Football Afrique
Des enfants jouent au football à Dakar, Sénégal. (Photo de Maja Hitij - FIFA/FIFA via Getty Images)
Sports

En Afrique, le trafic de jeunes footballeurs est un éternel fléau

Des faux agents, des promesses d’essais dans les meilleurs clubs européens puis un départ à l'étranger dont certains ne reviennent jamais.

Chaque année, plus de 6 000 jeunes footballeurs africains arrivent en Europe avec l’espoir de décrocher un contrat et de démarrer une carrière professionnelle.

Ces chiffres, publiés par l’organisation caritative Foot Solidaire, ne représentent pourtant que la partie émergée de l’iceberg. Ils ne tiennent en effet pas compte des jeunes qui se rendent dans d’autres continents avec le même but en tête.

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Talentueux et ambitieux, ces garçons (souvent âgés de 14 à 21 ans) n’ont généralement pas conscience des risques que comporte leur aventure. Pour beaucoup d’entre eux, le rêve de devenir le prochain Samuel Eto'o ou Didier Drogba tourne vite au cauchemar.

L’ensemble des autorités africaines rejette la responsabilité de ce trafic sur de faux agents qui profiteraient de la vulnérabilité des joueurs. Ces acteurs de l’ombre font souvent partie d’un vaste réseau d’individus peu recommandables qui gravitent dans la sphère du football. Dépourvus de toute licence valable, ils apparaissent néanmoins authentiques.

Aux familles et tuteurs des aspirants footballeurs, ils vendent des histoires de réussite merveilleuse. Malgré leur sens critique, ces gens finissent par être éblouis, comme Cheikhou Ndiaye de Dakar, au Sénégal, dont le jeune fils a été attiré au Portugal et n’est toujours pas revenu.

« J’ai reçu un appel d’une personne qui voulait me voir à propos de mon fils, Bouba », raconte Ndiaye à VICE. « L’homme au bout du fil m’a dit qu’il avait observé mon garçon, qu’il était très doué et promis à un avenir brillant. J’ai accepté et il est venu chez moi accompagné d’un autre type. Ils avaient tous les deux la trentaine et l’air élégants. Ils étaient sénégalais, mais prétendaient vivre en Europe ».

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« Ils sont allés à l’ambassade avec mon fils et sont revenus avec un visa sur son passeport. J’ai été choqué et impressionné par la rapidité de l’opération. » - Cheikhou Ndiaye

Les hommes ont montré à Ndiaye, sa femme et son frère des preuves irréfutables du succès potentiel de leur fils — des papiers, des cartes d’identité, des photos et des vidéos de jeunes joueurs africains déjà basés en Europe.

« Après deux autres rencontres, ils m’ont fait payer 2,8 millions de francs CFA (plus de 5 000 euros), que j’ai pu réunir en vendant mon unique parcelle de terrain », raconte Ndiaye. « Ils sont allés à l’ambassade avec mon fils et sont revenus avec un visa sur son passeport. J’ai été choqué et impressionné par la rapidité de l’opération. Il n’est pas facile d’obtenir un visa européen au Sénégal. »

« Ils sont ensuite partis pour le Portugal. Au bout d’un mois, mon fils m’a appelé pour se plaindre qu’il n’avait toujours pas eu d’essai avec un club et qu’il vivait avec un vieil homme dans une petite maison. Il m’a aussi raconté que ses agents lui avaient remis des papiers et avaient disparu trois jours après son arrivée. C’était en 2019. Depuis, nous n’avons plus de nouvelles de notre fils. Nous ne savons pas s’il est encore en vie. Nous prions tous les jours. »

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Selon l’Association de Football du Sénégal, des centaines de cas similaires se produisent chaque année dans le pays. L’instance affirme s’inquiéter de plus en plus de la sécurité de ces jeunes victimes.

Certains, comme Bouba, le fils de Ndiaye, finissent par perdre tout contact avec leurs familles, ce qui soulève des questions quant à leur survie. D’autres retournent finalement dans leur pays pour recommencer à zéro, comme Seydou Kabore du Burkina Faso, qui a été parrainé par sa famille pour aller à Marseille par l’intermédiaire d’un autre agent de l’ombre.

« Nous avons donné 2,5 millions de francs (5 000 euros) à l’agent. Il m’a obtenu un visa de six mois, mais n’a pas voyagé avec moi », raconte-t-il à VICE. « J’avais 18 ans à l’époque. Quand je suis arrivé à Marseille, un jeune homme blanc m’a emmené dans une grande maison où j’ai rencontré d’autres jeunes Noirs aspirants footballeurs. Certains venaient d’Afrique centrale, d’autres d’Afrique de l’Ouest et de l’Est. Ils m’ont tous dit avoir payé beaucoup d’argent, comme moi. »

Les jeunes hommes ne recevaient à manger qu’une fois par jour. La police française, qui a fait deux descentes dans la maison, a emmené ceux qui n’avaient pas de visa valide ; Kabore a entendu dire qu’ils avaient finalement été expulsés. Un mois plus tard, alors que les essais promis ne s’étaient toujours pas concrétisés, il a appelé le numéro de téléphone figurant sur la lettre d’invitation de son agent.

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« Le club m’a demandé de leur donner le numéro de référence inscrit en haut de la lettre et lorsque je l’ai fait, ils m’ont dit que la lettre ne venait pas d’eux », explique-t-il. « À deux semaines de l’expiration de mon visa, j’ai décidé de rentrer dans mon pays. Ça a été une expérience déchirante qui m’a obligé à abandonner mon rêve de football. J’ai 25 ans maintenant, et je suis sans emploi. Ce que j’ai fini par comprendre, c’est que nous avons été aussi naïfs que nos familles. »

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DES MIGRANTS ET DES RÉFUGIÉS MANIFESTENT DEVANT LE B TIMENT DE L’UNHRC EN TUNISIE POUR RÉCLAMER DE MEILLEURES CONDITIONS DE VIE ET DES DROITS D’HÉBERGEMENT EN EUROPE. PHOTO : TASSNIM NASRI/ANADOLU AGENCY VIA GETTY IMAGES

Les observateurs et les experts ne cessent de reprocher aux associations de football africaines de ne pas en faire assez pour éduquer et protéger les jeunes. Ils affirment en outre que les parents et les tuteurs devraient faire leurs devoirs avant de laisser leurs proches s’enfuir avec des agents véreux. Malheureusement, ce n’est pas toujours aussi simple.

Bassirou Sakho, agent FIFA enregistré auprès de la Fédération anglaise de football et cofondateur de l’agence Playmaker Sport, exhorte les fédérations africaines à publier le nom des agents accrédités sur leurs sites web respectifs afin de faciliter la vérification.

« Ce que je voudrais surtout dire aux parents, c’est de ne jamais donner d’argent à un agent. Les agents sont payés lorsque le joueur signe un contrat, jamais avant. » - Bassirou Sakho

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« La plupart des parents de ces jeunes garçons sont analphabètes. C’est difficile pour eux de faire les recherches nécessaires. Si les noms des agents affiliés sont disponibles sur les sites web des FA, ça aiderait évidemment les familles à vérifier l’authenticité de la personne qui vient chercher leur fils. Mais ce que je voudrais surtout dire aux parents, c’est de ne jamais donner d’argent à un agent. Les agents sont payés lorsque le joueur signe un contrat, jamais avant. »

Certaines fédérations affirment faire de leur mieux pour endiguer le trafic de joueurs, mais les parents et les tuteurs ne leur rendent pas la tâche facile. Les règlements de la FIFA n’encouragent pas les transferts internationaux de joueurs de moins de 18 ans, sauf dans certaines conditions. Pourtant, ces jeunes prodiges continuent de voyager « avec la bénédiction de leurs familles », affirme Augustin Senghor, président de la fédération sénégalaise.

« Personne n’aime ce phénomène. Nous sommes tous contre. Mais comment ces jeunes obtiennent-ils leurs visas ? Ils ont une autorisation parentale, dûment légalisée. Certains modifient même leur âge pour ne pas paraître trop jeunes. Les familles ne viennent jamais nous voir pour demander de l’aide. La seule chose qu’elles voient, c’est le futur succès de leur garçon dans un grand club en Europe. Nous avons organisé plusieurs campagnes de sensibilisation, “arrêtez de donner de l’argent aux agents”, et pourtant l’argent continue à transiter de mains en mains. C’est dommage. »

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« On a attendu les essais pendant des mois, en vain, et on a fini par comprendre qu’on avait été piégés. » - Charles Ngah

Un autre responsable de la FA compare la situation du trafic de football à la fuite de capital humain ou à la fuite des cerveaux, ce qui, selon lui, pourrait finir par affecter les ligues nationales en Afrique. « Aucun jeune joueur ne veut jouer ou rester dans les ligues locales. Ils veulent tous aller en Europe dès que possible et c’est la raison pour laquelle ils sont facilement victimes des criminels », déclare Malick Tohe de la Fédération de football de Côte d’Ivoire.

Il y a un nombre croissant de plaintes concernant le trafic de joueurs vers d’autres destinations et territoires que l’Europe, comme l’Afrique du Nord et les pays du Golfe. Certains joueurs d’Afrique subsaharienne terminent leur voyage en Tunisie, au Maroc ou en Égypte. D’autres vont jusqu’aux Émirats arabes unis, au Qatar et même à Bahreïn, où ils se retrouvent bloqués et en danger.

Charles Ngah vit en Tunisie depuis 2013. Il a quitté son pays, le Cameroun, aux côtés de six autres aspirants footballeurs. Après avoir payé 750 000 francs chacun (1 500 euros) à une agence apparemment légitime à Yaoundé, ils ont été abandonnés à Tunis.

« Je jouais dans un club de division 2 au Cameroun lorsque les agents m’ont approché et invité dans leur bureau. J’y ai aussi rencontré d’autres jeunes footballeurs », raconte-t-il à VICE. « L’agence avait l’air authentique. Ils avaient une licence, encadrée et accrochée au mur. On nous a promis des essais avec l’Espérance Tunis [le plus grand club de football de Tunisie] ».

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« On a fait le voyage, on est arrivés et on a été logés dans un chouette hôtel pendant une semaine. Puis on nous a demandé de quitter les lieux pour nous installer dans un appartement. Là, j’ai rencontré des Nigérians et des Ghanéens, qui prétendaient tous avoir payé 400 000 Naira (1 000 euros) et 7500 Cedis (1 200 euros) pour arriver ici. On a attendu les essais pendant des mois, en vain, et on a fini par comprendre qu’on avait été piégés. »

Après avoir été mis à la porte de l’appartement pour loyers impayés, Ngah dit que le groupe s’est dispersé, à la recherche de tout moyen de survie.

« Certains d’entre nous ont trouvé des emplois dans la restauration ou comme agents de ménage, tandis que d’autres sont restés sans emploi. Nous louions des chambres en groupe. Il y a moyen de trouver de petites chambres et d’y mettre sept ou huit garçons », raconte-t-il. « Le plus gros problème, c’était les papiers et comment rentrer chez nous. En Tunisie, si vous dépassez votre visa ou votre permis de séjour, vous devez payer des amendes pour les jours, les mois ou les années supplémentaires avant d’être autorisé à quitter le pays. »

« Même si vous êtes le prochain Lionel Messi, aucun club ne vous écoutera. Ils insistent tous pour passer par le bon canal, le transfert depuis votre club local vers leur équipe. » - Stephan Kimani

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Selon les autorités, des milliers de personnes originaires de pays d’Afrique subsaharienne — dont des footballeurs désabusés — seraient bloquées dans la région d’Afrique du Nord, sans aucun moyen de rentrer chez elles puisqu’elles ne peuvent pas payer les amendes qui s’accumulent au fur et à mesure que leur séjour se prolonge.    

« L’ambassade de Côte d’Ivoire en Tunisie a dû organiser plusieurs voyages de rapatriement pour ceux qui appartiennent à cette catégorie. Pourtant, chaque mois, des garçons continuent d’y aller », affirme Tohe.

Alors que leurs rêves de jouer à un niveau professionnel s’éloignent avec le temps, certains joueurs sont parfois tentés de chercher un autre sens à leur vie. 

« Je suis devenu père de deux enfants ici en Tunisie, comme beaucoup de mes pairs. Certains se forment à la fabrication et à la pose de briques ou de tuiles. À ce moment-là, vous vous retrouvez dans une situation plus compliquée qui vous oblige à peut-être abandonner votre rêve. C’est la vie que nous vivons tous ici », déplore Ngah.

Ces récits poignants sont à peu près identiques dans le Golfe, où les règles d’immigration peuvent sembler plus souples que dans certains endroits d’Afrique du Nord. Toutefois, il est quasiment impossible d’entrer dans un club ou même d’obtenir un essai sans une invitation dans les règles, affirme Stephan Kimani, un Kenyan qui a passé dix mois au Qatar sans succès.

« Même si vous êtes le prochain Lionel Messi, aucun club ne vous écoutera. Ils insistent tous pour passer par le bon canal, c’est-à-dire le transfert depuis votre club local vers leur équipe. Là-bas, les fausses invitations organisées par des agents véreux pourraient vous attirer des ennuis. »

D’après les fonctionnaires, comme Tohe, il est nécessaire de mener des campagnes de sensibilisation agressives pour lutter efficacement contre le trafic de joueurs. Mais aussi longtemps que miroitera la promesse d’un énorme salaire en Europe, il y aura toujours des personnes qui choisiront de nuire à ceux qui rêvent de suivre les traces des meilleurs joueurs africains.

Kingsley Kobo est sur Twitter.

Cet article a été publié dans le cadre d’une collaboration entre VICE et GOAL.

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