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Sport

Le dernier jour du mercato m'a donné la foi

J’ai traîné avec des fans d’Arsenal qui ont failli perdre tout espoir

Lundi dernier était la date la plus étrange du calendrier footballistique : c’était le dernier jour du mercato. Qu’est-ce que ça a de si spécial ? C’est la dernière journée de cette période prédéfinie au cours de laquelle les clubs européens sont autorisés à acheter ou à vendre des joueurs.

Et comme si ça ne suffisait pas, les médias – et Sky Sports News en particulier – ont transformé cette mise au point bureaucratique en un jour férié pour les vendeurs beaux-parleurs, les supporters infidèles, les fans de la première heure et les passionnés de statistiques. Certaines personnes prennent un jour de congé, organisent des soirées et prétendent avoir croisé des joueurs dans des halls d’aéroports ou des stations-service, juste pour l’occasion. Ce phénomène a transformé des inconnus comme Jim White et Andy Burton en célébrités, et c’est devenu un jour plus important que la finale de la Coupe de la Ligue.

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Les gérants de clubs de foot, qui sont souvent franchement cons, obsédés par la compétition et persuadés d’être des négociateurs casse-couilles bourrés de talent, sont complices de cette dérive. Leur tendance à gérer l’équivalent de deux mois de travail à la dernière minute a pour conséquence de plonger le football anglais dans un chaos empreint de folie où tout est possible pendant vingt-quatre heures.

J’ai toujours suivi le dernier jour du mercato depuis mon canapé, mais cette année,  j’ai décidé de le vivre dans la rue. Je suis allé à l’Emirates Stadium, où un petit groupe de supporters d’Arsenal s’était rassemblé, en vue de célébrer la signature du génie à tête de poisson venu du Real de Madrid, Mesut Özil.

Arsenal a passé la majeure partie de ces dix dernières années à se tailler une réputation de club radin, embourbé entre les pétrodollars d’investisseurs milliardaires et les kilos de blé que la construction du stade a coûté. La signature d’Özil, c’était plus que la promesse d’un peu de créativité en milieu de terrain. C’était l’affirmation que le club avait la volonté de redevenir un club qui compte. Et si les supporters n’avaient pas Özil, les rues du nord de Londres risquaient bien de s’embraser.

Quand je suis arrivé, à la tombée de la nuit, un petit groupe de fans fringants était déjà rassemblé devant le stade. En tant que fan de Chelsea, j’étais assez mal à l’aise : j’avais l’impression d’usurper les émotionsde quelqu’un d’autre. Je me retrouvais derrière les lignes ennemies, et je ressentais par procuration les espoirs les plus secrets d’un groupe d’hommes qui semblaient tous attendre la naissance du même bébé.

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La foule était principalement composée de jeunes en survêtement regroupés sur des bancs qui se balançaient des références à des blagues Twitter, parlant à toute vitesse, tendus, en disant des trucs genre : « Tancredi Palmeri dit que Man U vient de faire une offre de dernière minute ! »

Mais ils avaient l’air plutôt contents, comme seuls peuvent l’être les supporters qui savent trouver leur bonheur dans l’agonie collective.

Au milieu de tous ces fans, on a trouvé une petite caméra de l’équipe de Sky Sports News. C’est marrant, quand on voit ça à la télé, on imagine quelque chose de classe, mais ils avaient l’air aussi perdus que les autres : c’était juste quelques mecs un peu gros qui avaient peur que quelqu’un pète leur matériel.

Ce type était le présentateur, Geraint Hughes. Il a passé la majeure partie du début de soirée vissé à son téléphone, à discuter avec des représentants de clubs, juste un peu trop fort, comme ma mère quand elle faisait semblant d’appeler le Père Noël pour lui dire de ne pas passer. Il ressemblait à un jeune adjoint affable du maire Quimby, des Simpson, son attitude ultra-professionnelle contrastant avec la foule hystérique de cailleras qui hurlaient derrière lui.

Son taf consistait à fournir une série de vidéos pour faire monter la tension tout au long de la soirée, au fur et à mesure que les événements se déroulaient, ce qui avait peut-être l’air d’une bonne idée en studio, mais sur le terrain, c’était un véritable cauchemar logistique.

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Voilà comment ça se passait : la caméra était chaque fois posée devant une partie différente du stade, la foule s’enflammait et se précipitait dessus puis attendait quelques minutes en chantant « Red Army, Red Army ».

Puis Geraint se pointait et tout le monde se réunissait autour de lui quelques minutes, pensant qu’il allait annoncer la signature d’Özil. Puis il disait : « Reculez, les mecs, on ne peut rien faire tant que vous êtes si près de la caméra », et personne ne l’écoutait.

Tout le monde finissait par reculer, la peur au ventre, comme si Geraint était un crieur public qui allait annoncer le couronnement d’un nouveau roi. Mais chaque fois, il se contentait de dire : « La patience est une vertu, et les fans d’Arsenal en ont un bon paquet ! » Puis tout le monde se barrait et allait vérifier sur Twitter.

Ça a duré comme ça pendant des heures, comme un genre de striptease informationnel assez bizarre. L’événement, d’abord passionnant, est devenu assez ennuyeux et la foule a commencé à se dissiper.

Plus l’annonce de la signature était reportée, plus le sens du drame s’emparait de la foule. Sur Twitter, tout le monde disait : « Ça doit être fait, maintenant » ou : « Il doit y avoir un problème. » Les gens ont commencé à insulter Arsene Wenger, le manager d’Arsenal. Même Geraint avait perdu son exubérance : il était sinistre. D’un jeune membre du clan Kennedy en campagne, il ressemblait maintenant à un chef scout qui vient de réaliser qu’il a oublié un gamin.

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Quand les sourires se sont transformés en mines déconfites, il est devenu évident que si le deal ne se faisait pas, ce pauvre Geraint allait devoir gérer la situation tout seul. Il serait peut-être pris à partie, simplement parce qu’il était ce qu’il y avait de plus proche de l’establishment footballistique dans le coin. Un peu comme quand des livreurs de repas à domicile voient leurs maisons brûlées par des anarchistes juste parce qu’ils travaillent pour la mairie de Westminster.

À un moment, Geraint s’est même fait jeter une canette dessus. Le porteur de bonne nouvelle était devenu un rouage de plus dans la machine oppressante qui s’acharnait à empêcher Arsenal de connaître la gloire.

La saga prenait une allure dramatique. La foule était de plus en plus tendue. Tout le monde avait l’air triste, perdu ou les deux à la fois, chaque fois que Geraint s’adressait à la caméra, comme si on venait de leur apprendre qu’ils allaient passer Noël dans le Terminal 5. Pourtant, un gars avait amené une patate pour emmerder les perdants du derby de la veille, les Spurs.

C’est ça qui est génial avec le foot : la charge émotionnelle est tellement grande qu’un mec est prêt à sacrifier la majeure partie de son lundi soir à faire passer une patate à la télé pour narguer des fans de Tottenham qu’il ne rencontrera jamais.

Et c’est arrivé. Juste après 22h30 – quatre heures trente après mon arrivée – la nouvelle que tout le monde attendait est enfin arrivée. Geraint a annoncé à la foule que c’était signé, avant même de faire son flan devant la caméra. Et elle l’a aimé. Il était maintenant l’homme détenant les parchemins qui bouleverseraient leur destin, le prophète des relations publiques, Moïse flanqué d’un micro. Un fan dans le fond a annoncé, enjoué : « On est les seuls supporters au courant, pour le moment ! » Ils sont devenus fous, l’ont submergé de membres et de tout l’attirail du club, et il ressemblait à un père égaré dans un concert de Pendulum.

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Les caméras se sont braquées sur les fans qui s’étaient lancés dans une danse généralisée, hurlant toutes les chansons dont ils se souvenaient, braillant, extatiques : « Özil est un Gooner ! », alors que les nuages argentés poursuivaient leur route au-dessus de leur tête.

On aurait dit que personne ne pouvait s’arrêter de sourire. Ce club a subi un paquet de merde ces dernières années, et ils étaient enfin de retour dans la cour des grands. J’ai eu l’impression d’assister à la naissance d’un nouveau roi.

Geraint s’était réfugié dans son camion, fuyant une pluie de poignées de mains et de selfies. Des bières circulaient et les masses, jubilantes, s’étaient lancées dans une parade faisant route vers le nord et Hornsey Road,  bloquant la circulation et frappant aux vitres des voitures.

Je me suis demandé si Mesut Özil avait un jour imaginé qu’il rendrait des Londoniens bizarres aussi heureux. Je n’étais pas sur place pour voir le carnaval qui a accueilli l’arrivée de Stephen Ireland à Stoke, mais là, c’était un vrai spectacle.

Les gens qui vont voir la photo ci-dessus vont sans doute y voir un acte de désobéissance civile ou une preuve supplémentaire que les fans de foot sont des délinquants débiles. Mais franchement, ça n’avait rien à voir avec ça. C’était une démonstration de pur plaisir, de joie irrépréssible ; le genre de chose qu’on voit rarement en public, surtout à Londres, et surtout de la part des fans d’Arsenal. Même les flics riaient, alors qu’ils détestent tout.

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Puis tout le monde a décidé de s’asseoir au milieu de la rue parce qu’ils « détestaient Tottenham ». Mais aucun fan de Tottenham n’était là pour voir ce serment d’allégeance : il n’y avait que des éboueurs et notre appareil photo (Geraint et les mecs de Sky Sports News étaient partis depuis un bail). Je comprends bien pourquoi les gens voient le dernier jour du mercato comme la commercialisation à tout-va du football, mais un sens de complicité candide se dégageait de l’ensemble.

J’ai fini par réaliser que cette dernière journée a rejoint le Panthéon des traditions britanniques pétées, avec la Morris Dance, Glastonburry, le carnaval de Notting Hill et le truc où des mecs poursuivent un fromage en descendant une colline. Ce phénomène existe dans tout l’Europe, mais seuls les fans de Premier League sont capables d’en faire une célébration hystérique collective. Parfois, on dirait qu’on préfère ça que le vrai football – peut-être parce que la triste vérité, c’est que malgré les moments d’éclat, 90 % des matches consistent à voir Jonjo Shelvey rater des ballons et Scott Parker jouer perso.

Les Anglais n’ont pas beaucoup de raisons de se réjouir, ces temps-ci, mais le foot reste quelque chose qui nous motive. Les gens qui étaient dans la rue hier soir ne sont pas du genre à appeler Stan Collymore pour se plaindre des arbitres, c’était des gens du coin qui aiment leur club, et qui voulaient faire quelque chose qui sortait de l’ordinaire, un lundi soir. Ils ont voulu prendre part au spectacle et au chaos que sont le dernier jour du mercato et le football en général.

C’était une expérience pleine de joie, revigorante et tendue, qui a un peu restauré ma foi en le football comme une force positive, une émanation de la communauté. Et c’est un putain de fan de Chelsea qui vous le dit.

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