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Sports

Le retour de ce bon vieux débat sur l'égalité des primes hommes-femmes dans le tennis

Le patron du Masters 1000 d'Indian Wells a démissionné ce mardi après avoir remis en cause le circuit féminin. Un débat alimenté par des propos de Novak Djokovic sur la parité des primes, une particularité dont le tennis devrait s'enorgueillir.
Reuters

On a appelé ça un "dérapage sexiste" mais c'est plutôt une croyance bien ancrée sur le circuit du tennis pro qui ressort régulièrement, comme ça, pour essayer nonchalamment de faire resurgir le débat. Les propos du directeur du tournoi Masters 1000 d'Indian Wells, Raymond Moore, ont déclenché une belle polémique en fin de semaine dernière. « Si j'étais une joueuse, je me mettrais à genoux chaque soir pour remercier Dieu d'avoir donné naissance à Roger Federer et "Rafa" Nadal, parce qu'ils ont porté ce sport. Vraiment », avait déclaré Raymond Moore. Il a démissionné de son poste ce mardi, après s'être excusé.

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Novak Djokovic lui avait emboîté le pas dimanche, dans des propos encore plus scabreux. Le N°1 mondial, tout juste vainqueur du tournoi, avait commencé en condamnant à demi-mot les déclarations de Moore, expliquant : « Je pense qu'il est juste de dire que ce n'est pas politiquement correct. » Puis, avait enchaîné en remettant en cause le principe d'égalité des primes hommes-femmes, un débat qui refait surface régulièrement dans le tennis pro. « Je pense que notre monde du tennis masculin, l'ATP, devrait se battre pour davantage, parce que les statistiques montrent que nous avons beaucoup plus de spectateurs lors des matches masculins. Je pense que c'est une des raisons pour lesquelles nous devrions gagner davantage que les femmes. Mais encore une fois, on ne peut pas se plaindre parce que notre prize money est très satisfaisant. »

Raymond Moore, directeur démissionnaire du BNP Paribas Open, le tournoi Masters 1000 d'Indiana Wells. Crédit : Danny Moloshok/Reuters

Le tennis est l'un des rares sports à promouvoir l'égalité des revenus. Depuis 1973, le prize money de l'US Open est ainsi équivalent pour le vainqueur du tableau masculin et pour le vainqueur du tableau féminin. L'initiative a essaimé au fil des décennies, et Wimbledon et Rolland-Garros ne s'y sont mis qu'au milieu des années 2000. Cela a fait du tennis un sport exemplaire dans le domaine de la parité hommes-femmes. Dans le classement Forbes des sportifs les mieux payés en 2015, on pouvait s'apercevoir qu'il était composé presque exclusivement d'hommes, avec seulement deux femmes : des tenniswomen. Maria Sharapova se plaçait ainsi en 26e position avec 29,7 millions de dollars de revenus cette année-là. Serena Williams pointait, elle, à la 47e place avec 24,6 millions d'euros de gains sur l'année. Les deux étaient bien loin des 67 millions de Roger Federer, tennisman le mieux payé en 2015.

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Cela fait quelques années que la parité des revenus dérange sur le circuit masculin. En 2012, c'était ainsi Gilles Simon, fraîchement nommé comme représentant au Conseil des joueurs de l'ATP, qui fustigeait l'égalité des primes dans le tennis pro : « On est le seul sport aujourd'hui où il y a la parité, alors que le tennis masculin reste plus attrayant que le tennis féminin à l'heure actuelle. » Il énonçait une opinion largement répandue dans les vestiaires des grands tournois du circuit ATP.

Les arguments qui reviennent sont souvent les mêmes. Vu qu'il y a plus de spectateurs pour les matches de tennis masculin, la différence ne devrait-elle pas se faire ressentir dans les primes ? C'est un argument relatif : comme l'a fait remarquer Serena Williams, sa finale de l'US Open l'an dernier a affiché complet plus rapidement que la finale hommes. Et puis, si l'on veut rentrer dans les détails, cela impliquerait que la rémunération des sportifs pourrait même se faire au cas par cas : si Raonic l'avait emporté dimanche face à Djokovic à Indian Wells, son prize money aurait-il dû être indexé sur le nombre de spectateurs qu'il avait ramené aux abords du court ? Son gain aurait alors été bien moindre que celui qu'a réellement empoché Djokovic dimanche.

L'autre argument à la mode chez les défenseurs de la cause du tennis masculin, c'est celui de la durée des matches. Pourquoi, dans les tournois du Grand Chelem, les hommes gagnent-ils autant que les femmes, alors qu'elles jouent en trois sets pendant que les hommes jouent en cinq ? Premièrement, la WTA n'a jamais dit qu'elle était contre jouer des matches en cinq sets, comme le rappelait Stacey Allaster, sa présidente à l'époque, dans une interview au Washington Post en 2014. Deuxièmement, cet argument du "temps de travail" ne passe pas l'analyse au cas par cas non plus. Certains matches en trois sets du circuit féminin sont plus longs que des matches en trois sets gagnants du circuit masculin. Et des matches plus longs ne veulent pas forcément dire des matches plus spectaculaires. Et on peut poser la question suivante à Djokovic, qu'est-ce qui était le plus intéressant à regarder dimanche ? Le voir dominer Raonic en 1h17 de match à sens unique (6-0, 6-2) ou une finale dames où Azarenka a surpris Serena Williams en 1h28 (6-4, 6-4) ?

Novak Djokovic et Serena Williams pendant le Kids Tennis Day de l'Open d'Australie en janvier 2013. Crédit : Damir Sagolj/Reuters.

Les prize money des tournois ne devraient avoir aucun lien avec le nombre de spectateurs présents ou le spectacle visible sur le court. Ce sont des compétitions où le (ou la) meilleur(e) gagne à la fin, et les vainqueurs, quel que soit leur sexe, devraient donc gagner des sommes équivalentes. La popularité se traduira financièrement dans d'autres domaines, notamment par les contrats de sponsoring, où les tennismen gagnent déjà des sommes bien supérieures aux tenniswomen. Il suffit de regarder le classement Forbes.

Il y a aussi une dimension un peu indécente dans ce débat de millionnaires qui voudraient gagner encore plus en allant rogner sur les revenus de leurs consœurs. D'autant plus que ce débat concerne une frange très restreinte de "super champions" : comme le rappelle Le Monde, quid de l'écart entre les vainqueurs et les autres ? A Indian Wells par exemple, un joueur qui perdait au premier tour repartait avec la prime de participation, soit 1 825 dollars, ou 563 fois moins que le prize money remporté par Djokovic. Les mal classés galèrent pendant que le Top 10 de l'ATP se plaint de ne pas avoir assez de zéros sur les énormes chèques qu'on leur tend à la fin des tournois.

Le tennis masculin est plus populaire, c'est incontestable. Le sport est marketé depuis des décennies pour un public masculin, donc il serait étonnant que ce ne soit pas le cas. Par ailleurs, si ce débat a lieu aujourd'hui, il y a une autre raison : la faiblesse actuelle du tableau féminin face à un tableau masculin rempli de cadors. C'est ce que dit en substance Raymond Moore dans ses propos. Et si Djokovic peut se vanter d'être aussi populaire, c'est parce qu'en face, il y a des Federer, des Murray, des Nadal pour lui renvoyer ses coup droits. Dans dix ans, la donne pourrait être différente, et on aura peut-être droit à une nouvelle grande rivalité à la tête du classement WTA, type Graf-Navratilova. Ça pourrait même déjà être le cas avec le retour de blessure d'Azarenka. En attendant, pourquoi le tennis se priverait-il de son exemplarité en termes de parité des gains ? Ça reste une anomalie, oui, quand on voit par exemple que la footballeuse lambda gagne dix fois moins que son alter ego en Ligue 1, mais c'est le genre d'anomalie vers lequel le sport devrait tendre plus souvent.