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​Arthur Ashe a remporté le premier US Open de l'histoire et changé le sport à jamais

Le 9 septembre 1968, Arthur Ashe devenait le premier tennisman noir à remporter un tournoi du Grand Chelem.

Tous les jeudis, VICE Sports revient sur un événement dans l'Histoire du sport qui s'est déroulé à la même période de l'année. C'est Throwback Thursday, ou #TT pour vous les jeunes qui nous lisez.

Quand il rentrera sur le court du stade Arthur Ashe vendredi pour sa demi-finale face à Novak Djokovic, Gaël Monfils aura certainement une pensée pour le vainqueur du premier US Open, en 1968. Car l'Américain est une de ses idoles.

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Ainsi le 25 juillet dernier, quand Monfils a remporté le Citi Open de Washington, il n'était pas heureux simplement car il s'agissait de la plus grosse victoire de sa carrière sur le circuit. Non, c'est aussi parce qu'il succédait au palmarès du tournoi à deux de ses idoles : « Quand je suis venu ici la première fois, j'ai vu les grands noms comme Arthur Ashe et Yannick Noah et je me suis dit "je veux être le prochain à côté d'eux". Ils ont été d'une grande inspiration pour moi. » Les deux sont les seuls tennismen noirs à avoir remporté des tournois du Grand Chelem.

Et le tournoi de Washington a une histoire intimement liée avec celle d'Arthur Ashe. Ainsi, en 1968, Donald Dell, capitaine de l'équipe américaine de coupe Davis, veut organiser un tournoi à Washington DC, trouvant absurde que des compétitions majeures soient organisées partout dans le pays, sauf dans sa capitale. Il demande à Ashe, dont il est l'agent, d'y participer. Mais celui-ci a une volonté : que le tournoi soit organisé dans un quartier où la communauté afro-américaine est très présente, pour que des Noirs puissent voir du tennis.

Lui a longtemps subi les discriminations d'un sport qui est l'apanage des classes aisées américaines. Adolescent, à Richmond en Virginie, où il est né en 1943, on lui interdit de participer au tournoi de la ville car il se déroule dans un parc "white only". Les lois ségrégationnistes sont encore en place, elles le seront jusqu'en 1965.

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Arthur Ashe commence sa carrière en 1960, en plein mouvement des droits civiques américains. Il devient rapidement un joueur majeur du circuit amateur, devenant en 1963 le premier joueur afro-américain à intégrer l'équipe de coupe Davis des Etats-Unis, une compétition qu'il remportera d'ailleurs cette année-là.

En parallèle de ses activités tennistiques, Ashe étudie à UCLA, d'où il sortira avec un diplôme en administration des affaires en 1966. Il devient ensuite officier dans l'armée américaine entre 1966 et 1968. C'est toujours en tant qu'amateur qu'il participe au premier US Open de l'histoire en 1968. C'est alors le début de l'ère Open, qui ouvre les tournois aux joueurs professionnels. Les US National Championships deviennent donc l'US Open, et Ashe n'est pas forcément l'un des favoris.

La Fédération internationale de tennis tâtonne encore avec cette arrivée des professionnels, et choisit donc d'organiser deux tournois à Forest Hills, l'un réservé aux amateurs, l'autre mélangeant amateurs et pros. Arthur Ashe remportera les deux. Pourtant, on attend plutôt les pros australiens cette année-là à l'US Open, Rod Laver en tête, avec Tony Roche, Ken Rosewall et John Newcombe à ses côtés. Autour de la compétition, on ne parle que de ça : la nouvelle ère dans laquelle entre le tennis, et ce tournoi qui paraît dévolu à un des Australiens.

Ashe, lui, est tête de série n°5. Il sort d'une demi-finale perdue face à Laver à Wimbledon, mais enchaîne les victoires, avec ce titre lors du tournoi amateur de Forest Hills ainsi qu'avec deux victoires lors des simples de la demi-finale de coupe Davis contre l'Espagne. Le natif de Richmond détonne avec son bien à lui : lunettes à grosse monture noire, flat top et calme en toutes circonstances, il est l'antithèse de son rival et compatriote Jimmy Connors. Son jeu, tout en élégance, est fait de montées au filet punitives à coups de volées précises et effilées, avec un revers à une main qui lui permet de mettre la balle où il veut. Le genre de joueur qui se permet d'essuyer ses lunettes dans son polo entre deux services.

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Durant cet US Open, il se défait de Roy Emerson en trois sets en huitièmes, du Sud-africain Cliff Drysdale en quarts (qui a éliminé Rod Laver au tour précédent) et tombe contre son coéquipier de coupe Davis Clark Graebner en demis. Ce match sera au centre de Levels of the Game de John McPhee, un des textes les plus salués du journalisme sportif, où l'auteur prend comme point de départ cette demi-finale pour peindre les portraits des deux joueurs, aux styles et venant de milieux complètement différents. Ashe remportera le match en quatre sets.

En finale, le 9 septembre, c'est un autre amateur inattendu qu'il affronte : le Hollandais Tom Okker, surnommé le Hollandais Volant, qui a éliminé Roche et Rosewall, têtes de série 2 et 3. Ashe a l'avantage du terrain, du gazon à l'époque - seul Roland-Garros, dans les tournois du Grand Chelem, se jouait sur une autre surface en ce temps-là - mais Okker lui mène tout de même la vie dure. Le match restera dans l'histoire du tournoi : cinq sets, 2h42, 14-12, 5-4, 6-3, 3-6, 6-3. Arthur Ashe mettra 26 aces dans la partie et finira sur une de ses volées de revers dont il avait le secret.

La remise du trophée fut cependant un peu amère : en tant qu'amateur, il n'a pas droit au prize money de 14 000 dollars et devra se contenter des 20 dollars par jour de participation à la compétition (soit 280 dollars). C'est Tom Okker qui repartira avec le gros chèque, faisant partie des "joueurs enregistrés" auprès de la Fédération internationale, soit des amateurs ayant le droit de recevoir de l'argent des tournois.

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A l'époque, alors qu'Ali devient le sportif symbole du Black Power et que Tommie Smith et John Carlos lèvent leurs poings gantés sur un podium de Mexico, on reproche à Arthur Ashe son manque d'activisme en faveur de la cause afro-américaine. Un jour, le révérend Jesse Jackson l'interpelle même, l'appelant à se faire entendre en tant que grand sportif noir américain. Ashe lui répondra : « Je ne le fais pas avec ma bouche, je le fais avec ma raquette. »

Et avec sa raquette, il ira notamment en Afrique du sud. Passé pro en 1970, année où il remporte son deuxième titre du Grand Chelem avec l'Open d'Australie, il est désormais un des joueurs majeurs du circuit. En 1973, il veut utiliser le tennis pour lutter contre l'apartheid. Ashe se rend à Johannesburg : c'est la première fois qu'un joueur noir participe au plus gros tournoi du pays. Cela fait sensation : tous ses matches sont suivis avec passion, les Sud-africains se prenant d'affection pour l'Américain.

Lui a une idée en tête : montrer au pays qu'on peut être noir, et jouer au tennis avec les Blancs, voire même les battre. Il espérait que voir un homme noir libre puisse inspirer les Sud-africains noirs. Ashe demandera même à ce que les spectateurs blancs et "non blancs" (comme étaient définis les Noirs selon les lois de l'apartheid) soient mélangés en tribune, mais c'était bien au-delà de son pouvoir. Néanmoins, il perdra sa finale face à Jimmy Connors, cette année-là et l'année suivante, échouant à faire de ces voyages en Afrique du sud un symbole total.

Il fera aussi plusieurs tournées en Afrique avec d'autres joueurs majeurs du circuit. C'est à Yaoundé en 1972 qu'il repère un Yannick Noah alors âgé de 11 ans. Après avoir tapé quelques balles avec lui, il sera tellement impressionné qu'il lui offrira sa raquette et fera part de sa découverte au président de la FFT Philippe Chatrier. Noah intégrera par la suite une section sports-études à Nice. Ashe deviendra un mentor pour le Français, les deux jouant en doubles dès 1978.

Ashe remportera un troisième succès en Grand Chelem à Wimbledon en 1975 face à Connors. Il devra arrêter sa carrière en 1980 après la découverte de problèmes cardiaques héréditaires. C'est lors d'une de ses opérations au cœur qu'il contractera le VIH, qui sera diagnostiqué plusieurs années plus tard. Ashe décèdera en 1993 d'une pneumonie liée au SIDA.

Arthur Ashe reste dans l'histoire, outre son palmarès, pour avoir ouvert la voie aux joueurs de tennis noirs, voire aux sportifs noirs en général. Les sœurs Williams ont toujours exprimé leur profond respect pour leur prédécesseur au palmarès de l'US Open. Mike Tyson est même allé jusqu'à se faire tatouer son visage sur l'épaule gauche. Dans un sport de country club pratiqué par la haute société, Arthur Ashe a montré, calmement et avec doigté, qu'un Afro-américain ayant grandi dans l'Amérique ségrégationniste pouvait bien devenir un champion.