En souvenir de l’homme qui a vendu la Tour Eiffel
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Crime

En souvenir de l’homme qui a vendu la Tour Eiffel

Le truand Victor Lustig a passé l’essentiel de sa vie à arnaquer des gens – et a même grugé Al Capone.

En 1925, la ville de Paris est en pleine effervescence après s'être remise des tourments de la Grande Guerre. La capitale a repris des couleurs et l'argent ne manque plus dans cette ville qui connaît un véritable boom économique et culturel. Jazz, cabarets, fêtes, haute couture, luxe : les Parisiens sont avides de plaisir et d'insouciance dans cette ivresse collective qu'on appellera plus tard les « années folles ». Dans sa chambre de l'hôtel Crillon, Victor Lustig, un jeune homme de bonne famille, est soucieux. Il a dépensé sans compter depuis son arrivée dans la capitale, multipliant les folies et les excès, et se retrouve maintenant sans le sou. Alors qu'il parcourt le journal en quête d'un éventuel travail, une nouvelle va particulièrement attirer son attention.

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La Tour Eiffel, dont la construction a commencé en 1887 afin d'être inaugurée lors de l'exposition universelle, coûte cher à l'État. Très cher, même. Son entretien nécessite de dépenser tellement d'argent que plusieurs voix se sont élevées ici et là pour réclamer son démantèlement, qui était initialement prévu vingt ans après sa construction en 1909. Victor Lustig a alors une idée folle : il va vendre cette Tour Eiffel qui coûte si cher à la France. Ce sera, assurément, l'escroquerie du siècle qui achèvera de le rendre extrêmement riche.

Il faut dire que l'homme a une certaine prédisposition pour la filouterie. Né en 1890 dans une famille bourgeoise à Hostinné, en République Tchèque (à l'époque Autriche-Hongrie), il n'a jamais montré une quelconque attirance pour le travail. Doté de qualités intellectuelles supérieures, extrêmement doué pour les langues étrangères, ses parents l'envoient étudier à Dresde en Allemagne et rêvent d'une brillante carrière d'avocat pour leur fils. Mais sa scolarité est laborieuse, et Victor Lustig n'envisage pas de passer sa vie le nez plongé dans des livres de droit. Une fois adulte, il quitte la République Tchèque et commence à gagner sa vie en jouant aux cartes – en trichant, évidemment.

C'est sur les paquebots qui font la liaison transatlantique qu'il découvre les cercles de jeux enfumés où se retrouve le gratin des ponts supérieurs venu s'encanailler. Fréquentant les passagers des cabines les plus luxueuses, il apprend rapidement les bonnes manières, le langage et la mise aristocratique de la haute société. Mais la Première Guerre mondiale va mettre un terme à son aventure maritime, la navigation étant devenue dangereuse à cause des attaques incessantes de la marine allemande. Lustig choisit alors de s'installer aux États-Unis. C'est là, plus qu'ailleurs, dans cette patrie de l'Oncle Sam qui a connu un développement économique sans précédent, qu'il est certain de pouvoir faire fortune grâce à ses talents d'escroc.

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À juste titre, puisqu'il est très doué pour ça. En se faisant passer pour un comte richissime en quête d'investissements fructueux, il parvient à convaincre plusieurs grandes banques de lui prêter beaucoup d'argent, qu'il ne compte bien sûr absolument pas rembourser. Avec un magot conséquent en poche, il va faire la rencontre d'Al Capone, célébrité du crime et chef incontesté de la pègre américaine. Apprenant que ce dernier cherche à s'introduire sur le « marché » des faux billets, Lustig réussit à l'arnaquer en lui vendant une machine à fabriquer des petites coupures pour 50 000 dollars. Recherché par la police suite à son arnaque avec les banques, craignant que Capone ne cherche à se venger, Lustig préfère ne pas s'éterniser et repart pour l'Europe, direction Paris. Il ne mettra pas longtemps, dans la Ville Lumière, à dilapider, dans toute une série de fêtes et d'excès, les sommes importantes qu'il a gagnées de l'autre côté de l'Atlantique.

Mais pour vendre la Tour Eiffel, et pour se refaire, il lui faut un plan. Notre escroc va donc fabriquer, dans un premier temps, de faux documents officiels attestant qu'il est mandaté par le gouvernement français et par la société d'exploitation de la Tour pour vendre dans le plus grand secret – les Parisiens sont en effet très attachés à la Dame de Fer – les 7 000 tonnes de fonte et d'acier qui la constituent, son démantèlement étant prévu sous peu. Se glissant dans les habits d'un haut fonctionnaire, il entre alors en contact avec les plus gros ferrailleurs de la région parisienne. Tous sont intéressés mais un certain André Poisson l'est plus encore que les autres. Jeune et naïf, il vient de commencer dans le métier et semble avide de faire ses preuves, Poisson pense qu'il va réaliser l'affaire du siècle en achetant une énorme quantité de métaux à bas prix.

Rendez-vous est donc pris avec les ferrailleurs dans un salon discret du prestigieux hôtel Crillon. Manipulateur jusqu'au bout des ongles, Lustig fait monter les enchères. Après avoir emmené en limousine ses « pigeons » pour une visite en bonne et due forme de la Tour Eiffel – où, comble de l'audace, il réussira à ne pas faire la queue grâce à un énième faux document – et leur avoir demandé la plus grande discrétion sur cette transaction, il les laisse mariner quelques jours. Finalement, André Poisson le recontacte mais se montre un peu méfiant. Pour faire taire toute réticence, Lustig lui avoue sur le ton de la confidence qu'il est mal payé et qu'il souhaiterait un pot-de-vin pour conclure la transaction. Définitivement rassuré, Poisson lui signe un très gros chèque – 100 000 francs de l'époque, une somme colossale. Lustig l'encaisse et décide de partir très rapidement pour Vienne afin de ne pas se faire arrêter.

Quelques jours plus tard, André Poisson découvre la supercherie et réalise qu'il vient de se faire escroquer dans les grandes largeurs. De son côté, Victor Lustig mène grand train à Vienne tout en gardant un œil sur la presse française. Plus les jours passent, plus il se rend compte que quelque chose cloche. Dans la presse, pas un mot sur le forfait qu'il vient de commettre. Le malheureux André Poisson a en effet décidé, humilié jusque dans ses souliers, de garder le silence sur cette affaire. Il n'a pas porté plainte, et pas un seul journaliste n'est au courant de la vente de la Tour Eiffel.

Avec une incroyable audace, Victor Lustig décide – avant que son escroquerie ne soit connue – de revenir à Paris et d'essayer de vendre une seconde fois la Dame de Fer. Même stratagème, second acheteur intéressé mais celui-ci – dont le nom n'est pas resté dans les annales – se montre particulièrement méfiant. Il demande à Lustig de plus en plus de justificatifs et propose de conclure l'affaire en présence du maire de Paris et du président de la République de l'époque, Gaston Doumergue. Lustig sent que ce coup-ci, les choses se corsent. Il décide d'en rester là et s'enfuit une seconde fois pour se réfugier aux États-Unis sous une fausse identité – il en aura eu plus d'une vingtaine au cours de sa vie.

C'est finalement 10 ans plus tard, en 1935, qu'il se fera arrêter à New York pour trafic de fausse monnaie. Il sera condamné à 15 ans de prison. Le génie qui avait vendu la Tour Eiffel et escroqué le chef de la pègre américaine s'éteindra, sous le nom d'emprunt de Robert Miller, le 11 mars 1947 des suites d'une pneumonie, au centre médical des prisonniers fédéraux de Springfield dans le Missouri.