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Interviews

Le terroriste de Nice est-il vraiment lié à l'État islamique ?

Alors que l'organisation vient de revendiquer l'attentat, on a demandé à Romain Caillet, spécialiste des mouvements djihadistes, s'il s'agissait d'une déclaration opportuniste.

Capture d'écran d'un reportage de VICE sur l'État islamique

L'attaque commise à Nice le 14 juillet 2016, qui a coûté la vie à au moins 84 personnes, vient tout juste d'être revendiquée par l'Etat islamique (EI), via son agence Amaq. À ce stade de l'enquête, aucun lien n'a été réellement établi entre cette organisation et le terroriste – qui n'a pas « fait allégeance » au moment de passer à l'acte. Toutefois, depuis 2014, Daech encourage ses partisans à commettre des attaques avec les moyens dont ils disposent, sans attendre d'en avoir reçu l'ordre. De plus, le mode opératoire de l'attentat de Nice fait clairement penser au mode opératoire de l'EI.

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Ces dernières semaines, à Orlando et à Magnanville, des individus en lien avec l'EI ont planifié des attentats de manière solitaire – l'organisation s'étant « contentée » de les revendiquer par la suite. Cette logique, que l'on pourrait qualifier de « terrorisme de proximité », semble se généraliser. Afin de mieux l'appréhender, nous avons interrogé Romain Caillet, spécialiste des mouvements djihadistes.

Le communiqué en français d'Amaq, « agence de presse » de l'État islamique

VICE : Comment interpréter la revendication de l'attaque de Nice par l'État Islamique, alors que son auteur ne lui avait pas fait allégeance ?
Romain Caillet : En ce qui concerne Nice, une revendication « opportuniste » est peu probable. L'État islamique a déjà refusé de revendiquer des attentats dont il était à l'origine, mais il n'a jamais revendiqué quelque chose à tort.

Pourquoi l'État islamique a-t-il déjà refusé de revendiquer un attentat dont il était l'organisateur ?
En fait, la revendication n'est pas automatique. Parfois, l'attentat est « raté » et l'EI ne veut pas revendiquer. C'est le cas de l'attaque contre l'aéroport d'Istanbul – l'attentat a provoqué la mort d'individus qui n'étaient pas des cibles de l'organisation, par exemple un Ukrainien et un Iranien. L'attentat à Médine a été catastrophique pour leur image. On n'a pas retenu que l'attaque avait visé des policiers saoudiens. Ce qui est resté, ce sont les images des pèlerins en détresse, choqués par l'explosion.

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L'EI évite de revendiquer des actes qui pourraient déplaire à des sympathisants un peu indécis. À Nice, on n'est pas dans ce cas de figure, puisque les partisans de l'EI se sont réjouis sur les réseaux sociaux.

Ces dernières semaines, plusieurs attentats ont été commis par des terroristes agissant seuls, notamment l'attaque du Pulse à Orlando et le meurtre de policiers à Magnanville. Passe-t-on d'un terrorisme organisé à un terrorisme de proximité ?
Vous savez, il y a toujours eu des actes isolés. Si l'on « compare » ces deux attentats avec celui de Nice, on peut surtout mettre en avant le fait que Mohamed Lahouij Bouhlel, le conducteur du camion, ne semble pas lié à la mouvance djihadiste. Je crois qu'il n'était même pas fiché S.

À Magnanville, Larossi Aballa était quelqu'un de connu chez les djihadistes. À Orlando, il en allait de même pour Omar Mateen, dont les motivations étaient très politiques. Il était en contact avec l'EI. L'un de ses proches était parti en Syrie. Apparemment, il avait menti aux autorités américaines lors d'un interrogatoire, où il avait affirmé ne pas connaître le Hezbollah, ne pas connaître la rivalité entre Al-Qaïda et l'EI. Il était sous surveillance.

En novembre 2014, l'État islamique avait incité ses partisans à commettre des attentats par tous les moyens, véhicules compris. Al-Qaïda dans la péninsule arabique a encouragé les attaques avec des véhicules et les « assassinats professionnels » dans son magazine anglophone Inspire. Y a-t-il un tournant dans la stratégie des groupes djihadistes ?
En novembre 2014, en raison des frappes occidentales en Syrie et en Irak, l'État islamique est passé d'une stratégie locale à une stratégie globale. Il souhaitait riposter, frapper les pays occidentaux et multiplier les attaques, jusqu'à ce que cela devienne insupportable pour l'opinion publique. L'objectif était de forcer l'Occident à se retirer de la coalition anti-EI.

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Au niveau fonctionnel, envoyer des gens depuis la Syrie ou l'Irak vers les pays occidentaux n'est pas évident, même s'ils sont formés. De plus, l'organisation possède plus de sympathisants en France que de combattants français chez eux, en Irak ou en Syrie. Enfin, conduire un véhicule et foncer dans une foule ne nécessite pas de compétence particulière.

Après, il ne faut pas oublier qu'à Nantes, en 2014, un type avait foncé dans la foule – on avait évoqué ses antécédents psychiatriques. C'est peut-être la même chose à Nice. Un 14 juillet, on peut imaginer quelqu'un qui sait qu'il va y avoir du monde, qui pète les plombs, mais qui n'est pas nécessairement lié à cette mouvance djihadiste. En tout cas, on peut exclure qu'il ait été formé par l'EI – sinon, l'attaque aurait été revendiquée plus tôt.

On a tendance à parler de « loups solitaires », mais ce terme est-il approprié ?
Ce qui est le plus intéressant, c'est d'observer comment les djihadistes ont intégré ce concept de « loup solitaire » et l'inscrivent désormais dans leur propagande. Aujourd'hui, on trouve des montages mêlant loups et djihadistes, par exemple.

On comprend ce que veulent dire les experts lorsqu'ils parlent de loup solitaire – on visualise l'image d'un terroriste dans son coin, qui ne parle de son projet à personne. Mais, pour l'instant, il n'y a pas d'exemple de terroriste complètement solitaire. D'ailleurs, il y a à peu près un an, après l'attentat raté du Thalys, un djihadiste marocain en Syrie avait affirmé qu'il fallait aider les « loups solitaires » en Europe en leur suggérant une liste de cibles, de personnes à exécuter, pour qu'ils sachent quoi faire.

Je vois. Merci M. Caillet.