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Sports

Et pendant ce temps-là, le Luxembourg vit l’Euro par procuration

Le Grand-Duché ne se qualifiera jamais pour l’Euro, mais les différentes communautés prennent le relais pour que le pays profite de la fête. Et s’il était là, le véritable sens de cette compétition ?
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Vingt-quatre pays qualifiés à l'Euro 2016, autant de peuples ayant gagné le droit de vibrer devant les matches de leur sélection nationale, et forcément des laissés pour compte. Les Luxembourgeois font partie de ceux-là. Derniers ex-æquo de leur groupe de qualification, les "D'Roud Léiwen" n'ont toujours pas réussi à décrocher le moindre ticket pour les phases finales d'un tournoi international. Ce petit pays semble condamné à suivre avec amertume et envie les parcours de ses voisins français, belges ou allemands, qui ne se priveront pas de faire la fête sous leurs fenêtres. Par curiosité et un brin de provocation, nous sommes allés demander aux Lulus comment ils allaient occuper la période de l'Euro.

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Ce samedi 11 juin après-midi, au lendemain de l'ouverture de l'Euro, Luxembourg-Ville est groggy. Banquiers et fonctionnaires européens se remettent de leur semaine et les rares promeneurs rentrent la tête dans les épaules à cause de la pluie qui tombe sur la capitale. Autant dire que trouver un fanatique de la 146e sélection au classement FIFA relèverait de l'exploit. Christian Bock, avocat et handballeur international luxembourgeois, résume bien le rapport de ses compatriotes avec le ballon rond. « Bien évidemment, je supporte le Luxembourg quand il joue, mais comme il ne participe jamais à de tels championnats, je ne peux pas dire que ça me prenne beaucoup de temps, reconnaît-il. Tu sais, la plupart des Luxembourgeois ont des origines allemandes, françaises, italiennes ou portugaises, de sorte qu'ils supporteront souvent ces nations ». En gros, à défaut d'avoir une équipe qui tienne la route, le peuple luxo se console grâce à ses diverses communautés qui permettent au pays de profiter malgré tout des festivités. 46,7% des 576 200 habitants du Grand-Duché sont des étrangers (en 2016), contre environ 8% en France, sans compter les 165 300 travailleurs frontaliers (en 2014), dont une majorité de Français, qui fréquentent le pays chaque jour.

Expatrié au "Lëtzebuerg" (Luxembourg en luxembourgeois, ndlr) depuis 6 ans, Charles a déjà pu prendre un peu la température lors des dernières coupes du monde et championnats d'Europe. « Tous les prétextes sont bons pour aller picoler ensemble et voir un bon match entre Européens », se pâme le designer français, conscient de vivre dans un des États fondateurs de l'UE, qui héberge la Cour de justice et la Cour des comptes. « On est habitués à vivre ensemble sur une petite surface et je pars du principe qu'on saura faire la fête ensemble, quelle que soit l'équipe que l'on soutienne », confirme Christian. De son côté, Charles le "Fransous" semble être en mesure de faire une typologie des différents supporters. « On côtoie les Belges qui semblent avoir une belle équipe cette année, les Allemands qui décorent les rétroviseurs de leurs grosses cylindrées de chaussettes noires, rouges et jaunes, les Italiens qui en font autant sur leurs Alfa Romeo. Et il y a bien sûr les Portugais, qui sont très communicatifs. Parfois trop. Si leur équipe gagne, ils peuvent klaxonner jusqu'à 2 heures du mat' en pleine semaine. Mais bon, le concert de klaxons, c'est valable pour chaque pays. Je trouve que les Allemands restent les plus sages, même si on m'a dit que les Français étaient peut-être les plus sobres ».

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Attablé à l'Insomnia, un café du centre, Bekhin frissonne dans son maillot rouge de l'Albanie. À la télé, son équipe est en train de se faire malmener par les Suisses. Cela fait quatre ans qu'il a quitté Tirana pour s'installer au Grand-Duché. « Ici, il y a du travail, c'est pour ça que je suis là, raconte-t-il dans un français hésitant. Par contre, en football, qu'est-ce qu'ils sont nuls ! ». Le bistrot est décoré pour l'occasion avec plusieurs drapeaux punaisés au plafond. L'aigle noir albanais fait face au lion rouge luxembourgeois. Le coup d'envoi de la deuxième mi-temps va être donné au stade Bollaert, Bekhin trinque avec deux amis, qui ont, eux, la double-nationalité luxembourgeoise et italienne. Alessandro, 16 ans, parade avec un t-shirt à l'effigie de Paolo Dybala de la Juventus : « Quand il y a un match de la Squadra Azzura, on se retrouve entre Italiens dans un café ou à la maison ». Bon Dybala est Argentin mais on lui pardonne.

Alessandro et Bekhin, spéciale dédicace à Nicolas Anelka.

Un peu plus loin, une fan-zone a été installée sur la place de la Constitution. Comme au Champs-de-Mars, on se fait fouiller à l'entrée, mais à l'intérieur, l'ambiance ressemble plus à celle du salon annuel des chirurgiens dentistes. Devant l'écran géant, une dizaine de jeunes albanais se serrent sous leurs parapluies et suivent le match d'un œil distrait. Sous une des tentes, on vend des maillots du Portugal et des statuettes à la gloire de Saint-Cristiano. José Ferreira Trindade prédit qu'une marée rouge autrement plus fervente déferlera dans toute la cité ducale, mardi lors du premier match de la Seleção. Avec un contingent de 121 000 ressortissants, il faut dire que les Portos ont les moyens de secouer le pays endormi en cas de victoire. « Le 10 juin, c'était la fête nationale portugaise et en même temps le début de la compétition. Je n'ai jamais vu autant de monde sur une place », s'enflamme le président du CAPA, une association culturelle représentant la communauté lusitanienne au Luxembourg. « Pour moi, le foot est un vrai moyen pour s'intégrer, estime l'ancien employé de compagnie aérienne Luxair qui a débarqué ici il y a 40 ans. Nous sommes une communauté certes, mais il faut savoir reconnaître que nous sommes très bien accueillis au Luxembourg. On ne doit pas se mettre tout seul à l'écart ».

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Julien s'est posé dans un coin plus calme, près du stand de bière. « Hier, c'était noir de monde, jure-t-il. Il y avait plein de Français, de Roumains aussi, preuve qu'il y a un vrai intérêt ici pour l'Euro ». Lui aussi est un binational belgo-luxembourgeois et son camp est déjà tout choisi. « Il n'y a pas de grand engouement autour des Lions Rouges. C'est une équipe d'amateurs, ils ont tous un boulot à côté. Moi je suis pour la Belgique. Lundi, pour le premier match des Diables Rouges contre l'Italie, toute la communauté belge sera réunie dans le quartier Clausen, devant l'Ikki. Grosse ambiance en perspective. Ça va être folklorique ! ». Le pauvre, s'il savait comment il va se faire chambrer après la victoire des Ritals. Puis Julien désigne du menton un homme élégant installé quelques tables plus loin. « C'est Xavier Bettel, le Premier ministre luxembourgeois. Je suis assez surpris de le voir là ». Tu m'étonnes, nous de même ! En France, difficile de s'imaginer aller parler ballon avec le chef du gouvernement, en toute simplicité, comme si c'était le maire de votre bled, pendant qu'il sirote un petit vin portugais à côté du stand merguez.

A gauche, le Premier ministre Xavier Bettel, fan à temps partiel des Lion Rouges.

« Pour nous, voir des gens de tous les pays se mélanger, c'est quelque chose que nous vivons au quotidien, mais avec l'Euro ça se concrétise encore plus que d'habitude », commente l'élu, en faisant la promotion du « vivre-ensemble », notion qui fait vraiment sens dans un pays aussi multiculturel. « C'est important de faire les choses les uns avec les autres, dans un moment où certains politiques essayent de nous diviser en critiquant le fait que les sélections ne seraient pas composée que de joueurs nationaux ». Sur le plan footballistique, il verrait bien une équipe surprise comme l'Islande l'emporter, histoire d'être sûr de ne pas créer de jalousies (nous n'avons pas croisé ou entendu parler d'Islandais pendant ce reportage), même si « une partie de [lui] soutient les Diables Rouges, puisque [son] mari est Belge ».

Jusqu'au sommet de l'État, l'équipe nationale luxembourgeoise ne déchaîne pas les passions. Au mieux, elle est évoquée avec tendresse. Au pire, elle est faite cocue en permanence par ses concitoyens qui préfèrent se blottir dans les bras d'autres formations plus séduisantes. Difficile de leur jeter la pierre : on serait bien emmerdé si on nous demandait de citer rien qu'un joueur luxembourgeois au rayonnement européen, en dépit de mon admiration toute personnelle pour l'ancien défenseur messin Jeff Strasser.

Pourtant, il doit bien y avoir des Lulus pur jus dans le lot qui ne peuvent compter sur aucune origine étrangère pour aller batifoler ailleurs ! « Quand tu es 100% Luxembourgeois, eh bien, tu es neutre, soupire Christian, avant de détailler les symptômes du mal luxo. Du coup tu te réjouis des bonnes performances des équipes sur le plan sportif, en appréciant leur de jeu, si elles se donnent à fond, etc. J'aime bien l'Angleterre parce que j'aime bien leur façon de vivre ce sport. La seule à qui je souhaite de perdre tous ses matchs, c'est bien l'Allemagne. Ils se prennent pour la meilleure des nations… Et puis mon antipathie est aussi due au contexte historique… (L'invasion de l'armée allemande puis l'annexion au Reich en mai 1940, leur est semble-t-il encore resté en travers de la gorge, ndlr). Sinon, comme on est une petite nation, on a tendance à supporter les autres petites nations quand elles sont opposées aux grands favoris ».

Un témoignage qui prouve le courage et la pugnacité nécessaires pour supporter le Luxembourg. Mais l'Islande et l'Irlande du Nord, qualifiées à l'Euro, pourraient être un motif pour continuer à entretenir la flamme. « Oh, on en a pris l'habitude à force de ne pas y participer, balance Christian dans un froid réalisme. Mais bon, l'espoir meurt en dernier, non ? ». #GiveThisTeamAWildCard