Crime

Dans l’enfer des prisons au temps du Covid

On a discuté avec des détenus et leurs familles afin d'en savoir plus sur l'évolution des conditions de détention après une année de pandémie.
prison coronavirus covid-19
Maison d'Arrêt de Compiègne, fermée depuis 2015. Martin BUREAU / AFP

Le 16 mars 2020, la France annonçait un confinement pour endiguer l’épidémie de coronavirus sur son territoire. Aujourd’hui, la situation est toujours aussi compliquée et notamment dans les prisons. Les données sur le nombre de cas en leur sein sont probablement incomplètes, notamment en raison du difficile accès aux tests. Mais on a déjà recensé des centaines de détenus contaminés et trois décédés tandis que des clusters continuent de se développer un peu partout (à la prison de la Santé à Paris, à celles de Tours ou de Muret ou dans les Hauts-de-France rien qu’en mars 2021) malgré les mesures très contraignantes décidées pour les endiguer : fermeture puis réouverture partielle des parloirs, arrêt des cours, des activités sportives, du travail etc.

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Plus d’un an après le début de l’épidémie, la compagne d’un détenu et deux personnes incarcérées en région parisienne nous ont parlé de l’aggravation des conditions de détention depuis l’apparition du Covid-19 et du ras-le-bol qu’elle entraine.

Samba*, incarcéré depuis 18 mois à la prison d’Osny (Val-d’Oise)

« Au départ de cette crise, on s’est d’abord inquiétés pour nos familles à l’extérieur et surtout pour nos parents. Après, on a commencé à se dire qu’il fallait qu’on fasse nous-mêmes attention parce qu’un cluster en détention serait dur à gérer pour l’administration et parce que certains détenus sont âgés ou fragiles.

Mais il y avait plein de choses qui étaient incompréhensibles pendant ce premier confinement. On nous supprimait les cours ou le sport, mais on était une centaine de détenus ensemble en promenade et accompagnés par des surveillants qui ne portaient pas tous le masque alors que eux étaient en contact quotidien avec l’extérieur. À Osny, ils ont même tenté de restreindre le nombre de produits disponible à la cantine [le “magasin” de la prison, N.D.L.R] sous prétexte du Covid-19. Il y a donc eu des blocages lors des promenades avec l’intervention des Eris [Equipes régionales d’intervention et de sécurité, les “CRS” de la prison, N.D.L.R], mais ça nous a permis de conserver notre droit de cantiner comme d’habitude. Plusieurs sont allés au mitard et se sont ensuite fait transférer dans d’autres établissements. Pas besoin de préciser que certains se sont fait tabasser au passage.

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Nous avons ensuite eu le droit de reprendre les parloirs, mais avec une distanciation sociale et le port du masque obligatoire. Ces moments sont habituellement très importants pour les détenus. Or ils ne peuvent plus faire un simple câlin à leur femme ou à leurs enfants. Moi je n’ai pas embrassé ma fiancée depuis plus d’un an maintenant.

Il y a aussi plus de tensions avec les surveillants et même entre les détenus. Perso je m’entends toujours aussi bien avec mon voisin de cellule, mais ce n’est pas pareil pour tout le monde…»

Sarah*, femme d’un détenu incarcéré depuis septembre 2019

« Début mars 2020, quand ça commençait à dire que la France allait prendre des mesures à cause de l’épidémie de coronavirus, nous avons entendu des rumeurs qui disaient que les parloirs des prisons allaient être fermés. Ça a été confirmé juste après l’allocution de Macron qui annonçait le premier confinement. On n’a pas vraiment été surpris, mais ça nous quand même mis un sacré coup.

Là où mon compagnon est enfermé, ils ont donné des crédits aux détenus pour téléphoner à leurs proches avec des cabines pour compenser la fermeture des parloirs. Mais ce téléphone est hors de prix et tout était rapidement épuisé… L’arrêt des parloirs a aussi limité l’introduction de shit à l’intérieur et ça a été super dur à vivre pour des détenus. Pour compenser, l’administration a distribué des calmants à la pelle.

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« Humainement parlant, c’est très dur à supporter pour les personnes incarcérées, leurs compagnes mais aussi pour leurs enfants »

Quand les parloirs ont pu reprendre à la fin du premier confinement, on était séparé avec des bandes en plastique blanches qui nous séparaient d’un mètre. Mais pendant l’été, ils ont installé des grandes vitres en plexiglas. Evidemment, aucun contact physique n’est possible et ton permis de visite saute si les surveillants te voient sans masque…

Je sais que certains couples se sont séparés à cause de ça. Humainement parlant, c’est très dur à supporter pour les personnes incarcérées, leurs compagnes mais aussi pour leurs enfants. Quand j’amenais notre petite fille, elle tapait sur la vitre en hurlant “Papa ! Papa !” et elle ne dormait plus après. J’ai toujours un gros moral, mais là c’était tellement difficile que j’ai arrêté de le faire. Il faut également ajouter que le nombre de parloirs autorisé a diminué et qu’on a réduit le nombre de personnes dedans. On n’en peut plus !»

Jérémy*, incarcéré depuis près de deux ans à la prison de la Santé (Paris)

« Dès le premier confinement, ils ont tout supprimé. On a empêché des familles de venir récupérer et de laver le linge des détenus et les nouveaux arrivants n’en avaient même pas… Mais le pire, c’était vraiment la suppression des parloirs sans même prévenir les familles. C’était horrible de ne pas avoir de nouvelles de ses proches car les liens familiaux sont les liens les plus importants et font partie de ce qui te permet d’oublier la prison. Tout le monde était inquiet. Mais malheureusement, quand tu connais les conditions de détention déplorables en France et le mépris des décideurs envers nous et bien ça a pété un peu partout !

Les établissements étant surpeuplés, ils ont été obligé de libérer du monde pour éviter des clusters, mais ça a seulement concerné les personnes qui étaient en fin de peine. Si ça a certes fait diminuer le nombre de détenus dans les prisons, les mesures prises ont rendu la période très compliquée…

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« On ne comprend pas pourquoi il n’est pas possible de demander un test prouvant que vous êtes négatif au Covid-19 aux proches qui viennent nous voir ? »

Après la fin du premier confinement, ceux qui font des études ont pu reprendre des cours. Enfin, au début, parce que tout s’est arrêté lors du deuxième confinement en octobre et rien n’a repris depuis. Je ne comprends vraiment pas pourquoi. Dehors, les profs font cours à des centaines de milliers d’élèves, mais c’est impossible pour nous alors que nous ne pouvons être contact avec personne, que nous respectons les gestes barrières et que nous sommes peu nombreux en cours et que des restrictions sont toujours en place pendant les parloirs.

À ce sujet, je crois que la Santé possède 50 parloirs et que seulement 17 sont munis d’une vitre en plexiglas et donc exploitables. Sous prétexte qu’ils n’ont pas assez de budget alors qu’ils viennent de munir les surveillants de mini-caméras qui n’ont sûrement pas été gratuites… Du coup, c’est un peu la guerre entre les familles pour obtenir un rendez-vous, et c’est révoltant ! Concernant les surveillants, ces derniers ne sont d’ailleurs pas plus compréhensibles avec nous et continuent la chasse aux téléphones portables alors que c’est quelque chose qui t’aide à résister quand tu es enfermé et davantage encore en ce moment. A Noël, ils ont même demandé à ce qu’on ne puisse pas recevoir de colis de fin d’année. Ils ont finalement cédé, mais nous n’avons pas eu le droit à certains produits…

On espère que tout ça va s’arrêter. Pour que nos proches puissent retrouver une vie normale dehors, mais également parce que ça commence à craquer ici. Nous sommes de nouveau plein à la Santé et certains vont devenir fous à force… Le premier effort pourrait être mis sur les parloirs. Qu’on puisse retrouver le nombre de parloirs (et de personnes pouvant y prendre part) initialement autorisé par semaine. D’ailleurs, on ne comprend pas pourquoi il n’est pas possible de demander un test prouvant que vous êtes négatif au Covid-19 aux proches qui viennent nous voir ? Cela permettrait de supprimer leurs plexiglas, qui ne servent d’ailleurs à rien puisqu’un cluster a été découvert en février dans ma prison avec 30 contaminés, et de retrouver ces contacts physiques essentiels pour nous. Nous demandons à être incarcérés dans de meilleures conditions car là on nous détruits psychologiquement. Nous demandons aussi à ce qu’ils appliquent davantage des mesures pourtant existantes comme les bracelets électroniques pour libérer des détenus comme ceux en attente de jugements et donc présumés innocents. Des mesures exceptionnelles pour une situation sanitaire exceptionnelle…»

*Tous les prénoms ont été modifiés à la demande des intervenants.

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