Insultes, flirts et apéros, bienvenue dans la caravane du Tour
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Insultes, flirts et apéros, bienvenue dans la caravane du Tour

Voici le récit d'une Grande Boucle vécue de l'intérieur avec les caravaniers qui, comme les 198 coureurs présents cette année, ont débuté leur Tour ce 2 juillet 2016.

En ce jour de grand départ, les routes de Normandie sont blindées. Un bob Sköda est jeté par-ci, quelques bonbons Haribo par-là, et voilà que le public se jette dessus comme un mort de faim. Et hop, une main d'enfant écrasée dans la bagarre ! Ah mince, c'était en fait pour un vulgaire porte-clés… Répétée année après année, la scène frise parfois l'hystérie. Rassemblés depuis des heures sur les bords de la route, de nombreux spectateurs sont venus pour la fameuse caravane publicitaire, plus que pour les acharnés coureurs du Tour.

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Outre le coup d'œil aux chars des grands sponsors de la mythique Grand Boucle, la plupart veulent repartir avec leur petit cadeau d'une marque partenaire. La fierté de ramener un petit goodie gratos, aussi insignifiant soit-il. Si bien qu'à cet instant, l'esprit animal prend parfois le dessus, une petite bière réchauffée ou une vieille vinasse aidant… Harnachée sur une voiture l'année dernière, Cassandre a connu cette folie, bien trop souvent : « Au début, je tentais de capter leur regard, mais ça ne sert à rien, les gens ne regardent que ta main… »

Et si jamais ils n'ont rien, certains se souviennent pourtant subitement qu'ils ont des êtres humains en face d'eux. Pas forcément pour s'en soucier… « Je dis souvent aux filles que le risque numéro 1, c'est de recevoir de l'eau, le deuxième, de la bière, et le troisième, de la pisse, regrette Sylvain Monneret de l'agence Alentours, une des sept chargées de la gestion des véhicules de la Caravane. Mais ça reste un épiphénomène. » Si des remerciements sont plus fréquents, mieux vaut néanmoins être prévenu de la présence de Hollandais bien attaqués pour ne pas être choqué dans la montée de l'Alpe d'Huez !

« L'an dernier, les gens nous demandaient des stylos mais recevaient des porte-clés, renchérit Léa Prael, de nouveau chez Bic en cet été 2016. Et quand ils ne sont pas contents, ils renvoient ça sur la voiture. » Les « Mickey, t'es bonne ! », « Haribo, radin ! » ou « Cochonou, salope ! » sont les autres traductions littérales des plus gros mécontentements croisés en bords de route, en l'absence de réception d'un cadeau. « Une insulte par étape, ça fait 22 ou 23 au total seulement sur plus de dix millions de personnes croisées, souvent des gens bien », relativise Sylvain.

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Si ce spectaculaire et festif défilé d'ouverture de chaque étape du Tour attire toujours autant, c'est aussi le cas des jobs saisonniers de la caravane, en majorité occupés par des jeunes. Même si certains habitués sont encore là, du haut de leurs 45 balais, après 14 ou 15 éditions. Pour les rencontres et l'aventure. Léa se réjouit par exemple d'allier travail et passion du voyage : « L'an dernier, on avait dormi dans un superbe petit village perdu vers Mende, c'est génial de pouvoir découvrir ces coins paumés ! » Surtout dans des hôtels parfois insolites ou mignons, où le terroir local est souvent au rendez-vous dans les assiettes du dîner.

« Quand on aime bouger, c'est ouf, relance Cassandre. Utrecht ou le Sud-Est, je ne connaissais pas du tout. L'Aveyron par exemple, je ne savais pas qu'on avait de tels paysages en France… Quand tu manges un aligot après une telle grosse journée, quel régal. » A condition de supporter d'occasionnelles averses de grêle en passant un col, ou une interminable journée de canicule en plaine, avec leurs entêtants jingles pubs que les sonos vomissent et qui obligent parfois à mettre des boules quiès. Ce sont les risques de ce job saisonnier de trois semaines, qui rassemble en majorité des jeunes femmes, pour la plupart hôtesses ou animatrices, et de jeunes hommes, quant à eux aux volants des voitures.

« L'an dernier, on avait dormi dans un superbe petit village perdu vers Mende, c'est génial de pouvoir découvrir ces coins paumés ! » – Léa, caravanière sur le Tour de France

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D'ailleurs, le cliché voudrait qu'il n'y ait que des beaux et des belles gosses. « C'est vrai que le jour du rassemblement avant le départ, tout le monde se regarde et se juge, reconnaît Cassandre en rigolant. Et on voit quand même qu'on est toutes calquées sur le même modèle. » Alors côté recrutement, le physique compte-t-il vraiment ? « C'est plutôt l'allure et la prestance en fait, puisqu'elles doivent être souriantes et dynamiques, on n'est pas discriminants non plus », nuance Sylvain Monneret, qui reçoit chaque année 700 candidatures spontanées.

« Le permis, l'expérience et la motivation comptent aussi, complète l'intéressé, coordinateur de la Caravane Bic ce mois-ci. Aussi, on demande toujours si elles n'ont pas de problème de santé, et si elles font un peu d'activité parce qu'il ne faut pas se tromper non plus. Enfin, le plus important pour moi, c'est la personnalité de la fille, qu'elle s'entende avec les autres pour ne pas craquer, que ça ne devienne pas handicapant. » Longues heures de travail en équipe, repas toujours en commun, chambres partagées… Sans se forcer, c'est mieux en effet.

La sociabilité semble donc obligatoire dans cette aventure aux allures de colonie de vacances. Les possibilités y sont vite décuplées, dans un moment un peu hors du temps, où tout s'accélère. « Une soirée normale peut vite tourner en "ah tiens, nous voilà dans le jacuzzi, assume une ex-caravanière qui a souhaité garder l'anonymat. Avec la vie en communauté, on est encore plus dans une bulle, c'est une ambiance à part. Donc forcément, si t'y vas pour choper, t'as grave moyen de choper. » Entre ces inconnus venus de partout, dragues et flirts alimentent les potins au quotidien, aux seuls moments où tous les caravaniers sont rassemblés, avant le départ de chaque étape ou à une arrivée en haut d'un col, lorsqu'une énorme bataille d'eau se déclenche.

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Les habitués, eux, ne manquent jamais de vite repérer la nouveauté et donc la chair fraîche. Les soirées Caravane – en milieu et fin de Tour – organisées par ASO (qui chapeaute l'événement dans son ensemble) servent parfois à choisir parmi ses prétendants ou à concrétiser certains fantasmes, open bars aidant. « L'année passée à Paris, lors de la dernière soirée, plusieurs ont évidemment fini dans les chambres d'autres », nous concède un pensionnaire de la Caravane. « Ce qui se passe sur la Caravane reste sur la Caravane », nous explique un autre.

Il y a quelques années, l'histoire raconte néanmoins qu'une soirée à la lumière noire avait favorisé la formation de nombreux couples éphémères, dont certains avaient terminé dans les champs alentours. Le mythe parle même d'un nombre élevé de capotes retrouvées dans la foulée. Chaque cuvée a ses propres histoires, plus ou moins endiablées. La soirée du 10 juillet 2015 a probablement déjà marqué l'édition 2016. Comme chaque été, les commérages ne manquent donc pas le matin, au moment de raconter les anecdotes de chaque hôtel.

Le soir, les apéros par petits groupes favorisent aussi les rapprochements. Mais n'imaginez pas pour autant la jaille du siècle pendant trois semaines. Le rythme des journées est intense. A distribuer des goodies ou à conduire, il s'agit de ne pas s'endormir, d'abîmer un véhicule ou de vomir dedans, ce qui arrive quand même à certains… Quand ils ne sont pas grillés en rentrant déchirés au petit jour sur un véhicule officiel à la veille d'une journée de repos.

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Briefés sur la sécurité (et par exemple sur le lancement des goodies, au sol et le plus loin de la route possible), les caravaniers sont aussi pistés. Quatre gendarmes dédiés à la Caravane veillent pendant ces trois semaines, en contact radio avec les chefs des véhicules des marques. Responsable des « Bic'ettes » cette année, Léa Prael complète: « Ils peuvent même effectuer des contrôles de vitesse sur la route, et d'alcoolémie, voire de stupéfiants, avant le départ. » La déconne a des limites.

Avec plus de légèreté, « Radio Caravane » est aussi par moments le support de bonnes anecdotes. L'histoire d'une hôtesse oubliée par son chauffeur après une pause pipi (à l'issue de laquelle il faut galérer pour retrouver sa place dans la Caravane) tourne ainsi encore, deux ans plus tard. « Mais le flippe, ce sont les gamins seuls au bord de la route, reprend Cassandre. L'an dernier dans le Nord, j'avais manqué le lancement d'un goodie dans un virage, et le chauffeur derrière moi avait dû piler à deux centimètres d'un petit. »

La colonie est quand même là pour travailler, une erreur pouvant avoir de dramatiques conséquences. Le sérieux, lui, est souvent représenté par les premiers véhicules, à l'image de LCL. « Comme chez Haribo, ils sont très bien payés [près de 2000 euros, contre 1200 pour d'autres, ndlr], mais ils doivent être exemplaires et n'ont pas le droit de boire ni sortir le soir, nous confie une ancienne caravanière. Chez les autres, c'est souvent un peu plus cool ». La Caravane a sa hiérarchie et ses règles claires, différentes pour chaque agence.

Chez Alentours, sur le Tour depuis plus de 20 ans, la seule chose imposée est le respect des horaires à la minute. « Sans avoir la tête dans le sac, précise Sylvain Monneret, qui connaît les besoins du streetmarketing. Si leurs yeux tombent par terre, on leur fait forcément la remarque. Ensuite, on ne veut juste pas qu'ils aillent à perpète avec nos véhicules le soir et qu'ils soient vraiment à 0 en alcool le lendemain, c'est tout. » Propreté, ponctualité et gestion du temps de sommeil sont ainsi les maîtres-mots, devant la fatigue et la pression.

C'est souvent le conseil donné aux petits nouveaux. Avec un Tour de France et un Tour d'Espagne à son actif en 2015, Léa a pris l'habitude des longues journées débutées entre 6 et 7 heures et terminées après minuit à l'issue d'un bon resto du soir. « Il faut savoir gérer, ne pas vouloir tout faire, sortir à droite à gauche… On peut vite se laisser emporter par l'excitation. Mais il faut quand même profiter de chaque moment tous ensemble ! Parce que ça passe vite. » Jusqu'à l'été d'après.