Il y a 40 ans : le "Thrilla in Manila"

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Il y a 40 ans : le "Thrilla in Manila"

Mohamed Ali contre Joe Frazier. C’est vraisemblablement un des combats les plus terribles et fascinants de l’histoire de la boxe. Retour sur une opposition mythique.

Dans le genre "coup de comm' foireux", la fois où George Foreman a affronté cinq mecs le même soir se pose là. Alors que Foreman combattait son quatrième adversaire, tentant désespérément de placer le coup fatal que tout le monde attendait de lui mais qui semblait ne devoir jamais venir, Mohamed Ali était assis au bord du ring, répétant inlassablement le même mantra depuis le début de la soirée :

« Va dans les cordes ! Va dans les cordes ! »

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La technique, le fameux "rope-a-dope", qui avait permis à Ali de battre Foreman et de récupérer le titre de champion du monde des poids lourds était maintenant utilisée par de parfaits inconnus – qui avaient choisi ce soir-là d'affronter Foreman – pour épuiser le boxeur le plus puissant de la catégorie. Pendant que la quatrième "victime" de Foreman, Charlie Polite, se reposait dans les cordes et évitait soigneusement chaque coup porté par le champion, Ali lâchait un commentaire laconique à Howard Cossell :

« Ce mec utilise ma méthode… C'est un bon boxeur. »

Ce à quoi Cossell, ayant sous les yeux le palmarès de Polite, répondit en direct à la radio :

« Tu as tout faux, champion. Charlie Polite n'est pas un bon boxeur. »

C'était ça, le génie de Mohamed Ali. Il trouvait toujours un moyen de remporter un combat même quand il n'avait aucune chance. Cassius Clay était l'un des poids lourds les plus talentueux que le monde ait jamais connu, il était incroyablement rapide, même dans les derniers rounds quand les autres s'épuisaient. Du moins, jusqu'à ce qu'il quitte le monde de la boxe pendant trois ans. Quand Mohamed Ali fit son retour sur le ring, il était plus lent, plus lourd, et même s'il avait toujours son inimitable et une certaine agilité, il était inutile d'espérer qu'il conserve sa fraîcheur au douzième round.

Cet Ali-là était un modèle d'expérience et de malice. Il se battait comme un diable et dansait sur le ring pendant un round, avant de se reposer en encaissant patiemment au round suivant. S'il avait besoin d'un KO, il trouvait toujours la force d'envoyer valser son adversaire. S'il lui fallait quelques points, il savait envoyer quelques coups bien placés à la fin des rounds pour se mettre les juges dans la poche. S'il prenait un coup, il secouait nonchalamment la tête, comme pour faire croire aux fans qu'il s'était volontairement laissé frapper, et montrer que ça ne lui faisait rien.

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Quand Ali affronta Foreman pour la titre de champion du monde poids lourds en 1974, il semblait clair que Foreman était imbattable par quiconque, et tout particulièrement par un Ali vieillissant. Ali cognait moins fort que Foreman, et ses déplacements n'étaient pas assez vifs pour lui échapper. Faute de pouvoir le battre, Ali se réfugia dans les cordes. Après huit rounds passés à encaisser les coups de Foreman dans ses bras et ses gants, Ali se dégagea des cordes d'une pirouette, et, d'une droite bien placée, envoya un Foreman à bout de souffle mordre la poussière pour récupérer sa ceinture.

Mais petit à petit, les autres s'habituèrent au d'Ali. Après Foreman, le champion affronta un inconnu nommé Chuck Wepner, un combat tellement improbable qu'il inspira Rocky, et eut toutes les peines du monde à en venir à bout. Dans la foulée, il se fit malmener pendant onze rounds par Ron Lyle, avant de finalement l'allonger d'une droite et de le rouer de coups jusqu'à ce que l'arbitre mette un terme au combat. Clairement, Ali était sur la mauvaise pente.

Après une victoire contre Joe Bugner en Malaisie, Ali s'engagea pour un combat contre Joe Frazier. La nouvelle ne fit pas beaucoup de bruit. Il faut dire que c'était la troisième fois qu'ils s'affrontaient, et que les deux combattants n'étaient pas franchement au sommet de leur forme, surtout Frazier qui avait déjà perdu contre Foreman en 1973 et contre Ali en 1974. Personne ne pouvait se douter que ce troisième match serait le dernier grand combat des deux hommes. Et clairement, personne ne s'attendait à l'un des combats les plus violents et les plus intenses de l'histoire de la boxe.

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Smokin' Joe

Joe Frazier avait connu le pire sort qui soit dans le monde des sports de combat : être l'autre. Celui qui sera toujours dans l'ombre de la star. Quand un grand champion tire sa révérence, pour prendre sa retraite ou suite à une affaire controversée, celui qui prend sa place est toujours vu comme un second choix. C'est ce qu'il s'est passé quand Jim Jeffries, Gene Tunney ou Rocky Marciano ont raccroché les gants, et c'est aussi ce qui est arrivé quand Mohamed Ali s'est vu retirer sa licence pour avoir refusé de partir combattre au Vietnam.

Suite au retrait d'Ali en 1967, les instances dirigeantes de la boxe se mirent en quête d'un nouveau champion capable d'attirer les foules. La World Boxing Association organisa un grand tournoi poids lourds lors duquel Jimmy Ellis, pourtant franchement pas favori, s'imposa à la surprise générale. Ellis, qui s'entraînait avec Ali au début de sa carrière et était le poulain d'Angelo Dundee, utilisa des techniques d'Ali, et en particulier son fameux "anchor punch", pour livrer quelques-uns des meilleurs combats de sa vie.

La WBA avait invité pour l'occasion les huit meilleurs boxeurs du monde, mais n'était pas parvenue à attirer le n°1 et grand favori. Joe Frazier préféra plutôt affronter Buster Mathis pour le titre de champion du monde des lourds de la New York State Athletic Commission. Et quand il rencontra enfin Ellis pour savoir qui unifierait les ceintures et y ajouterait celle de champion poids lourds WBC, Frazier poursuivit sur son incroyable lancée en éclatant Ellis dans le 5ème round.

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Et Frazier, contrairement à tous ces autres, à tous ces champions de substitution qui l'avaient précédé, finit par avoir une chance d'affronter celui dont l'ombre l'écrasait. A peine le nouveau champion avait-il été désigné qu'Ali était de retour. Avec trois ans de plus au compteur et quelques kilos supplémentaires, Ali avait décroché quelques victoires peu convaincantes face à Jerry Quarry et Oscar Bonavena à la fin de l'année 1970, mais pour beaucoup il était toujours le meilleur. Quand vint 1971, toute la planète n'aspirait qu'à voir Ali et Frazier s'affronter.

« Le combat du siècle », comme il fut présenté, s'avéra être l'un des combats les plus attendus de tous les temps. L'anecdote veut d'ailleurs que Frank Sinatra n'ait dû sa place au bord du ring qu'à son accréditation en tant que photographe officiel par le magazine Time.

De leurs trois affrontements, c'est le premier qui vit Ali et Frazier se rencontrer au top de leur forme. Ali, tout comme Ellis, prit rapidement la mesure de Frazier. Alors qu'il était encore frais et que ses réflexes étaient affûtés, Ali n'eut aucun mal à marteler la tête de son adversaire de directs et de crochets du droit qui semblaient lui faire beaucoup de mal. Mais Frazier n'avait jamais misé sur la défense, ou sur la perfection. Il gagnait à l'usure, et laisser son adversaire se fatiguer faisait partie de son jeu. A partir du troisième ou du quatrième round, les coups se firent moins puissants et les esquives de Frazier devinrent plus faciles, presque mécaniques.

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Ses contres commencèrent à porter, et bientôt Ali se trouva coincé dans les cordes pendant de longs moments, ce qui permit à Frazier de le travailler au corps et de l'épuiser toujours plus. Il n'avait pas encore face à lui le Ali roublard des années suivantes ; celui-ci laissait encore ses côtes bien trop exposées.

Plus le combat avançait, et plus Ali semblait commettre l'erreur qui rendait Angelo Dundee fou de rage. « Ne rentre pas dans un duel de crochets avec ce mec-là ! », répétait sans cesse Dundee. Et rarement combat lui donna autant raison que ce premier match entre Ali et Frazier. Frazier exploitait chaque coup manqué pour placer ses crochets pendant que son adversaire récupérait de ses efforts. Quand Ali tentait un direct, il avait le temps de voir venir et d'encaisser. Quand il voulait tenter un crochet, il était forcé de se rapprocher, et son coup décrivait un arc au lieu de frapper droit. Frazier avait alors plus de temps pour se déplacer et esquiver, et avait moins de distance à parcourir pour répliquer. Les coups les plus terribles qu'Ali encaissa ce soir-là, il les dut à son manque de discipline et à son arrogance, lorsqu'il tentait d'échanger des crochets avec "Smokin' Joe".

Après 15 rounds, dont le dernier vit Ali s'effondrer, Frazier fut désigné vainqueur à l'unanimité.

Manille

Joe Frazier passa le reste de l'année 1971 à récupérer, et ne défendit sa ceinture qu'à deux reprises en 1972. Mohamed Ali, lui, disputa neuf combats au cours de la même période. Après avoir battu son vieil ami Jimmy Ellis pour remporter la ceinture poids lourds de la New York State Athletic Commission, il entama un tour du monde qui le fit voyager de la Suisse au Japon, et du Canada à Dublin. Ali fit parler de lui tout au long de l'année, comme s'il menait campagne pour avoir une chance de réaliser ce qu'un seul homme avait fait avant lui : récupérer le titre poids lourds. Et c'est au cours de ces matchs qu'Ali perfectionna son nouveau style, en utilisant les cordes, en gardant sa tête hors de portée de son adversaire, et en plaçant quelques coups au bon moment pour arracher les rounds.

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Après une défaite surprenante contre Ken Norton, et une victoire heureuse lors de la revanche, Ali était prêt à affronter Frazier de nouveau. Hélas, celui-ci n'était plus le champion, ayant été mis K.O. en deux petits rounds par le monstre qu'était George Forman. Lors du second combat entre Ali et Frazier, Ali parvint à le travailler par les côtés, tout en annihilant toute velléité de combat au corps à corps de son adversaire en lui attrapant sans cesse la tête. Pour Ali, le combat avait prouvé qu'il était désormais capable de battre Frazier. Mais pour Frazier, c'était une simple anomalie due au fait que l'arbitre n'avait pas empêché Ali d'ignorer volontairement les règles.

A la veille de leur troisième rencontre, à Manille, ce point cristallisait encore les tensions entre les deux camps. A tel point qu'on dut trouver un arbitre philippin à la dernière minute pour remplacer celui qui avait été initialement désigné. Carlos Padilla Jr., un ancien acteur, fut choisi.

La manière dont le clinch est perçu a beaucoup évolué au fil du temps. Si l'on repense à Jack Johnson et Jim Jeffries, c'étaient clairement des lutteurs, qui se contentaient généralement d'envoyer quelques coups de poing depuis le clinch. Dans les années 40, les boxeurs s'attrapaient parfois, mais la plupart du temps ils avaient de l'espace pour porter de vrais coups, comme quand Rocky Marciano a battu Ezzard Charles. Alors qu'aujourd'hui, l'arbitre intervient immédiatement dès que l'un des combattants tient l'autre plus d'une seconde, et plus personne ne sait se dégager convenablement. Quoi qu'il en soit, la manière dont Ali parvint à anéantir totalement le combat au corps à corps de Frazier lors de leur deuxième combat s'avéra crucial pour le maintenir à distance des cordes et ne pas se faire méchamment défoncer les côtes.

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Au-delà de leur rivalité et de quelques désaccords sur le règlement, les deux hommes entretenaient une relation assez tendue. Ils avaient pourtant été amis, à l'époque où Frazier donnait un coup de main à Ali en lui organisant de faux combats afin de lui offrir une certaine visibilité lorsque celui-ci était privé de licence. Mais les problèmes surgirent dès qu'Ali commença à attaquer Frazier dans la presse, surtout vis-à-vis de la communauté noire.

Le problème quand on place un boxeur sur un piédestal et qu'on en fait une figure majeur du militantisme politique, ce qui fut évidemment le cas d'Ali, c'est que les échanges précédant un combat peuvent vite tourner à la polémique. La décision d'Ali de présenter Frazier comme "le champion des blancs" et d'en faire une sorte d'Oncle Tom malgré lui fut l'une des plus cruelles de l'Histoire de la boxe. Frazier était issu d'une famille de treize enfants, et avait travaillé à la ferme auprès de son père dès son plus jeune âge. Ali, lui, n'avait jamais connu l'extrême pauvreté.

Quand Frazier avait remporté le titre de champion du monde poids lourds, Ali avait pourtant déclaré alors, en toute sincérité :

« Joe a quatre ou cinq enfants à nourrir. Il a travaillé dans un abattoir toute sa vie et il mérite tout ce qui lui arrive. Personne ne lui a donné ce titre. Il s'est battu pour l'obtenir. »

Mais ses moqueries envers Frazier et sa façon de le comparer sans cesse, physiquement, à un gorille rencontraient beaucoup de succès auprès des millions de fans d'Ali. Soudain, Frazier apparaissait comme le "méchant" auprès d'une communauté à laquelle il n'avait jamais rien fait de mal. Malgré tout ce qu'Ali a fait de bien et de juste au cours de sa vie, son attitude envers Frazier apparaît, aujourd'hui encore, injustifiable.

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"Thrilla in Manila"

Le plan de l'entourage d'Ali, c'était de frapper fort dès le départ. Ils avaient vu Frazier envoyé au tapis plusieurs reprises par Foreman, qui l'avait fini en deux rounds, et ils savaient qu'il était le plus vulnérable au début du match. Si on le privait de la possibilité de frapper, il était mort. Et dans le premier round, il apparut rapidement clair qu'Ali pouvait le mettre K.O., tant Frazier était sous le choc et subissait les droites de son adversaire.

Quand Frazier parvint enfin à envoyer Ali dans les cordes pour la première fois, et sembla prêt à asséner ses premiers vrais coups, il se prit immédiatement un violent crochet du fauche qui l'envoya valdinguer, alors qu'Ali se précipitait sur lui dans l'espoir de faire arrêter le combat le plus tôt possible.

Le deuxième round fut marqué par un tournant : l'arbitre, Padilla, lança un avertissement à Ali pour avoir attrapé son adversaire par la nuque. Le public explosa alors dans un mélange d'applaudissements et de huées. Ali recommença, et fut de nouveau averti. Alors que Frazier le poussait dans les cordes, Ali saisit le cou de son adversaire pour le repousser dans un coin. Padilla arrêta alors le match quelques instants et l'avertit à nouveau. De toute évidence, Ali allait devoir faire attention lors des rounds suivants.

Evidemment, les deux boxeurs se livraient déjà depuis le début du match à des coups bas dont Padilla semblait beaucoup moins soucieux. Ali n'arrêtait pas de repousser Frazier avec la paume de ses gants, tandis que Frazier frappait régulièrement Ali en-dessous de la ceinture, dans les hanches et les jambes.

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Privé de l'une de ses armes favorites, Ali pouvait difficilement attendre son adversaire dans les cordes. Alors que sa stratégie défensive s'était montrée efficace face à Foreman, dont les coups atterrissaient presque immanquablement sur ses bras, elle était beaucoup moins utile face à Frazier qui se montrait bien plus précis. Il plaçait ses coups à l'intérieur, derrière les coudes d'Ali. Sa droite semblait plus précise que jamais. Là où Foreman ne voyait que deux cibles, la tête et le torse, Frazier ne voyait que deux obstacles : les bras. Et partout où ils n'étaient pas, il cognait. Le commentateur, Ken Norton, remarqua d'ailleurs entre deux rounds qu'Ali ne pouvait pas utiliser la même stratégie que contre Foreman face à un boxeur bien plus malin et précis.

Dès le troisième round, Ali avait abandonné sa stratégie et échangeait des crochets avec Frazier. Exactement ce que Dundee lui avait dit d'éviter. « Fais pas ça, champion ! » hurlait Bundini Brown dans le coin d'Ali, alors que celui-ci s'entêtait tout au long du quatrième round. Ali passa la majeure partie du cinquième round acculé dans un coin, et tout le monde put voir ses faiblesses. Les commentateurs notèrent que le match commençait à ressembler à leur tout premier combat, dans lequel Ali avait d'abord semblé dominer son adversaire avant que Frazier reprenne progressivement le dessus. Le sixième round ne fut pas meilleur pour Ali, qui tentait désespérément d'utiliser son jeu de jambes, mais rien ne semblait fonctionner. Il atterrissait inlassablement dans les cordes, où il encaissait des coups dans les côtes.

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Ali sembla trouver son second souffle dans le septième round, et recommença à danser. Les débats s'équilibrèrent, et même si le combat devenait de plus en plus laborieux et éprouvant, les deux hommes en avaient encore dans les poings. Dans le huitième, Ali sortit des cordes pour surprendre Frazier et lui placer quelques coups bien sentis, mais Frazier répliqua immédiatement et le round se termina.

Progressivement, le rythme ralentit, mais les deux hommes plaçaient toujours des coups bien nets. Ce n'était pas une leçon de boxe, mais un combat à mort. Aux alentours du douzième round, Frazier commença à se faire plus lent, alors qu'Ali semblait gagner en rapidité. Frazier avait toutes les peines du monde à esquiver les coups, et ses pieds se dérobaient à tel point qu'il ne parvenait plus à atteindre les cordes sans encaisser d'abord beaucoup de dégâts.

Le round perdu

A la fin du treizième round, les deux hommes étaient couverts de sang et de bleus. Mais il ne restait plus que deux reprises. Eddie Futch, l'entraîneur de Joe Frazier, connaissait Ali mieux que quiconque. Sur les cinq hommes qui avaient déjà battu Ali, il en avait entraîné quatre. Des hommes aux gabarits et aux styles aussi opposés que Ken Norton et Frazier. Mais Futch connaissait aussi très bien Frazier, et il savait quelque chose dont peu de gens avaient conscience. Joe Frazier était presque aveugle de l'œil gauche depuis 1964.

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Son œil droit totalement gonflé par les directs d'Ali, il ne voyait quasiment rien alors que son adversaire faisait pleuvoir les droites tout au long des treizième et quatorzième rounds. Quand il regagna finalement son coin, Frazier y trouva Futch prêt à arrêter le combat.

Ce qu'ignoraient Frazier et son entourage, c'est que de l'autre côté du ring, Ali était au bord de la rupture. Juste avant le dernier round, Ali demanda à Angelo Dundee de défaire ses gants, révélant ainsi qu'il ne voulait pas retourner sur le ring pour la quinzième reprise. Dundee n'avait pas le génie d'Eddie Futch, mais c'était un maître dans l'art de la malice. Quand Ali ne faisait pas ce que Dundee lui avait demandé, Dundee faisait comme si, et le félicitait en lui répétant à quel point c'était magnifique.

C'est Dundee qui avait ouvert le gant d'Ali et lui avait offert de précieuses secondes pour récupérer dans son coin quand il était passé tout près d'être mis K.O. par Henry Cooper. C'est Dundee qui avait remis Ali sur pieds quand les gants de Sonny Liston étaient violemment entrés en contact avec ses yeux et qu'il n'y voyait plus rien pendant plusieurs rounds. Et c'était Dundee, à cet instant précis, qui feignait de ne pas entendre Ali, à peine capable de tenir debout, demander l'arrêt du combat, et qui le forçait à revenir sur le ring pour le quinzième et dernier round.

Ali revint à temps. Eddie Futch empêcha Frazier d'en faire autant.

Ce quinzième round qui ne fut jamais disputé demeure l'un des plus grands "et si ?" de l'histoire de la boxe. Au moment où l'arbitre arrêta le match, Frazier était debout dans son coin et semblait très déçu, alors qu'Ali s'effondra au sol et dut être relevé. Selon de nombreux observateurs, Frazier menait aux points. Et s'il avait continué ? Aurait-il gagné, ou aurait-il continué à encaisser des coups comme dans les deux rounds précédents ? Frazier pensait clairement qu'il allait l'emporter, mais son ami Eddie Futch n'était pas de son avis.

Si Ali fut déclaré vainqueur, ce fut une victoire à la Pyrrhus. Frazier, lui, ne s'en remit jamais vraiment, et resta toute sa vie dégoûté par l'issue de ce combat et la manière dont Ali l'avait traité en dehors du ring. Ce match est généralement considéré comme le dernier grand combat d'Ali, et honnêtement, il le passa à se prendre des coups. Ali remporta par la suite quelques matchs, et il en perdit d'autres, avant de connaître un coup d'arrêt brutal contre son ancien sparring partner Larry Holmes. La torture que sa tête et son corps subirent sur la fin de sa carrière (particulièrement lors de ces fameux combats où il se terrait dans les cordes et encaissait les coups de types aussi puissants que Foreman et Frazier), associée à sa maladie de Parkinson, ont contribué à faire naître le débat sur la moralité de la boxe et ses effets sur la santé des combattants. Pas seulement sur le ring, mais pour le restant de leurs jours.

Joe Frazier, lui, remonta sur le ring face à Foreman en 1976. Après avoir été écrasé par la puissance de Foreman dans le cinquième round, il raccrocha les gants et vécut à Philadelphie jusqu'à sa mort en 2011. Et en 2014, la ville rendit enfin hommage à son plus grand champion en lui érigeant la statue qu'il méritait.

Le nouveau livre de Jack, Finding the Art, est disponible sur Kindle. Vous pouvez aussi le retrouver sur son blog, Fights Gone By.