72 heures avec les hools anglais et russes à Marseille

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72 heures avec les hools anglais et russes à Marseille

50 000 Anglais et 35 blessés : ce que j’ai vu de la rixe du week-end dernier entre Anglais, Marseillais, Russes et CRS.

Pendant l'Euro 2016, VICE Sports s'intéresse en priorité aux supporters venus de toute l'Europe pour soutenir leurs équipes nationales. Chants guerriers, fumis et passion parfois débordante, tout ça, c'est dans notre série Kopland.

35 blessés, dont un dans un état grave : bilan chargé après les débordements autour du match Angleterre-Russie joué samedi dernier, le 11 juin, à Marseille. En trois jours, la ville a connu le meilleur et le pire de ce que le football peut offrir. La fête, puis la guerre. Les fans anglais et russes ont aujourd'hui quitté la cité phocéenne. Quelques-uns fièrement, la majorité tristement. D'autres encore resteront quelques mois de plus, à la prison des Baumettes.

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Ce lundi après-midi, 13 juin, le hooligan anglais Alexander Booth est pour la première fois de sa vie dans un box d'accusé. Le jeune cuisinier anglais est bien loin de chez lui, au tribunal de grande instance de Marseille. Il fêtait ses vingt ans ce week-end lorsqu'il a été interpellé au milieu du bordel où s'affrontaient Anglais, Russes, Marseillais et CRS, autour du match Angleterre-Russie.

Il se présente devant la juge avec le maillot anglais. Mais on ne lit plus sur son visage la ferveur du supporter, seulement le dépit. Malgré sa traductrice, il ne semble pas comprendre les débats – juste que ça ne sent pas très bon pour lui. Le procureur de la république local, Brice Robin, a donné le ton ce matin. Il a chargé publiquement son adjoint de requérir l'incarcération pour tous les individus arrêtés lors des derniers combats de rue entre supporters. Ils seront neuf à défiler après Alexander.

Au milieu d'eux, il fait figure de gentil. Il reconnaît avoir jeté un gobelet en plastique et fait des doigts d'honneur lorsque les affrontements de samedi ont éclaté. Mais il était avant tout là pour faire la fête avec son père, présent dans la salle. _« Je m'excuse auprès des Marseillais et de la police. _Truly, truly sorry…_ J'étais au mauvais endroit au mauvais moment._ » Et avec au moins deux grammes d'alcool dans le sang, rappelle le procureur.

La peine est prononcée mais son père n'a pas compris. Alexander, décomposé, lui balbutie : « Deux mois. » Son père s'effondre. « Quoi ? ! Deux mois ? ! » Il tend son doigt vers lui comme pour lui donner un ordre : « Tiens bon ! Je viendrai te chercher. » Puis, en pleurs, le père tente de se frayer un chemin dans le barrage de journalistes à la sortie de la salle d'audience. Il est scandalisé et son avocate se dit « extrêmement déçue ». Son fils purgera sûrement sa peine aux Baumettes et sera ensuite interdit de territoire français durant deux ans.

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Les supporters anglais, avinés, entonnent des chants devant les quatre pubs britanniques du Vieux-Port.

Il y a quatre pubs situés côte à côte sur le Vieux-Port de Marseille : le Queen Victoria, l'O'Malley, le Temple et l'Out Back. C'est ici que les Anglais ont pris leurs quartiers dès jeudi soir, le 9 juin dernier. Un territoire marqué par des drapeaux à croix rouge sur fond blanc, estampillés des villes ou quartiers propres à chaque supporter. Sur celui de Dan, supporter anglais de 30 ans, est écrit : "Norwich". Il est en train de l'accrocher à la suite d'une vingtaine d'autres sur le quai en face du Queen Victoria, de l'autre côté de la route.

Lorsque je suis les hools anglais en ce vendredi 10 juin après-midi, ce que certains nomment la zone anglaise commence à déborder largement des quatre pubs. « C'est une ville anglaise ! », me hurle Dan. Ils sont environ 50 000 à avoir fait le déplacement selon la police, qui déambule dans une ambiance – pour l'instant – cordiale. « On est zen, il n'y a pas de provoc'. Mais vu comme ils boivent, ça peut facilement dégénérer, me glisse un agent. C'est considéré comme la fight zone, ici ».

Une première équipe de police intervient devant le Vieux-Port afin de barrer les supporters anglais.

Une ambiance de fête, même si, jeudi au soir, un accrochage a pointé le viseur médiatique sur les Anglais. Harry débarque de Leicester. Il m'explique l'altercation en commandant une pinte au comptoir du O'Malley. Sur son smartphone, il lit un article dénonçant le comportement des supporters anglais illustré avec une photo de lui. « Ma copine a appelé en panique quand elle a vu l'article. Elle ne comprenait pas ce que je foutais dans ce bordel – je suis pas bagarreur. C'est des mecs d'ici qui sont venus chercher la merde, on s'est défendu. » Anthony Heraud, le manager du pub, fait le tour du bar pour me le confirmer : « J'ai les vidéos de surveillance qui montrent que les Anglais se sont fait attaquer. » De ce qu'il me dit, je comprends que la préfecture le convoque le jour même à 16 heures, et envisage la fermeture administrative. « Ils veulent envoyer tout le monde à la fan-zone, mais les Anglais se sentent chez eux ici. »

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French gays, English gays : tomorrow you see !

Un supporter russe.

Ils se sentent assez à l'aise, en effet. Tellement qu'ils s'étalent maintenant sur la route qui longe le quai devant le pub. Ils dansent et chantent à la gloire des Three Lions. « Vardy's on fire », sur l'air du Freed From Desire de Gala, ça met le feu, mais ça bloque aussi la circulation. Les CRS s'en mêlent. Gentiment d'abord, puis à coups de gaz lacrymogènes. Dispersion efficace : en une minute, la route est déserte et les quatre pubs ont l'air de saloons abandonnés.

Des gaz lacrymo sont lancés aux Anglais afin de les obliger à se disperser.

Mais les Anglais sont restés dans les parages, énervés. On les retrouve un peu plus loin sur le quai et sur le Vieux-Port, dans des face-à-face tendus avec les forces de l'ordre. Une dizaine de Russes, sûrement attirés par le bruit, ont mis leurs T-shirts noirs à l'effigie du Lokomotiv Moscou sur leurs visages. Ils se placent entre les CRS et les Anglais, partants pour en découdre avec les deux. Quelques arrestations plus tard, le calme revient sans trop de dégâts.

Pendant ce temps, je croise quatre Russes en short et tongs qui se rendent à la plage. L'un d'eux colle des stickers avec la photo d'un mec à l'air furieux à qui il manque une dent. Il m'en donne un en me souriant. Pas de doutes, c'est sa propre tronche sur le sticker. Une sorte de menace qu'il placarde tous les dix mètres. Il me l'explique comme il peut, dans un anglais hésitant : « French gays, English gays : tomorrow you see ! »

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Le sticker en question, affiché par l'un des hools russes, à son effigie.

Et le lendemain, samedi, jour du match, on a vu. Les alentours du Vieux-Port sont devenus hors de contrôle. Dès le début d'après-midi, un quinquagénaire anglais est roué de coups sur le cours d'Estienne d'Orves. Pronostic vital engagé. Il est évacué en arrêt cardio-respiratoire ; à l'heure actuelle, il est en état stabilisé.

Fallait montrer on était où !

Un gamin de Marseille qui s'est latté avec des supporters anglais.

Vers 18 heures, le quartier de l'Opéra est le terrain d'affrontements, de courses-poursuites et de vols avec violences. Les Marseillais contre les Anglais, les Russes contre tout le monde, et les CRS au milieu. Les bouteilles de bière volent et font des dégâts. Elles brisent la vitrine du café-brasserie Garnier, rue de Suffren, et blessent beaucoup de monde.

Les supporters russes, arborant leur T-shirt du Lokomotiv Moscou.

Qui a commencé ? Qui a attaqué ? Personne ne sait vraiment. La plupart des Anglais diront avoir riposté. D'une part face aux hooligans russes, ouvertement violents, dépeints par le procureur Brice Robin comme suit : « Un groupe de cent à cent cinquante personnes […] venues pour en découdre […] Ils agissent très rapidement, ce qui explique les difficultés de procéder à leur identification et leur interpellation. » En effet, aucun hooligan russe ne sera arrêté durant ce week-end. Mais comme l'annonce L'Equipe ce mercredi, une quarantaine de hooligans russes ont été interpellés, mardi, près de Nice.

De l'autre côté, on trouve de jeunes Marseillais dont on ne connaît pas bien les motivations. Certains parlent de revanche sur les affrontements avec les Anglais datant de 1998. Néanmoins, les explications sont plus simples pour ce jeune, rencontré lundi dans le quartier de Belsunce : « Fallait montrer on était où ! J'ai arraché un maillot à un Anglais, c'est un trophée. Il ne me l'a pas donné gentiment, alors il est tout déchiré. »

L'arrestation d'un hooligan anglais par les forces de police.

En tout, 35 personnes ont été blessées dans l'après-midi, dont un grave, trois sérieux et une blessure par arme blanche. 590 pompiers ont été mobilisés et plus d'un millier de policiers, gendarmes et CRS.

Seule l'approche du début du match permet un retour au calme dans les rues de Marseille. À l'entrée du Vélodrome, les Anglais sont survoltés. On voit des maillots en sang et des têtes bandées. Ça chante fort. Encore plus dans le stade où les Russes, minoritaires, leur répondent vaillamment. Malgré un accrochage sans conséquence en virage sud au coup de sifflet final, il n'y aura pas d'incidents majeurs. Un début de baston sera vite désamorcé à coups de lacrymos sur le Vieux-Port une heure après la rencontre.

Sur la pelouse, le match aura été à l'image de la rue : des Anglais dominateurs, en surnombre, surpris par les Russes en embuscade, pour un spectacle, au final, plutôt triste.