Gloire, lose et raquettes éclatées : le destin tumultueux de Goran Ivanišević à Wimbledon

FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Gloire, lose et raquettes éclatées : le destin tumultueux de Goran Ivanišević à Wimbledon

Défait trois fois en finale, le tennisman croate a fini par remporter le tournoi londonien en 2001. VICE a retrouvé le géant serbe pour revenir sur son histoire hors du commun tissée avec Wimbledon.

Cet article a été publié à l'origine sur VICE Serbie

Si vous vous demandiez pourquoi les pays d'ex-Yougoslavie sont devenus une des places fortes du tennis mondial, il faut vous pencher sur l'immense carrière du tout aussi immense Goran Ivanišević. Bien que d'autres joueurs de la région avaient déjà accompli de belles choses sur le circuit ATP, aucun d'entre eux n'a accédé au statut de star réservé à ce serveur-volleyeur qui a marqué toute une génération. Le natif de Split a ouvert la voie aux champions d'aujourd'hui que sont Đjoković, Karlović, ou encore Čilić.

Publicité

Goran, c'est le genre de mec qui n'a jamais eu besoin de personne pour tracer sa route. Cette indépendance et cette capacité à écrire seul sa propre histoire lui a aussi valu quelques déceptions retentissantes, mais a surtout donné une saveur inégalable à ses succès. C'est simple, sur un match, Goran pouvait battre n'importe qui, comme il pouvait aussi se faire battre par le premier venu. C'est ainsi qu'il est entré dans l'histoire de Wimbledon, son tournoi préféré, en devenant, en 140 ans d'histoire, le seul joueur vainqueur du Grand Chelem londonien entré dans le tableau grâce à une wild-card. Il est aussi le seul joueur de l'ère professionnelle du tennis à avoir abandonné un match parce qu'il n'avait plus de raquette pour jouer. Il avait cassé les sept qu'il avait amenées avec lui sur le terrain.

Pour faire court, Goran est une énigme, un personnage insondable, qui oscille en permanence entre l'absurdité et le génie. On a pu se poser quelques heures avec lui au club de golf de Zaprešić, à une demi-heure de route de Zagreb. Là, il a pris le temps d'évoquer sa longue carrière.

VICE Sports: Salut Goran. Tout d'abord, qu'est-ce qui t'a poussé à te mettre au tennis ? Goran Ivanišević : Mon père était lui-même joueur et à Split le sport est très répandu, que ce soit le foot, le tennis, tu as toujours l'occasion d'en pratiquer. En plus, ma maison d'enfance était à même pas 20 mètres d'un court de tennis. Mon père m'y a donc emmené. C'est comme ça que j'ai commencé. Et tu sais quoi ? Dès mon premier passage sur le court, j'ai pété ma raquette. Je ne sais pas si j'avais vu des gens le faire ou si j'avais naturellement ça en moi, mais en tout cas je me souviens très bien d'être rentré chez moi avec la raquette explosée.

Publicité

C'était une époque différente. Il fallait faire ses preuves à l'école de tennis. Tu devais te contenter de suivre des cours au début, et c'est seulement après que tu pouvais commencer à faire des tournois. J'ai commencé les cours de tennis quand je suis entré en primaire, j'ai joué mon premier tournoi à Zagreb quand j'avais à peine neuf ans. Mon premier grand trophée, c'était les championnats de Yougoslavie à Zenica. J'avais 10 ans, c'était une grande surprise. Personne ne m'attendait à ce niveau, mais les gens ont peu à peu compris que j'étais un sérieux client.

Quand est-ce que tu t'es dit que tu allais devenir tennisman professionnel ?
C'était vers 14 ans. J'allais terminer le collège, et je me suis retrouvé à la croisée des chemins avec cette question en tête : fallait-il que je continue l'école ou que je me consacre à 100% au tennis ? Je savais que je ne pouvais pas concilier les deux si je voulais réussir dans l'un ou dans l'autre. Bien sûr, mes parents étaient décisionnaires en dernier ressort. On n'avait pas un sou. Pas un. Et moi je pétais raquette sur raquette. On était plein d'espoir parce que les sponsors me faisaient de grandes promesses, que j'étais convoité par pas mal d'entraîneurs, mais au final, on ne gagnait pas un centime. Alors mes parents ont décidé de vendre l'appart de mon grand-père, ils ont investi et m'ont fait confiance sans la moindre garantie que ça allait marcher. Ils savaient que déjà, à 14 ans, j'étais le meilleur. Pas seulement en Yougoslavie hein, le meilleur au monde. Mais pour autant, qui peut t'assurer que tu le resteras toute ta carrière et que tu pourras vivre décemment du tennis ? Personne n'a sorti sa boule de cristal pour rassurer mon père et lui dire : "Ton fils sera l'un des meilleurs au monde." Mon père, qui était diplômé de l'université, m'a alors dit : "Fils, je sens que tu seras meilleur au tennis que je ne le suis dans mes études." Il a sacrifié sa carrière pour que je réussisse la mienne.

Publicité

Goran, paye sa chemise très nineties // Photo publiée par VICE Serbia avec l'autorisation de MN Press.

Qu'est-ce que ça fait de découvrir cette vie de globe-trotter des cours quand on est encore gamin ?
On s'habitue à tout en fait. Mais au début, c'était très dur, tu voyages seul, tu n'as pas une thune pour te payer un coach, donc tu t'entraînes seul. Mais tu sais que tu as l'opportunité de percer, alors tu serres les dents et tu tentes ta chance. Le pire moment de ma carrière, c'était en 1988, pour les qualifs de l'Open d'Australie. Je m'en souviens comme si c'était hier. Juste avant que je parte, mon père m'appelle et me dit : "J'ai une mauvaise nouvelle. Ta soeur est malade, on doit s'occuper d'elle, donc il faut que tu te débrouilles seul désormais." Le traitement contre sa maladie était très cher et avait peu de chance de la soigner. Je n'ai pas dormi de la nuit. Je suis quand même parti pour l'Australie le lendemain. J'ai perdu au dernier tour des qualifs, mais j'ai gratté ma place dans le tableau final en tant que lucky loser. Je suis rentré dans le top 150 de l'ATP par la même occasion puisque j'ai atteint les quarts de finale du tournoi, personne ne l'avait fait avant moi. J'ai accédé à la 121eme place mondiale et surtout, je suis reparti d'Australie avec mon prize money en cash. De retour à Belgrade pour jouer la Coupe Davis contre le Danemark, j'ai débarqué avec les liasses de billets dans ma poche intérieure. Je n'avais pas dormi une minute dans l'avion, je flippais trop de me faire piquer mon pactole ! Le stewart m'a demandé à peu près 15 fois si je voulais enlever ma veste et la ranger ailleurs. Arrivé à la maison, j'ai tendu la veste à mon père en lui disant : "Voilà l'argent". Et je suis allé me coucher, épuisé.

Publicité

Comment s'est passée la découverte du très haut niveau pour toi ? Quelle est la plus grande différence entre le monde des juniors et le top 50 de l'ATP ?
Je me souviens qu'à l'US Open junior en 1988, je m'étais retrouvé avec des jeunes du calibre de Jim Courier, Pete Sampras ou encore Michael Chang. A l'époque, la plus grosse star, c'était Michael Chang. Personne ne s'intéressait encore à Sampras. Mais ça vous donne une idée de la densité de notre génération, sur les participants à ce tournoi, je pense qu'au moins 20 ou 30 joueurs ont atteint quelques années plus tard le top 50 de l'ATP. C'était une époque différente, où les jeunes parvenaient plus facilement à bousculer la hiérarchie qu'aujourd'hui.

Mais pour répondre plus précisément à la question, c'est vrai qu'il y a tout de même un vrai fossé. Je me souviens que peu après l'Australie, je me suis retrouvé à Scottsdale, en Arizona, à jouer Lendl en quart de finale. Trois semaines avant, j'étais encore dans ma chambre où j'avais affiché un grand poster de lui. J'avais l'habitude de l'encourager depuis ma télé et là, je me retrouvais face à lui sur le court. Mes jambes tremblaient. Il m'aurait crié "Bouh", je serais tombé à la renverse. On était à peine entrés sur le court qu'il avait déjà gagné le premier set. Ce genre de moment n'est pas facile à vivre.

A la fin du match, j'ai commencé à me détendre, j'ai même failli lui prendre un set. Là, je me suis mis à relativiser en me disant : " C'est pas si mal, c'est le numéro un mondial, et je ne suis pas si loin de lui." A mon retour à Split, tout le monde m'a demandé ce que ça faisait de jouer Lendl. J'ai fait le mec en répondant : "Pas grand chose en fait." Mais c'était sincère, c'est à ce moment que j'ai pris conscience qu'en effet, je pouvais vraiment battre des joueurs de ce calibre. Il me fallait juste encore un peu de temps.

Publicité

A part Lendl, est-ce que tu avais d'autres idoles ? J'ai lu que tu adorais McEnroe, ce qui semble logique vu les similarités dans vos jeux, mais y avait-il quelqu'un d'autre ?
McEnroe carrément, à cause de son côté impétueux et parce qu'il était gaucher. Mais j'ai aussi adoré Connors, Bjorn Borg, Wilander, Edberg, Becker. J'aimais tous les voir jouer. Je suis juste très vite passé du petit garçon avec ses posters dans la chambre à l'adulte qui pouvait prétendre à les battre. Toutes ces idoles sont devenus des rivaux, certains sont même devenus des amis.

Photo Stefan Djakovic.

Becker justement t'a battu en demi-finale de Wimbledon en 1990…
C'est un de mes joueurs préférés. Je venais de le battre à Roland quelques semaines avant, j'aurais dû remporter ce match. Mais le contexte était spécial pour moi, le court central, le public, personne qui ne pariait sur moi… Si j'avais un peu plus cru en moi j'aurais pu le battre, mais je n'avais pas assez de pression, j'étais trop dans mon rôle de challenger. C'est en tout cas à ce moment que j'ai compris que le gazon serait ma surface de prédilection pour les années à venir. D'ailleurs je pense que j'aurais pu gagner Wimbledon 5 ou 6 fois, mais bon, Dieu en a décidé autrement.

Comment qualifierais-tu ta relation à Wimbledon ?
Quand j'étais gamin, j'ai toujours aimé regardé Wimbledon. Le gazon me fascinait, je me demandais comment on pouvait jouer sur une telle surface. Je pensais que c'était le même revêtement que les pelouses de parcs de Split.

Publicité

Ensuite, j'ai découvert le tournoi en 1988. J'ai tout de suite adoré les sensations, le gazon est plus doux qu'au Queens, ça m'aidait au service. Et puis je sais pas, Wimbledon, c'est Wimbledon quoi, un mythe ! Cet attachement pour ce tournoi s'est d'ailleurs ressenti dans mes résultats je crois.

Enfin si on oublie ta défaite contre Nick Brown, un joueur classé 591e à l'époque…
Oh putain, y avait que moi pour faire des trucs pareils ! Je me suis fait des noeuds au cerveau ce jour-là. Mais c'est aussi pour ça que les gens m'aimaient bien, parce que j'étais imprévisible et faillible. Je suis arrivé sur le court comme si j'allais à la plage. Beaucoup trop relax. Mais petit à petit, les choses se sont compliquées, on a joué un quatrième set, mon bras a commencé à faiblir, à trembler. Au moins, j'ai rendu ce mec célèbre !

Hormis Wimbledon, tu as aussi participé aux deux premiers tournois olympiques, à Séoul et à Barcelone. Tu en gardes un bon souvenir ?
A Séoul, j'étais le plus jeune de toute ma délégation. Quand tu vois qui en faisait partie, en basket, en hand, je peux te dire que ça m'avait fait tout bizarre de me retrouver avec eux.

A Barcelone, le tournoi s'est joué sur ce qui était probablement la surface la plus lente de l'histoire du tennis. J'aimais bien ça, je jouais pas mal, mais il faisait incroyablement chaud et je jouais tous mes matches - simple et double compris - en cinq sets. En demi-finale contre Marc Rosset, qui a fini par remporter l'or, je n'avais plus de jus. Mais j'ai adoré le tournoi, il était tellement relevé ! Sampras, Courier, Becker et Edberg dans un même tableau, c'est du lourd.

Publicité

J'aime le tennis olympique, parce que le sentiment de pouvoir monter sur un podium avec une médaille et l'hymne de ton pays, rien que le fait de marcher dans le village olympique, c'est très spécial. J'ai fait quatre JO, et c'était à chaque fois différent et toujours très intéressant.

En 1992, c'est aussi l'année de ta première finale à Wimbledon. Un match très étrange…
Un peu oui, c'est vrai que j'étais le grand favori de cette finale qui m'opposait à Agassi. Tout le monde se demandait si j'allais gagné en trois, quatre ou cinq sets. Je venais de le battre sur terre et sur dur, et là on jouait sur le gazon, ma surface préférée.

Mais le truc, c'est que pour la première fois du tournoi, je jouais contre un crocodile, un mec campé en fond de court, ça m'a perturbé. A un moment, j'ai compris que j'allais perdre le match. Je ne me sentais pas bien, je ne pourrais pas expliquer pourquoi. J'ai perdu plusieurs jeux où pourtant il restait statique. Je servais double faute sur double faute. Puis ace sur ace, c'était bizarre vraiment.

Goran sur la "surface la plus lente de l'histoire du tennis" aux JO de Barcelone // PA Images.

Dans un autre registre, l'autre moment étrange de votre carrière à Wimbledon, c'est ce match contre Philippoussis en 1998. Vous avez tous les deux la même idée en même temps, à savoir frapper la balle de la tête, du coup vous vous mettez un coup de boule. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Je crois que je suis le joueur qui me suis le plus blessé tout seul de ma carrière. Je pense même que je pourrais en faire un bouquin, le titre ce serait : "Comment se blesser de manière originale". Mais en ce qui concerne cette histoire précise, je ne suis pas à blâmer.

Publicité

On jouait le double ensemble avec Mark. Mais il faut bien se dire un truc, le mec est australien, il ne connaît rien au foot ! Le pire, c'est qu'il croit qu'il est bon. Je me trouve au filet et la balle rebondit jusqu'à moi. Je veux la passer au ramasseur de balles en faisant une tête. Sans que je comprenne ce qu'il m'arrive, je me retrouve le cul par terre, comme si un TGV m'était passé dessus. Je vois du sang un peu partout, mais je ne comprends toujours pas. C'est là que je vois Mark et que je comprends qu'il vient de me mettre un énorme coup de boule involontaire.

Je suis rentré aux vestiaires pour me faire quelques petits points. A mon retour sur le terrain, je lui ai demandé : " Qu'est-ce que tu as foutu ?"

Tu t'es aussi fait des blessures plus graves, qui t'ont valu d'envisager de mettre un terme à ta carrière…
Pour comprendre combien j'ai souffert et comment j'ai fait pour m'en sortir, il faut revenir encore à 1998. Cette saison-là, les choses tournaient mal pour moi, je commençais à perdre confiance, mon bras me faisait souffrir et m'empêchait de bien servir, alors que c'est une de mes meilleures armes.

Trois ans plus tard, alors que le douleurs sont de plus en plus violentes, je dispute le premier tour de l'Open d'Australie sauf que je ne trouve pas le court où je dois jouer tellement je suis relégué sur les terrains annexes. Je cherche, je cherche, ça me rend complètement dingue. Il fait 800 degrés et je me dis : "Putain, comment j'ai pu en arriver là ?" J'ai même cru qu'ils m'avaient envoyé jouer sur le parking tellement j'étais au fin fond du complexe. Quand je suis entré sur le terrain, j'étais en colère, contre moi-même, contre le monde entier. J'ai donc perdu ce match royalement histoire de me débarrasser de cette partie pourrie. Dans l'avion du retour, j'ai longtemps réfléchi et je me suis dit : " Soit tu continues à jouer, et tu joues bien, soit tu prends ta retraite, mais tu ne peux pas continuer comme ça."

Publicité

Qu'est-ce que ça a déclenché en toi ?
J'ai enchaîné avec plusieurs challengers puis j'ai joué ma wild-card pour Wimbledon contre Christiano Caratti, que j'ai perdue en jouant horriblement. Heureusement pour moi, j'ai fini par obtenir une invitation. Là j'ai fait un truc inhabituel, j'ai changé de raquette en cours de saison, ce que personne ne fait jamais. En même temps je me suis dit que je ne pouvais pas plus mal jouer. J'ai tout de suite aimé cette nouvelle raquette, rien que pour sa couleur - noire - et je me suis dit que les choses allaient tourner.

Les derniers entraînements avant le tournoi sont restés gravés dans ma mémoire. J'étais avec Nenad Zimonjić, un super pote à moi. Il m'a dit : "Je ne t'ai jamais vu servir come ça". Il n'a pas touché une seule balle au retour. Pas une. J'ai retrouvé ce son si jouissif de l'impact de la balle sur le tamis quand elle est vraiment bien frappée. Aucune idée de comment l'alchimie est revenue, c'est un mystère.

Service de boeuf mais putt d'artiste // Photo Stefan Djakovic.

Tu as quand même suivi une préparation spécifique avant ce Wimbledon…
Oui c'est vrai, j'ai annulé Roland pour m'entraîner à Split tout en suivant la fin du championnat croate. Je me suis remis en forme physiquement même si j'avais des douleurs horribles au bras. Je me suis dit que j'allais servir à fond malgré tout, jusqu'à ce que mon bras se démette s'il le fallait. Et je me disais que si ça arrivait, je quitterais le court déçu, mais la tête haute.

Une fois lancé dans le tournoi, quand est-ce que tu as cru en tes chances ?
Après le deuxième tour, où je jouais Moya. J'ai vraiment senti que mon service était de retour et que quelque chose de grand allait se passer pendant la quinzaine. La presse ne croyait pas en moi, mais Pat Cash, qui est plutôt connaisseur, me défendait, et je lui ai donné raison en battant successivement Roddick, Rusedski, Safin, puis est arrivée cette demi-finale contre Henman.

Ce match était assez fou. Toi qui revenait de nulle part, et Henman pour qui c'était une des dernières occasions de briller à domicile…
C'était effectivement sa première demi-finale contre un autre joueur que Sampras, sa bête noire. Toute l'Angleterre et tout le Royaume-Uni étaient derrière lui. A la télé, tout le monde le voyait déjà en finale et se préoccupait de qui serait son adversaire en finale plutôt que de s'inquiéter du match contre moi. Je ne l'avais encore jamais battu, mais je me disais quand même : " Calme, les gars, calme, il ne m'a pas encore tapé!".

Puis le match est arrivé. Il a duré trois jours. J'ai bien démarré en remportant le premier set, j'aurais dû gagner le second, mais je l'ai perdu et là tout a basculé. Henman me dominait complètement, il m'a détruit au troisième set. La pluie nous interrompt au quatrième à 2-1 pour lui. Dans les vestiaires, j'étais comme un fou. C'est là que Jovan Savić, le sparring-partner des Williams, est entré dans la pièce. C'est un mec très drôle, il a commencé à me balancer blague sur blague, et je me suis marré. Il m'a fait oublier l'enjeu et m'a relaxé. Puis l'arbitre nous a expliqué que le match était reporté au lendemain à cause de la pluie. Là, j'ai su que quelque chose avait changé et que j'allais gagner.

Je pense vraiment que sans la pluie, Henman m'aurait terminé en une demie-heure. Mais le lendemain, je jouais de mieux en mieux, lui bafouillait son tennis. La fin était inéluctable, il n'a pas su saisir sa chance.

Il te restait un dernier obstacle, et pas des moindres, puisque tu joues la finale contre Rafter…
Je pense que c'est la finale de Wimbledon avec la meilleure ambiance de l'histoire du tournoi. C'était plus proche d'un stade de foot que d'un court de tennis, rien à voir avec ce qu'il se passe habituellement à Wimbledon.

Paradoxalement, le fait que je n'ai eu qu'un jour de repos m'a aidé. J'étais encore sur ma lancée, je me suis levé à 5 heures du matin, tout excité. Rafter a eu une toute autre approche du match, il a dû attendre le vendredi soir, le samedi, puis le dimanche. En revanche, en terme de jeu, la finale n'avait rien d'exceptionnelle. C'était ma quatrième finale à Londres, lui sa seconde. On était très bons amis, mais l'un d'entre nous devait gagner et l'autre perdre. Il avait gagné deux US Open, hors de question de lui laisser ce Wimbledon. Le tournoi était pour moi.

Effectivement ça s'est vérifié. Toute la Croatie t'a fêté en héros…
A mon retour, je me suis même dit : "Comment est-ce possible qu'autant de monde se réunisse pour fêter les succès d'un seul homme ?" Split était en feu. Toute la côte était en feu. La mer était en feu. Il n'y a pas de plus belle récompense que lorsque la ville à laquelle tu t'identifies te célèbre et te montre autant d'amour, de respect. C'est ma ville, et j'ai une histoire très spéciale avec elle. One love man.

Merci beaucoup Goran, et bonne chance pour le futur avec Thomas Berdych (il est l'entraîneur du joueur tchèque, ndlr).