Avec les 150 tarés qui ont participé à la Menil'descente

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Avec les 150 tarés qui ont participé à la Menil'descente

Dimanche 2 octobre, nous sommes allés en haut de la rue Ménilmontant pour assister au troisième boardercross de Paris et voir des riders dévaler la pente à 60 km/h.

En ce dimanche d'octobre, sur les hauteurs de la capitale, le Café des Sports prend des airs de restaurant d'altitude. Sur la terrasse baignée de soleil, on trempe ses lèvres dans la bière en suivant des yeux des têtes brûlées s'élancer à près de 60 km/h sur les modules qui bordent la chaussée. « Moi, quand je prends la rue Ménilmontant en Vélib', je ne lâche pas les freins ! Alors eux… c'est impressionnant », souffle une riveraine à son amie. Harnachés comme un commando du SWAT, casque intégral, protection dorsale, coudières, genouillères, gants renforcés, 150 riders dévalent la rue mythique, créditée d'un dénivelé moyen de 8% sur 390 mètres, pouvant aller jusqu'à 11% sur certaines portions. Bienvenue à la troisième Ménil'descente de l'histoire, une compétition de boardercross organisée par l'association de longboard Riderz et le Comité Rollers Sports de Paris. « Le boardercross était d'abord réservé aux snowboarders, explique Jean-Sébastien Dennebouy, membre de Riderz et lui-même planchiste. C'est une course de vitesse, avec un départ à quatre sur un parcours jalonné d'obstacles. En phase finale, seuls les deux premiers se qualifient pour le tour suivant. Étant Parisiens, frustrés de ne pas avoir de pente à proximité, on voulait proposer quelque chose d'assez extrême pour le longskate ».

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Autour de la rampe de départ, installée au croisement de la rue du Retrait, les longboarders, adeptes d'un skate grand format moins maniable mais beaucoup plus rapide, croisent dans une joyeuse cohabitation les spécialistes du roller et quelques originaux qui étrennent leur bibi-bob, « une sorte de luge à manche dont le fond a été découpé pour installer un châssis en bois, des trucks et des roues de longboard », nous présente le vétéran Christophe Billotte, concepteur d'une machine qu'il a importé en France en 2010. « La principale caractéristique du longboard, c'est justement l'ouverture d'esprit de ses pratiquants, assure Lotfi Lamaali, l'initiateur de Dock Session, un mouvement communautaire pour la promotion du longboard. Quand tu arrives sur un spot de skateur, tu dois faire tes preuves avant d'être admis. Chez les longboarders, on m'a accueilli à bras ouverts, on m'a appris les trucs, etc. C'est ça qui m'a plu ». En attendant son passage, chacun adopte un comportement différent : on déconne avec les potes, on réajuste son matériel, on se rue sur le percolateur à café pour tenir pendant cette longue journée, on observe un peu nerveusement ceux qui se sont lancés à corps perdu dans la pente.

Ici, chacun a sa spécialité, que ça soit le street, la descente, le cross, la rampe, le bowl, le freeride, le slide, etc. Malgré son statut de champion de France 2014 de descente roller, Sébastien Rastegar n'est pas complètement serein. « Les modules de street ce n'est pas trop mon truc. D'habitude, je descends des pistes de bobsleigh ou des routes de montagnes, des surfaces lisses avec des gros virages et des trajectoires à gérer, explique le Parisien. À l'inverse, ceux qui viennent du Inline Cross, une discipline proche du boardercross mais sur du plat, doivent prendre en compte le paramètre vitesse. Certains finissent dans les barrières parce qu'ils ont mal géré les chicanes. Chacun doit s'adapter ». Cette diversité des profils fait le charme de la Ménil'descente, mais rares sont les experts du boardercross. « C'est une discipline trop neuve pour qu'il y ait vraiment des spécialistes, confirme Jean-Sébastien Dennebouy, pas peu fier d'avoir réanimé une discipline qui avait disparue du pays depuis quinze ans. Jusqu'à l'an dernier, on était les seuls à le proposer ».

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À côté des tops mondiaux, certains amateurs viennent se faire plaisir, se faire peur, ou les deux à la fois. Victor Fillinger s'est posé sur son longboard, à l'écart de l'agitation pour reprendre ses esprits. À 16 ans, il prend part à sa première Ménil'descente. « Cette année, je découvre, je me fais plaisir, mais je sais que je n'ai pas encore le niveau pour aller jouer une demi-finale face aux gros riders présents ici », analyse le jeune alsacien.

Que viennent donc chercher ces mecs et ces filles à Ménilmontant ? Certains sont venus chercher quelques points qui comptent pour le tout nouveau championnat de France de boardercross longboard, avec un circuit en quatre étapes (une qui s'est déroulée à Nantes en juillet, Paris le 2 octobre, Tanneron près d'Antibes deux semaines plus tard, et normalement une dernière du côté de Bordeaux début novembre). Mais unanimement, tous sont d'abord là pour retrouver cette agréable sensation qui fait trembler les genoux et assécher les bouches. « Avant que la ficelle soit lâchée, tu as une montée d'adrénaline, confie Victor. Dès que c'est parti, tu ne réfléchis plus à rien, tu fonces tout droit. Tu redoutes la gamelle au début, mais après tu oublies. Et une fois en bas, tu retrouves le sourire ». « Psychologiquement, il faut se dépasser, témoigne Sébastien Rastegar, qui finira deuxième de sa catégorie. Les kickers font peur, parce qu'on en prend dans les jambes et le dos. Dans les virages relevés, on se fait écraser parce qu'on roule très serrés à quatre ».

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Concurrents et organisateurs, tous sont excités de pouvoir jouer dans un stade plein, avec 8000 personnes massées long des barrières. Sébastien Rastegar s'en réjouit. « D'habitude, les descentes, faut aller les chercher loin de la civilisation, parce que c'est dur de bloquer des routes comme ça en pleine ville, surtout à Paris. Sur les routes de montagne, y'a clairement personne ». Lotfi Lamaali va dans son sens : « Depuis deux ans, il y a un vrai engouement autour du longboard. Ça monte, ça monte… Tu le remarques par l'intérêt des gens et des médias ». Le reste de l'année Lotfi organise des sessions de découverte du longboard, comme "La Grosse Rando", une balade dans Paris. « On a tout intérêt à ce que l'événement attire du monde. Au-delà de la compétition, l'objectif est de montrer que le longboard existe en tant que sport et qu'on n'est pas qu'une bande de vandales, d'alcoolos, comme l'image qui colle parfois à la peau des skateboarders », revendique ce spécialiste du flat et du dancing freestyle qui finira à une deuxième place inattendue. Les impressions des riders et l'adhésion du public doivent satisfaire l'équipe de Riderz : le parcours est redouté, spectaculaire, ce qui permet à l'événement de construire sa légende et devenir petit à petit un spot incontournable de boardercross.

Mais si cet événement a vu le jour, ce fut au prix de longues années de négociations. Presque dix ans de pourparlers avec les pouvoirs publics et les partenaires. « C'est compliqué à organiser, il faut les autorisations, les modules, ça coûte cher », se rappelle Jean-Sébastien. À la base, on pensait faire un slalom géant dans l'avenue d'Iéna. Ça a été refusé par la préfecture. Puis on a essayé de mettre un boardercross du côté de Saint-Cloud. Ça a été refusé aussi. Finalement, c'est la Mairie de Paris en 2014, après l'élection d'Anne Hidalgo, et plus particulièrement la Mairie du 20e arrondissement, qui nous ont permis d'organiser notre événement rue Ménilmontant. » Derrière la tête des élus, trotte une idée à peine dissimulée : se servir de la réussite sportive et populaire de Ménil'descente pour étayer la liste des arguments pour la candidature de Paris aux JO 2024. Dans son discours de clôture, Frédérique Calandra, maire d'arrondissement, déclare même espérer accueillir une épreuve olympique de skateboard dans la rue Ménilmontant. Forcément, Jean-Sébastien verrait bien sa discipline être programmée, puisqu'elle réunirait selon lui toutes les familles de la planche à roulettes : « C'est un peu militant, mais en boardercross, les mecs sont accessibles, tu peux discuter avec les organisateurs, le matériel n'est pas difficile à obtenir : c'est vraiment le côté démocratique du skate. »