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Comment Julius Yego est devenu un champion du javelot grâce à YouTube

Le Kényan a grandi dans un pays qui privilégiait la course de fond plutôt que les autres disciplines. Il a donc commencé à regarder des vidéos sur Internet pour devenir le meilleur lanceur de javelot du monde.
Kirby Lee-USA TODAY Sports

La communauté du javelot est en train de s'habituer aux champions venus de milieux improbables. Traditionnellement chasse gardée des Est-Européens - le Tchèque Jan Zelezny a ainsi gagné trois titres olympiques entre 1992 et 2000 - deux des champions récents de ce sport viennent de pays qui n'ont aucune culture javelot.

Trinité-et-Tobago est connu pour ses sprinteurs et ses joueurs de cricket, pas pour ses lanceurs de javelots. Et pourtant il y a quatre ans, Keshorn Walcott, encore adolescent, a surpris son monde en décrochant l'or aux JO de Londres dans une discipline qu'il pratiquait depuis trois ans à peine. Il avait choisi le javelot par accident en déconnant avec des amis dans la cour de récréation d'une école. Mais même l'histoire improbable de Walcott n'est rien en comparaison de celle du Kényan Julius Yego, champion du monde en titre et favori pour l'or à Rio. Yego a appris à lancer un javelot en regardant des vidéos sur Internet, une histoire qui lui a voulu le surnom de "YouTube Man" dans son pays.

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« Il n'y a rien qui de mieux que la sensation de lancer un javelot, arriver à bien le faire et le regarder voler, explique Yego. C'est juste la perfection. C'est pour ça que je dis aux gens que le javelot vit en moi, c'est devenu vital. J'ai toujours su ça depuis que j'ai commencé. Je suis naturellement fait pour ce sport. »

Yego a attrapé le virus du javelot à l'école primaire, et a fait ses premiers pas dans la discipline de la manière la plus rudimentaire qui soit. « J'ai commencé par lancer des bâtons contre des garçons de l'école, raconte-t-il dans un rire. Il faut bien vous rappeler que j'habitais dans un endroit qui n'avait pas de routes, pas de voitures, pas d'électricité. Tout le monde courait à pieds nus pour aller à l'école. On taillait donc des javelots à partir de branches d'arbres. J'étais déjà dans la compétition à cet âge-là. Je voyais les autres garçons lancer leurs bâtons aussi loin qu'ils le pouvaient et je pensais pouvoir les battre. Je m'entraînais seul dans la ferme de ma famille, quand je devais surveiller les vaches. »

Quand il était plus jeune, Yego rêvait de devenir footballeur, mais au collège, il réalisa que l'athlétisme pouvait lui offrir les meilleurs chances de faire une carrière sportive. Il a grandi à Cheptonon, un village rural dans la région de Tinderet dans le district de Nandi, la région du nord du pays où se trouve la Vallée du grand rift qui a vu naître tant de grands coureurs kényans. Yego se sentait alors naturellement obligé de faire de la course de fond. Mais il réalisa assez rapidement qu'il n'avait pas les prédispositions naturelles.

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Désormais, le costaud Kényan fait 1,75m et 84 kilos, un physique plus proche du sprinteur que de l'athlète d'endurance. C'est ce qu'il avait déjà remarqué à l'âge de 13 ans. « Une fois, deux mecs m'ont mis deux tours pendant une course scolaire de 10 000 mètres, raconte-t-il. Je savais que ce n'était pas fait pour moi. »

Sa première rencontre avec un vrai javelot standard de compétition, en métal, révéla par contre un vrai talent naturel et précoce. Sans réel entraînement, il lança ainsi à 47 mètres à l'âge de 14 ans, puis améliora son record personnel pour atteindre 56 mètres l'année suivante. Il fit rapidement de la compétition aux niveaux district et national, en ayant un œil sur le record national junior qui datait de 1987, 67,43m. Yego était déterminé à aller plus loin, mais deux obstacles majeurs se tenaient sur sa route.

Le premier était son père. Déterminé à s'assurer que son fils sportif passe ses examens et aille à l'université, Wilfred Yego allait le chercher sur les pistes d'athlétisme et demandait à ses profs qu'il passe plus de temps à étudier qu'à faire du sport. « Mon père était très strict, explique Yego. Il détestait que je passe autant de temps à faire du sport. Cela le mettait très en colère et je ne lui disais pas quand je partais faire des compétitions. C'est compréhensible, ceci dit. Mes parents venaient d'un milieu assez pauvre. Ils avaient une ferme où ils cultivaient le maïs et la canne à sucre, et comme la plupart des parents africains, ils pensaient que les études étaient le moyen le plus sûr pour que leurs enfants aient une vie meilleure. »

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A 17 ans, Yego bat le record national junior avec un jet à 71 mètres, une performance impressionnante pour un athlète sans entraîneur qui n'avait même pas l'équipement basique pour un tel événement. Sans crampons, Yego lançait avec des basket de running.

Au vu du manque de résultats historiques du pays dans les compétitions de lancers, le Kenya n'avait pas de coach qui aurait pu l'aider à progresser. Ils n'étaient pas non plus très intéressés par l'idée de venir en aide à un lanceur de javelot. Leur priorité était la course de fond. « C'était incroyablement frustrant, raconte Yego. Après avoir battu le record national en juniors, je pensais que ma carrière allait débuter. Mais ce fut l'inverse. J'ai même pensé tout arrêter. Je ne pouvais m'entraîner nulle part dans le pays. J'étais complètement seul, je n'avais aucun autre lanceur avec qui m'entraîner. Pas de coach. Pendant un certain temps, je n'ai pas eu le moral. Il n'y a que des coureurs au Kenya, courir était tout ce qui leur importait. Mais j'étais déterminé à ne pas abandonner, et j'ai finalement eu une idée. »

En 2009, Yego va au cybercafé du coin et commence à regarder des vidéos de lancer de javelot sur YouTube et plus particulièrement celles de ses héros Andreas Thorkildsen, champion olympique à Athènes et Pékin, et Tero Pitkamaki, champion du monde en 2007.

« J'ai étudié leurs techniques et ce qu'ils faisaient et j'ai essayé de reproduire cela le jour suivant à l'entraînement, raconte-t-il. C'était un moyen d'essayer de tirer au mieux profit de ma situation et de ce que j'avais à disposition. Je cherchais des points techniques très spécifiques comme l'élévation du javelot au moment du lancer. J'ai commencé à tout changer dans mon entraînement. Le javelot demande de la technique, de la puissance, de la flexibilité et de la vitesse, et je n'avais pas fait attention à tous ces aspects. Andreas était très puissant mais avait aussi la flexibilité d'un gymnaste. J'ai donc commencé à travailler des choses comme celles-là et cela a fonctionné. Mes lancers ont commencé à atterrir plus loin. »

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Un an plus tard, Yego concourt aux Jeux du Commonwealth 2010 à New Delhi, sa première compétition internationale. Mais il rencontre encore un autre obstacle majeur dans son combat pour que la fédération kényane prenne sa discipline au sérieux. En 2011, il manque presque les Jeux africains au Mozambique car les dirigeants refusent de financer ses frais de voyage. A la place, ils veulent envoyer un autre coureur. Désespéré, il les persuade quand même de lui laisser une chance.

La persévérance de Yego est alors récompensée. Il remporte l'or au Mozambique, battant le record du Kenya senior au passage. Mais surtout, son talent florissant est repéré par l'IAAF, qui l'invite à s'entraîner en Finlande. C'est là que Yego rencontre son premier entraîneur, Petteri Piironen, un homme qui changera sa carrière.

« Ma technique n'était pas géniale, explique Yego. YouTube ne peut que vous aider jusqu'à un certain point. Petteri m'a mis au point un régime d'entraînement que j'utilise encore aujourd'hui. »

En 2012, Yego devient le premier Kényan à participer au concours olympique du lancer de javelot, en se qualifiant pour Londres grâce à un lancer à 81,81m. Aucun Kényan n'était arrivé à une telle distance dans l'Histoire. Une 12e place à ces Jeux fut suivie d'une quatrième place aux championnats du monde à Moscou l'année suivante, le Russe Dmitri Tarabin lui volant une place sur le podium sur ses derniers lancers grâce à l'aide d'un public acquis à sa cause.

Mais l'heure de Yego n'était pas encore venue. L'an dernier, il a réalisé le lancer de sa vie, un record personnel monstrueux à 92,72m pour s'adjuger l'or aux championnats du monde à Pékin. La performance fit naître quelques rumeurs : le Qatar lui aurait offert 9,5 millions de dollars pour changer de nationalité. Des histoires que Yego réfute.

Car le plus important à ses yeux, c'est que les compétitions de lancers soient désormais connues au Kenya. « Nous avons beaucoup de talents dans ces disciplines, mais elles sont trop souvent mises à la marge au Kenya, dit-il. J'ai vu ça comme un challenge et ça m'a motivé pour réussir. J'ai encore pas mal de challenges, je m'entraîne sans entraîneur la plupart du temps, puisque je n'ai pas assez d'argent pour faire venir Petteri pendant de longues périodes. Mais mon histoire montre qu'il est possible d'être autodidacte et de réussir dans un sport. Peut-être que de plus en plus de monde suivra cette voie. »

S'il remporte la médaille d'or samedi soir à Rio, le garçon qui lançait des bâtons dans la ferme de son père verra que son histoire sera source d'inspiration pour beaucoup de monde.