FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Les Bronzés sont les pionniers de l’âge d’or du hand français

Si les "Barjots" champions du monde sont restés dans les mémoires du handball français, leurs prédécesseurs "Bronzés" des JO de Barcelone 1992 leur ont ouvert la voie. Et ils étaient déjà de sacrés dingues.

Tous les jeudis, VICE Sports revient sur un événement dans l'Histoire du sport qui s'est déroulé à la même période de l'année. C'est Throwback Thursday, ou #TT pour vous les jeunes qui nous lisez.

Labélisés "Bronzés", mais aussi décomplexés, timbrés, imprévisibles, musclés, fêtards, cogneurs, solidaires, excessifs, roublards, atypiques et surtout barjots avant l'heure. Si la langue française l'autorisait, nous n'utiliserions que des superlatifs pour parler de la promotion 1992 de l'équipe de France de handball. Car cette année-là, en plein été, seize hommes vont donner au handball français, jusqu'alors moribond, la première impulsion vers des sommets aujourd'hui atteints. À Barcelone, ville hôte des Jeux de 1992, les Philippe Gardent, Denis Lathoud, Jackson Richardson, Frédéric Volle et consorts, guidés par le sélectionneur Daniel Costantini, vont offrir une première distinction internationale au handball tricolore, avec une belle médaille de bronze.

Publicité

L'histoire du sport a quelque peu déformé la réalité : le curseur indique généralement la naissance de la France du handball lors du titre mondial des "Barjots" en 1995. Ceux-là ont particulièrement marqué le public et les médias, car ils attiraient la lumière. « Des mecs capables de se raser la tête ou de se colorer les cheveux, de faire n'importe quoi et qui ont fait n'importe quoi », selon François-Xavier Houlet, ex-international désormais consultant sur BeIn Sports. Mais ce serait faire un trait grossier sur la genèse de cet exploit, la plupart des champions du monde 95 ayant déjà pris part à l'aventure barcelonaise. Les JO de 1992 sont le premier gros coup des Bleus et un tel parcours était tout sauf attendu. « Espérer remporter une médaille olympique avec le hand, à cette époque-là, c'était être surréaliste ou inconscient. Personne n'y pensait à part l'équipe qui y est allée », se remémore celui qui compte 64 sélections entre 1993 et 2004.

Si on remet les choses dans leur contexte, peu de bookmakers auraient mis plus de dix francs sur les handballeurs français, surgis de nulle part à la vitesse de l'éclair. Quelques années plus tôt, la France est une nation qui ne pèse presque rien sur l'échiquier du handball. En 1986, elle remporte le Mondial C (troisième division des compétitions internationales, antichambre de l'élite mondiale mise en place de 1977 à 1992, ndlr), ce qui en faisait la 50ème sélection internationale. La préhistoire du hand français. En 1987 et 1989, l'équipe se fait les griffes au Mondial B et accède au Mondial A de 1990. Puis, les Bleus se qualifient au forceps pour leurs premiers Jeux olympiques, dans l'anonymat complet, sur un match disputé à 2 heures du mat' en Tchécoslovaquie. Si ça ne ressemble pas à une promenade de santé ? « Aller aux Jeux ressemblait à une finalité pour beaucoup d'observateurs, finir dernier aurait été normal, surtout avec une poule aussi relevée », rappelle François-Xavier Houlet, qui n'était alors encore qu'un espoir de son sport et suivait tout ça de chez lui.

Publicité

27 juillet 1992, Palais des Sports de Granollers. Les Espagnols, grands favoris pour le titre, entament leurs Jeux contre les petits Francés. Une apparente formalité. Sauf que quelque chose a changé dans les têtes des hommes du capitaine Philippe Gardent. Un déclic s'est fait durant la préparation, où tout a été mis à plat, les joueurs laissant leurs complexes à Paris. « Au début du match, alors qu'on les regardait de haut, c'est Laurent Munier qui se met en face d'un joueur espagnol et qui lui passe la main sous la gorge, l'air de dire : ‟Toi, tu passes en face de moi, je t'égorge". » Le ton est donné, les Bleus explosent physiquement les Ibères - « sur le terrain c'était une vraie boucherie » - remportent le match 18 à 16 et lancent idéalement leur tournoi. La planète handball ne les avait pas vus venir. Deux jours plus tard, ils concèdent une défaite d'un petit but à l'Équipe unifiée, sélection des joueurs d'une URSS fraîchement démantelée. Les Français seront d'ailleurs les seuls à tenir tête à la bande d'Andreï Lavrov et Talant Dujshebaev, médaillée d'or deux semaines plus tard.

Ce que peu avaient réalisé, c'est que le handball français avait entamé sa mue il y a sept ans de ça, vous savez, lorsque la France était tout au fond du trou. En 1985, après la relégation en Mondial C, on applique la politique de la terre brûlée. Un nouveau sélectionneur est placé à la tête de l'équipe nationale : Daniel Costantini. En plus de son accent chantant, le Marseillais apporte des méthodes nouvelles pour faire passer le hand français de l'amateurisme à quelque chose qui ressemble à du professionnalisme : beaucoup d'entraînements, un travail inédit de renforcement musculaire, des matches contre les plus grandes nations. Lancé en sélection lui-aussi par l'emblématique coach, François-Xavier Houlet souligne que « le travail de Costantini a été énorme, autant sur le terrain qu'en dehors, pour imposer le handball auprès des institutions, pour qu'elles lui donnent les moyens de progresser ».

Publicité

Petit à petit, le sorcier Costantini a modelé un effectif qui est un savant mélange entre deux générations. Celle de Philippe Gardent et Pascal Mahé a déjà roulé sa bosse en sélection et a accumulé la frustration des contre-performances. « Ils ont toujours pris des gros cartons contre les grandes nations tout en ayant déjà certains moyens et qualités », résume François-Xavier Houlet. La nouvelle vague est elle incarnée par les Frédéric Volle, Denis Lathoud, Laurent Munier ou encore Éric Quintin, natifs des années 1966-67. On les considère alors comme la génération dorée, censée propulser le hand français dans une autre dimension. « Elle n'a pourtant pas connu de grands résultats chez les jeunes, parce qu'ils étaient un peu lunatiques, ils pouvaient disjoncter à tout moment ». Quel lien unit donc ces types ? « Ce sont de gros caractères, parfois difficilement gérables en dehors du terrain, mais qui n'avaient peur de rien ». Et la folle envie de rendre les vestes qu'ils ont prises pendant des lustres.

Le SAV a visiblement été efficace puisque les Français valideront leur ticket pour le carré final, après un sans-faute contre l'Allemagne, la Roumanie et l'Egypte. Deuxième de son groupe, l'équipe de France affronte en demi-finale la Suède, grande référence handballistique de la décennie. Pourtant, les plus blonds sur le parquet du Palau Sant Jordi ne sont pourtant pas les Scandinaves. Les Français se pointent sur le terrain avec des tignasses blondes peroxydées. Une première frasque et un sens du happening qui deviendront la signature de ces Bleus : une manière de montrer aux caméras branchées en mondovision l'unité du groupe et leur côté cramé. Contre Per Carlén et ses potes, cela ne suffira pas. Mais ce qu'on retiendra c'est que, menés 14 à 20, les Français vont revenir à un but des Suédois dans les dernières minutes, avant de s'incliner finalement 22 à 25. La France, elle, s'est trouvée une équipe de handball qui lui ressemble : orgueilleuse, vaillante et rebelle.

Publicité

Des valeurs qui animent le groupe, du terrain jusqu'aux chambres d'hôtel, en passant par les vestiaires et les boîtes de nuit. Le groupe ne trouve son équilibre qu'en autogestion. Aller boire des verres après un match, fumer quelques clopes, chambrer à tout-va et surtout foutre le boxon après une victoire (comme à Atlanta en 1996 où ils se retrouvent à poil, avec une chaussette sur le sexe, à parader dans le village olympique, avant d'être escortés jusqu'à leur chambre par les flics, ndlr). Ils ne s'interdisent rien et Daniel Costantini fait semblant de ne rien voir. « Moi ça ne me dérange pas, à partir du moment où barjots, ils le sont partout sauf sur le terrain, et qu'à l'entraînement, quand je leur dis de monter les genoux, ils les montent », disait le coach dans un entretien à L'Équipe, comme s'il avait passé un pacte avec ses drôles de loustics. Surtout qu'au final, il bénéficie de cette émulation positive, qui se traduit sur le parquet.

Mais le miracle ne s'opère pas sur la seule base d'un changement d'état d'esprit. Ce serait trop simple et puis on n'est pas dans Rasta Rockett. La France débarque en Catalogne avec de vraies propositions stratégiques. « Au-delà du côté barjot, tactiquement et techniquement, il y avait quand même des nouveautés, qui ont surpris la plupart des équipes rencontrées », assure François-Xavier Houlet. Le jeu français est d'abord révolutionnaire par son système défensif : Jackson Richardson est positionné en électron-libre avec pour mission de voler le maximum de ballons et de perturber les attaques adverses. Derrière lui, une défense à plat, compacte et organisée autour du roc Pascal Mahé qui compense les acrobaties du Jack. En attaque, Costantini a supprimé le poste traditionnel du meneur de jeu. « En préparation, il y a la découverte de Denis Lathoud comme arrière gauche. Du coup, l'artilleur Fred Volle va être décalé au poste de demi-centre et on se retrouve avec trois véritables arrières capables de tirer et de percuter », analyse le demi-centre organisateur qu'était François-Xavier Houlet.

Une formule qui a fait merveille contre l'Islande, dans le match pour la troisième place, puisque les Bleus vont disposer assez facilement de l'autre surprise du tournoi sur le score de 24-20. La médaille de bronze vient concrétiser un rêve et des ambitions qui ne feront que grandir d'année en année. L'hiver suivant, les "Bronzés" décrochent une belle médaille d'argent au Mondial en Suède, avant de changer de costume et de prendre le nom de "Barjots". Si cette génération s'autodétruira aux JO d'Atlanta en 1996, « elle aura quand même permis à la France de gagner en considération, que ça soit par les adversaires, les arbitres, les institutions et même le public, souligne François-Xavier Houlet. Et ça change tout ! » Effectivement, la France ne serait sûrement pas devenue aussi rapidement double championne olympique, quintuple championne du monde et triple championne d'Europe sans 1992. La fusée bleue était lancée, avec comme carburant des valeurs et une identité de jeu puisée lors de cette épopée barcelonaise. Vingt-quatre ans après, les pilotes Thierry Omeyer, Nikola Karabatic et Daniel Narcisse respectent toujours la tradition, avec quelques titres en plus dans la soute. Et encore tellement de trophées à conquérir.