le foot local.

VICE Sports : Au début des années 2000, vous étiez considéré comme un des meilleurs joueurs africains. Quelle bonne raison aviez-vous vous pour aller vous enterrer en Libye, un pays peu côté niveau football et surtout réputé peu fréquentable ?
Patrick Mboma : J'avais eu des expériences en France (Paris SG, Metz, Châteauroux), au Japon (Gamba Osaka), en Italie (Cagliari, Parme) et en Angleterre (Sunderland), gagné des titres avec la sélection nationale camerounaise (Coupes d'Afrique des Nations 2000 et 2002 et d'une médaille d'or aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000). Quelques semaines après la Coupe du Monde, je reçois un appel d'un des nombreux collaborateurs de Saadi Kadhafi. Cette personne m'affirme que son patron veut que je vienne jouer à Al-Ittihad Tripoli, où il évolue lui-même depuis 2001. Il faut savoir qu'à l'époque, Saadi, le fils du Colonel Muammar Kadhafi alors à la tête du régime, ambitionnait de devenir joueur de footballeur professionnel. Et il voulait aussi se faire remarquer sur la scène internationale, car il voulait être candidat à la présidence de la Confédération Africaine de Football (CAF).

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Il n'était pas uniquement animé d'ambitions sportives…
Les Kadhafi cherchaient un moyen de réhabiliter l'image exécrable du pays. Pourquoi pas par le sport? Personnellement, je connaissais un peu la Libye. J'avais joué là-bas avec la sélection nationale deux ans plus tôt en qualifications pour la Coupe du Monde 2002(victoire du Cameroun 3 à 0 grâce à un triplé de Mboma) Je n'en avais pas gardé un fantastique souvenir. Je me souviens surtout d'un public hostile et d'une grosse pièce de voiture, un disque de frein je crois, lancé du haut des tribunes et que j'avais failli recevoir sur la tête en rentrant aux vestiaires. Alors, comme je n'étais pas intéressé et quand il m'a demandé quel salaire je voulais, j'ai balancé un chiffre énorme, l'équivalent de trois fois ce que je gagnais à Parme. Histoire de ne plus en entendre parler.

Mais il a accepté…
A ma grande surprise ! Je n'en revenais pas. Quelques jours plus tard, l'intermédiaire m'a rappelé. Il m'a dit que Saadi Kadhafi était d'accord, et qu'il voulait que je passe quelques jours à Tripoli pour me faire une idée. A l'époque, il ne me restait qu'un an de contrat à Parme. Les Libyens m'en proposaient deux. Je leur ai précisé aussi que ma femme était née à Haïfa en Israël, on m'a répondu que cela ne posait aucun problème .

Quel accueil aviez-vous reçu pour cette visite guidée ?
Très bon. Je m'étais déplacé avec ma femme. On nous fait découvrir Tripoli, puis une somptueuse villa de la banlieue d'où les précédents propriétaires avaient été délogés pour nous laisser la place, ce que j'ai appris plus tard. J'ai fini par accepter leur offre. Et je me suis fait avoir.

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Rapidement ?
Oui. Avec mon agent, on avait pourtant pris le soin de bétonner mon contrat. Comme prévu, j'ai touché une prime à la signature. Mais ça s'est très vite dégradé. Les semaines et les mois passaient et je ne touchais toujours rien. Au début, j'ai pensé qu'il s'agit simplement d'un problème de trésorerie. Je me concentrais sur les matches de l'équipe, sur le challenge sportif. J'étais surtout venu pour disputer la Ligue des Champions africaine.

Le championnat n'était pas intéressant à disputer ?
J'ai vite compris qu'il était joué d'avance. Saadi Kadhafi officiait à la fois comme joueur, comme président du club et comme Président de la fédération. Il faisait ce qu'il voulait. Par exemple, il avait pris Ben Johnson comme préparateur physique personnel, ce qui ne lui a jamais permis de passer sous la barre des 14 secondes aux 100 mètres. Pendant les matchs ou même les entraînements, les joueurs libyens évitaient de le faire tomber, de peur des représailles. Il traitait mal les gens. Il les humiliait. Un jour, il avait dit à un joueur qu'il l'aiderait à faire soigner sa mère malade. Mais comme celui-ci l'avait empêché de marquer un but, il n'avait pas tenu parole. Saadi était capable de faire taire un stade d'un seul geste. Il voulait tout le temps qu'on lui passe le ballon. Pourtant, il n'avait vraiment pas un grand niveau, loin de là. Et les gens, en Libye, s'abstenaient de faire des réflexions sur le pouvoir. Il y avait des indics partout. Je me suis demandé à un moment si mon téléphone portable n'était pas sur écoute.

La situation est-elle devenue vite inquiétante ?
Au sein du club, mon salaire générait des jalousies, même si je n'étais pas payé. Et comme parallèlement les règles de la finance internationale interdisent le rapatriement en Libye de capitaux extérieurs au pays, je ne pouvais pas faire venir d'argent de France. Je me suis donc vite retrouvé avec peu d'argent, en étant parfois obligé de faire attention parfois à la nourriture pour moi et ma famille.

Êtes-vous allé vous plaindre ?
J'ai essayé. Mais on m'a fait comprendre à demi-mot qu'il fallait que je me tienne tranquille. J'ai aussi entendu les premières réflexions sur les origines juives de ma femme. Malgré les promesses à la signature du contrat, c'était clairement devenu un problème. J'ai voulu quitter le pays. Mais je ne pouvais pas. Même quand je devais rejoindre la sélection camerounaise, il fallait que j'obtienne une permission et un visa.

Comment avez-vous fait pour partir ?
Les autorités m'avaient pris mon passeport. Finalement, j'ai réussi à faire partir ma femme et mes enfants. Puis j'ai pu à mon tour prétexter un voyage pour les fêtes de fin d'année, en décembre 2002. Ce n'est qu'à l'escale en Italie que j'ai compris que j'étais en sécurité. Car les Kadhafi avaient tous les pouvoirs. Y compris d'arrêter un avion pour faire revenir celui qu'ils considèrent comme un fugitif. Cette expérience a été vraiment traumatisante, car j'ai eu peur. Avec ma famille, on évite d'en parler…