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Drogue

Brève histoire de la loi sur le cannabis au Canada

À la veille d’une grande étape dans la législation sur le cannabis au Canada, voici une brève histoire de son illégalité au pays, qui aura duré un peu plus d’une centaine d’années.

Canada, nous y sommes – presque : le gouvernement fédéral est sur le point de déposer un projet de loi précisant de quelle manière les citoyens pourront fumer du pot pour le plaisir en toute légalité. Ce sont les derniers jours du règne de la répression.

Quand exactement a commencé ce long périple vers la liberté? Permettez-moi de vous raconter une brève histoire des nombreuses tentatives de l'État pour casser le party.

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La prohibition des drogues au Canada a débuté en 1908, après une visite à Vancouver du premier ministre d'alors, Mackenzie King. Il s'y rendait au nom du gouvernement en raison de l'émeute de l'Asian Exclusion League, un groupe raciste qui a saccagé les quartiers chinois et japonais. Des manufacturiers d'opium demandaient compensation, mais, après avoir rencontré bon nombre de militants contre l'opium, Mackenzie King a conclu que c'était la faute de l'opium, que sa consommation était devenue dangereusement populaire chez les Blancs. Promptement, le Canada l'a interdite.

La Loi sur l'opium adoptée en 1908 interdisait la possession, la vente et la fabrication d'opium à toutes fins sauf médicales. En cas d'infraction, on s'exposait à une amende de 50 $ et à une peine de prison d'un mois. Elle a été suivie en 1911 de la Loi sur l'opium et autres drogues, en vertu de laquelle la consommation d'opium devenait une infraction distincte. De plus, cette nouvelle loi interdisait l'usage et le trafic de morphine et de cocaïne. Dans les années 20, la Loi sur l'opium et les drogues narcotiques a rendu plus sévères les peines relatives à la consommation et au trafic de drogue. La durée maximale de la peine de prison est passée de un à sept ans, la possession ainsi que le trafic pouvaient dorénavant entraîner une déportation.

C'est par une modification de cette loi en avril 1923 que la marijuana a été ajoutée à la liste des substances réglementées au Canada.

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Il est intéressant de noter qu'à l'origine la prohibition des drogues était donc liée à un racisme éhonté contre les Asiatiques : rendre la possession d'opium passable de déportation cadrait bien avec la loi de l'immigration chinoise de 1923, appelée « loi d'exclusion des Chinois ».

Des historiens mentionnent aussi que The Black Candle d'Emily Murphy, l'une des Célèbres cinq, grande partisane de l'eugénisme, a joué un rôle dans la prohibition du pot. Entre autres, elle affirmait dans son livre que les Mexicains – des participants à un complot de toutes les races inférieures du monde en vue de mener un génocide blanc – rendaient les Blanches dépendantes à la marijuana pour les changer en folles esclaves sexuelles destinées à leur chef négroïde. Avec autant d'imagination, on n'a pas besoin de drogue.

D'après d'autres historiens, The Black Candle n'a pas eu d'influence. Même si l'ère du jazz au Canada était absurdement raciste, ils estiment que le gouvernement fédéral n'a pas pris au sérieux les fantaisies paranoïaques d'Emily Murphy. Selon eux, s'il a ajouté la marijuana à la liste des substances réglementées, c'est que c'était ce que faisaient à ce moment tous les autres pays qui participaient aux conférences internationales sur la drogue. Faire comme les autres est une mauvaise chose seulement quand il s'agit de consommer de la drogue, pas quand il s'agit de la criminaliser.

Longtemps, ensuite, on ne s'en est pas fait avec le pot. La première saisie n'a eu lieu qu'en 1937. Plus tard, entre 1946 et 1961, il n'y a eu que 25 condamnations relatives au cannabis. Dans les années 60, par contre, les baby-boomers – des enfants à cette époque, bien avant de devenir les monstres d'aujourd'hui – ont découvert qu'être complètement gelés et écouter Elvis était vraiment le fun. Comme toujours, quand les enfants s'amusent, l'État intervient pour y mettre un terme.

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Le nombre de condamnations relatives à la marijuana est monté en flèche : de 20 en 1962, il est passé à 2300 en 1968, puis à 12 000 en 1972. Comme les sentences pour possession, même d'une faible quantité, allaient jusqu'à six mois de prison en plus d'une amende de 1000 $, ça a ruiné l'ambiance. La combinaison de cette sévérité contre les contrevenants et de la grande popularité de la marijuana a forcé le gouvernement à réagir de la seule façon qu'il connaît : lancer une commission d'enquête gouvernementale pour étudier le problème pendant des années dans l'espoir que bientôt la population arrête d'en parler et qu'on puisse ne rien faire.

La Commission d'enquête sur l'usage des drogues à des fins non médicales, appelée Comission Le Dain, du nom de son président, a publié son rapport en 1972. Dans l'intervalle, plus de 12 000 personnes ont participé aux audiences, notamment John Lennon en décembre 1969.

Dans ce rapport, trois des quatre auteurs de la Commission, Gerald Le Dain, Heinz Lehmann et J. Peter Stein, ont recommandé au gouvernement fédéral d'annuler l'interdiction de cultiver du cannabis et d'en posséder de faibles quantités pour un usage personnel. La quatrième, Marie-Andrée Bertrand, a proposé la légalisation complète et une réglementation de la marijuana inspirée de celle de l'alcool. Naturellement, le gouvernement a ignoré la plupart des recommandations, et ce, pendant 30 ans.

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En 2000, une cour d'appel de l'Ontario a jugé que l'interdiction de posséder du cannabis était inconstitutionnelle, car elle comportait une exemption juridique pour ceux qui en consomment à des fins médicales. Le gouvernement fédéral a dû légaliser la marijuana à des fins médicales l'année suivante. Cette décision a inauguré quinze ans de débats dans les tribunaux d'un océan à l'autre à propos de détails logistiques. Par exemple, en 2015, un juge a décidé qu'il était légal de manger des brownies à la marijuana à des fins médicales. En 2016, un autre juge a décidé qu'une loi interdisant aux usagers de marijuana à des fins médicales de faire pousser leur propre plant était inconstitutionnelle.

Après un siècle de stagnation, le gouvernement libéral de Paul Martin a présenté à deux reprises un projet de loi pour décriminaliser le cannabis. La première tentative, en 2003, est tombée à l'eau quand le gouvernement s'est prorogé. Même sort pour la deuxième quand le gouvernement a perdu le vote de confiance qui a déclenché les élections de 2006.

Ensuite, Stephen Harper. Le Canada a régressé vers l'âge de pierre de la législation sur le cannabis. Les conservateurs ont instauré des peines plus sévères pour le trafic de marijuana, dont une peine minimale obligatoire de deux ans pour quiconque est trouvé coupable de vente de cannabis à des mineurs ou près d'une école, ou partout où des mineurs peuvent se trouver, ou dans n'importe quel espace public où il est concevable qu'une personne mineure puisse passer, n'importe quand, dans le passé, dans le présent et dans le futur. Pour ceux qui sont pris à cultiver du cannabis, il a aussi haussé les peines maximales de sept à quatorze ans. Après tout, le cannabis est « infiniment pire » que le tabac, dixit Harper, et ceux qui en font pousser sont des monstres.

Ironie du sort, les projets de loi des conservateurs ont échoué à deux reprises, tout comme ceux des libéraux. Le premier à cause d'une prorogation en 2009 et le second parce que le gouvernement a perdu un vote de confiance au début de 2011. En 2015, Justin Trudeau a été élu après avoir promis de légaliser la marijuana, et c'est là que nous en sommes.

La morale de l'histoire? Fumer du pot tous les jours si ça vous chante, ça vous regarde.

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