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Sports

"Jai Alai Blues" raconte l'odyssée d'un sport méconnu : la cesta punta

Stars dans les années 1970 aux Etats-Unis, les joueurs de cesta punta se font désormais de plus en plus rares, après la perte de popularité d'un sport qui a trempé dans la corruption et les jeux d'argent.

1968, Cuba. Dans l'énorme bâtisse du "Palacio de los gritos" de La Havane, la tension est à son comble sur la cancha. Les deux duos de joueurs s'affrontent sans relâche depuis déjà quelques points, devant les milliers de spectateurs venus parier. Les chisteras font fuser la balle à plus de 250 km/h, faisant frémir la foule à chaque retour depuis le mur de fronton. Soudain, la munition blanche atteint le crâne d'un des joueurs. Les gradins se taisent, alors que ses coéquipiers se précipitent sur le jeune Cubain inerte sur le sol.

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"Welcome to Jai Alai" (prononcez "Raï Alaille") : c'est là que se pratique la cesta punta, le sport de balle le plus rapide du monde. Joué avec un grand gant en osier appelé chistera, l'objectif des deux équipes composées de deux joueurs (1 avant et 1 arrière) est d'envoyer la pelote, soit à la volée, soit après un rebond au sol et de marquer les 35 points nécessaires à la victoire.

Un sport clairement méconnu, né dans les villages du Pays basque, dans la continuité des sports de pelote joués depuis toujours sur les places des patelins. C'est un joueur de main nue originaire de Geteria (ville du Pays basque espagnol), qui, revenu d'Argentine après une blessure, a inventé la chistera pour lui permettre de compenser ses séquelles. Au début, les gens l'ont pris pour un fou, mais, petit à petit, le sport est devenu très populaire grâce à la vitesse spectaculaire du jeu. C'est à cette époque que les canchas (surface de jeu) ont dû être allongées pour pouvoir profiter pleinement de la cesta.

Gorka Bilbao est le réalisateur de "Jai Alai Blues" un documentaire sur le monde du jaï-alaï, où il nous raconte comment ces Basques de Guernica et des alentours se sont retrouvés à Miami entourés d'actrices, de politiciens et de millions de dollars grâce à ce sport de balle. À l'image de l'origine très confidentielle de la cesta, le film est né au Pays basque, sur les frontons : « À Guernica, il y a eu une école de jaï-alaï très connue dans les années 1960 et 1970. Quand tous les vieux joueurs sont revenus pour leurs retraites, nous les avons rencontrés. C'est comme ça que nous avons commencé à entendre leurs histoires, sur l'époque à Cuba ou à Miami. Et surtout grâce à eux nous avons pu avoir accès à des archives, des films et des photos. »

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Le film explique très bien, comment au début du 20e siècle, la cesta punta va se répandre aux quatre coins du monde. Égypte, Shanghai, Cuba, Philippines. Le sport a suivi les hommes, les colonies occidentales et l'affairisme du canal de Suez qui a aimanté les Européens en Amérique du Nord et du Sud. Mais son explosion dans la culture populaire aura lieu dès que les paris rentreront en jeu : « Il y avait déjà beaucoup de casinos, de courses de chevaux, etc. Le jaï-alaï était une autre possibilité de jeux pour les expats' », m'explique Gorka.

Les pelotaris dans les années 1950- 1960 deviennent très vite des rocks stars. De Mexico à Cuba, on va au fronton pour voir les joueurs. Ces Basques, qui venaient de petits villages de la veille Europe, se sont mis a côtoyer acteurs, politiciens et présidents. Guillermo Amutxastegi, l'un des plus charismatiques, fréquentait, entre deux soirées arrosées de champagne et d'assiettes de homards, Cary Grant et Esther Williams sur les tournages.

Guillermo Amutxastegi (à droite) avec l'actrice Esther Williams.

Les premiers jaï-alaï sont arrivés à Miami en 1929, mais dans les années 1970 c'est la famille Berenson, dont Buddy le patriarche (World Jai Alai, leader parmi les sociétés de gestion des joueurs) qui a popularisé le sport. La ville aussi était demandeuse, car à l'époque, la NFL n'en est qu'à ses balbutiements et la ligue de baseball n'arrivera qu'en 1993. La station balnéaire était alors en pleine expansion et l'argent sale de la drogue n'attendait plus que ça pour être blanchi. Le jaï-alaï est devenu "the place to be" avec bars, restaurants et carré VIP dans les tribunes, de Tampa à Ocala.

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Au début la saison ne durait que six mois, pendant l'hiver, quand les touristes affluaient vers les plages. Mais voyant le succès et les recettes, les promoteurs décident dès 1977 de faire des matches tous les jours. Contrairement aux 35 points du Pays basque, à Miami les parties ne durent que quatre minutes, pour que les paris s'enchainent et que le public ne s'ennuie pas. À son apogée, World Jai Alai a même ouvert des canchas à Rode Island, au Nevada et dans le Connecticut, mais tout a été stoppé net.

Un jour, les banques de la famille Berenson souhaitent mettre à la tête de World Jai Alai Roger Wheeler, un riche entrepreneur, et John B Callahan, un banquier de Boston. Les connexions des deux hommes devaient permettre de développer le jaï-alaï dans tout le pays. Seul problème : les relations que les businessmen entretiennent avec la mafia irlandaise, notamment James J. Bulger, qui les fera assassiner tout les deux à un an d'intervalle. (Des scènes que l'on peut retrouver dans le film Black Mass avec Johnny Depp)

Vu le volume exponentiel des parties et la demande des parieurs, les compagnies de jaï-alaï voulaient toujours plus de joueurs. Elles ont donc investi au Pays basque, à Guernica, à Markina et à Durango dans des écoles et des frontons, pour les transformer en élevage industriel de pelotaris. Une fois recrutés, les joueurs étaient dispatchés dans les divers frontons de Floride et du pays. À son apogée, plus de 800 joueurs se répartissaient l'ensemble des compagnies.

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C'est à ce moment-là, dans la folie des années 1980, que les joueurs ont délaissé leurs statuts d'artiste et de sportif pour devenir des ouvriers, allant tous les jours à la « jaï-alaï factory ». Ellorio, l'un des joueurs, se retrouve, sans son accord, dans le générique de la série Miami Vice, mais ne touche aucun droit à l'image. Tout va dans la poche des promoteurs. Une pratique courante, car malgré de bons salaires, les joueurs ne touchent rien des sponsors, ou de l'exploitation de leurs images. Berenson père et fils veulent ainsi garder des joueurs "low profile", juste bons à jouer. C'est l'élément déclencheur qui conduira à la grève des joueurs, qui paralysa le sport pendant plusieurs années.

« Dans tous ces pays, c'est les paris qui ont tué la cesta punta. Mais pas pour les mêmes raisons à chaque fois. À Cuba c'est à cause de Castro, qui a interdit les paris. À Mexico, c'est le gouvernement qui a stoppé le jeu à cause des matches truqués et du blanchiment », m'explique Gorka. Il faut savoir qu'au Pays basque on parie toujours sur les matches, mais c'est un système traditionnel, de mains en mains et à petites échelles.

Aujourd'hui pour les joueurs, le futur est au Pays basque, en Espagne et en France. Mais c'est difficile, car tous les bons pelotaris vivent aux États Unis. C'est donc compliqué d'avoir un vrai championnat, qui ne se pratique que l'été dans les différents jaï-alaï. « C'est pour cela aussi que les gens ne s'intéressent pas au sport, car il n'y a pas de superstar auxquelles s'identifier et les duos de parties changent tout le temps. Certains médias comme Eurosport ou Canal sont intéressés, mais c'est le manque de « figuras » qui les repoussent », conclut Gorka. Il ne reste plus que 100 joueurs professionnels sur les deux continents. Mais les écoles sont toujours ouvertes.

De nos jours, aux États Unis, les jaï-alaï sont devenus des prétextes pour l'ouverture de casinos. Si vous avez un fronton, vous avez une licence casino. Les gens jouent aux machines à sous en regardant les parties à travers les vitres qui donnent sur la cancha, laissant les tribunes vides. À Miami, l'arrivée du baseball et de la NFL a stoppé l'hégémonie du jaï-alaï. Malgré tout, les jeunes générations veulent quand même partir en Amérique. Car là-bas on peut vivre de la cesta punta : il y a des matches toute l'année.

_Le très bon documentaire _Jai Alai Blues_ de Gorka Bilbao, produit par Berde Produkzioak, sortira à l'automne en DVD._