Pour un football sans flash-ball ?
Un policier armé d'un flash-ball lors d'une manifestation à Nantes, le 24 mars 2016. Photo : Stéphane Mahé/Reuters

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Pour un football sans flash-ball ?

Le flash-ball jouit d’une réputation sinistre dans les tribunes des stades de France, où les blessures se sont multipliées ces dernières années. Retour sur l’histoire houleuse d’une arme qui a marqué les relations entre supporters et police.​

Vendredi 20 octobre 2017. En marge d'un match Saint-Étienne/Montpellier plutôt anonyme, les ultras célèbrent un bien triste anniversaire. Celui de la grave blessure subie par l'un des leurs, Florent Castineira, surnommé « Casti », il y a cinq ans de cela. À l'époque, ce membre de la Butte Paillade (un groupe montpelliérain, ndlr) essuie un tir de flash-ball à l'occasion d'un match contre les Verts. Pour lui, le bilan est sans appel : œil droit massacré et traumatisme à vie. Cinq saisons plus tard, personne dans le monde des supporters n'a oublié. À l'initiative des Green Angels, un groupe stéphanois, les murs de tôle ondulée de l'usine Verney-Carron, fabricant de flash-ball français fondé à Saint-Étienne, sont recouverts d'une immense bâche. Le message, simple et lapidaire, traduit l'indignation qui couve depuis des années parmi les ultras de toute la France : « Stop Flash-ball. » Un vœu pieux qui ne semble pas près de se réaliser, à voir le nombre d'affaires de blessures plus ou moins graves faites par cette arme dans les rangs des supporters ces dernières années.

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Raconter les relations souvent houleuses et parfois violentes entre le mouvement du supportérisme français et les autorités, c'est raconter l'histoire du flash-ball, né dans les usines Verney-Carron, donc, au début des années 1980. Initialement destiné aux particuliers, le flash-ball a progressivement intéressé les policiers qui finissent par en adopter une version spécialement retravaillée en 1995. « Claude Guéant, alors directeur général de la police nationale, autorise par circulaire l'achat, sur leurs fonds propres, de flash-balls par les Brigades anti-criminalité, le GIPN et la BRI », peut-on lire sur un article publié par la revue Lundi Matin et repris sur le site Internet du collectif Désarmons-les. La circulaire précise que les fonctionnaires de ces unités devront bénéficier d'une formation spécifique, et que l'usage de ces armes, « susceptibles d'entraîner des lésions graves », doit être conditionné au respect du « cadre strict de la légitime défense ».

La manifestation des ultras montpelliérains, rejoints par des groupes venus de toute la France, pour demander justice pour Casti.

Si les règles d'engagement des flash-balls font que le tireur n'a pas le droit de viser la tête ou de tirer à moins de sept mètres d'une personne qu'il cible, des blessés graves (comme Ali Alexis en 1999 à Villiers-sur-Marne) sont vite recensés. Ce qui n'empêche pas le développement de cette arme - puis du LBD 40, censé être plus précis mais qui s'avère surtout plus puissant, à partir de 2007 - dans la totalité des services de police et son apparition autour et dans les stades de football en France. Rapidement, quelques cas de tirs lors de matchs sont d'ailleurs répertoriés (Nice-Marseille en 2004 par exemple, où la police tire au flash-ball après la fin du match dans la tribune marseillaise bondée), mais il faut attendre le 5 décembre 2010 et le cas du Niçois Guillaume Laurent pour que des médias commencent à parler des blessures causées aux supporters par cette arme.

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Ce jour-là, le club de football de l'OGC Nice accueille celui de l'Olympique de Marseille au stade du Ray à l'occasion de la 16e journée de Ligue 1. Quelques minutes avant la rencontre, supporters et CRS se chauffent. Passant à proximité de l'enceinte niçoise et des échauffourées, Guillaume Laurent, 23 ans à l'époque et fan des Aiglons, reçoit en pleine tête une balle de flash-ball tiré par un policier. « Je n'ai rien vu venir », témoignait alors le jeune homme dans le quotidien régional Nice-Matin quelques mois après les faits. « J'ai juste entendu la déflagration et puis je me suis effondré. La douleur n'est pas venue tout de suite mais je ne savais plus où j'étais. J'avais la tête en sang. Je n'y voyais plus rien. Je pensais que j'avais perdu mon œil. » S'il ne le perdra pas complètement au final (« seulement » 7/10e de l'acuité visuelle), ce supporter niçois est le premier fan de foot grièvement blessé à la tête par une arme de ce type en France. Le premier d'une longue série.

Outre le montpelliérain « Casti », frappé en 2012, on recense Davy Graziotin, supporter bordelais gravement touché à la tête par une balle de flash-ball lors d'une rixe l'opposant lui et ses amis stéphanois à des Nantais en 2014. Il sera hospitalisé pendant plusieurs semaines. Quelques mois plus tard, le 19 octobre, c'est Lex, un membre du Virage Sud Lyon (par ailleurs déjà handicapé d'un œil), qui est quasiment éborgné par un flash-ball après l'intervention de la police pendant une bagarre entre fans de l'Olympique Lyonnais et de Montpellier dans la capitale des Gaules avant que cela ne soit au tour de Maxime Beux, fan du Sporting Club de Bastia, de perdre un de ses deux yeux suite à un tir de LBD40 d'un membre de la Bac de Reims le 13 février 2016…

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Les supporters ont manifesté en soutien à Lex dans les rues de Lyon le 15 novembre 2014.

Cette litanie de blessures graves à la tête pousse logiquement les supporters français à critiquer la pertinence de l'utilisation du flash-ball lors d'événements footballistiques. Porte-parole et président d'honneur du groupe des Drouguis Orléans (membre de l'Association nationale des supporters), Cantine* estime par exemple que le flash-ball devrait être interdit : « À nos yeux, cette arme n'a pas sa place autour des stades de football. Chaque année, des supporters ont des séquelles plus ou moins graves alors qu'ils souhaitent simplement supporter leur équipe… Nous-mêmes, on a eu un déplacement important à Tours l'année dernière où la sécurité locale a volontairement agressé deux supporters qui avaient allumé des fumigènes. Voyant un élan de solidarité des supporters d'Orléans pour extirper les deux Orléanais, les CRS ont tiré des grenades lacrymogènes dans le parcage et visé avec un flash-ball ceux qui s'y trouvaient. Le tout à hauteur de tête ! »

« Je ne peux pas trouver que tirer sur des gens qui font la fête est une bonne chose, sérieusement !, poursuit de son côté le montpelliérain Florent Castineira. Même s'il y a parfois de la violence lors de rencontres de football, cela ne légitime pas des tirs. Ce ne sont pas les "dangereux hooligans de la télé" qui sont visés mais plutôt des jeunes, et des moins jeunes, voulant simplement craquer des fumigènes et chanter ensemble… »

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« Et qu'on ne nous parle pas de bavure, enchaîne un supporter parisien interrogé. Entre 2010 et 2016, c'est cinq gars grièvement blessés à la tête. Et encore, il y a eu plein de cas qui n'ont pas été très médiatisés comme celui du Marseillais qui s'était pris une balle de flash-ball dans les couilles avant un PSG-OM il y a deux ans. Alors il y a trois possibilités : soit les flics ne savent pas tirer et ne sont pas bien formés, soit les flash-balls ou LBD40 sont imprécis, soit les policiers visent volontairement la tête des gens qu'ils ciblent… Quelle que soit la bonne raison, cela devrait être suffisant pour qu'on arrête d'utiliser ce type d'arme. »

Les CRS aux prises avec les supporters de Bastia lors d'un match de Coupe contre Monaco, le 4 février 2015. Photo : Éric Gaillard/Reuters

« Le problème, c'est aussi que les forces de l'ordre et les supporters de football sont entrés dans un cercle vicieux depuis plusieurs années, explique Nicolas Hourcade, professeur agrégé de sciences sociales à l'École Centrale de Lyon. On a d'un côté des supporters qui ont été confrontés à une répression accrue de la part des autorités depuis le début des années 2010. Et de l'autre des policiers qui redoutent les ultras, particulièrement ceux qui se déplacent à l'extérieur, à cause de l'ampleur prise par cette mouvance et de la mauvaise presse qu'ils ont, alimentée par des mesures répressives (notamment les interdictions de déplacement) qui leur laissent entendre que ces supporters sont très dangereux. Les ultras sont globalement tous vus comme des hooligans en puissance alors que seule une partie d'entre eux use de la violence. Dès lors, les forces de l'ordre sont mal préparées à gérer ces supporters et susceptibles de paniquer sur le terrain. Elles peuvent alors mal utiliser une arme comme le flash-ball… »

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« Et il y a aussi l'attitude générale de la police française qui est à souligner, continue ce sociologue spécialiste des tribunes françaises. Autour des stades comme lors des manifestations, cette dernière est historiquement plus dans la confrontation que certaines de ses homologues européennes. Cette conception de la gestion de l'ordre provoque parfois des interventions brutales qui peuvent causer des blessures sérieuses. Dans d'autres pays européens en revanche, la police cherche à intervenir de manière plus graduée. »

Questionnée sur la pertinence de l'utilisation des flash-balls autour des stades de foot, la Police Nationale assure ne pas pouvoir s'exprimer sur de possibles affaires en cours dont toutes les voies de recours judiciaires n'ont pas forcément été épuisées. Elle tient cependant à préciser que « ce matériel n'a pas vocation à être utilisé lors des manifestations sportives, mais uniquement dans le cadre du maintien ou du rétablissement de l'ordre lorsque l'autorité civile le juge nécessaire ».

Réel maintien de l'ordre ou non, son utilisation pose tout de même problème selon Pierre Douillard-Lefevre. Auteur de L'arme à l'œil (aux éditions Au Bord de l'Eau), une réflexion sur la militarisation du maintien de l'ordre, il assure que l'apparition du flash-ball a permis de passer un cap en matière de répression en France : « Le flash-ball, ce n'est plus une arme qui sert à repousser comme les canons à eau ou le gaz lacrymogène, mais qui permet de tirer sur un individu. Il y a eu un vrai tournant de doctrine, une montée en puissance de la militarisation de la police sur fond de présomption de légitime défense. Et ces armes-là, elles ont été testées sur les populations considérées comme des "ennemis intérieurs" : les quartiers populaires, qui recensent d'ailleurs le plus de victimes, les manifestants dits radicaux comme ceux de la Zad à Notre-Dame-des-Landes ou les cortèges de jeunes qu'on a vus pendant le mouvement du printemps 2016, et donc d'autres personnes discréditées : les supporters ! Comme les autres, ils sont des laboratoires pour ces armes-là. Et pour quel résultat ? L'utilisation des armes à feu n'a pas diminué, flash-balls et LBD40 ont en réalité augmenté la violence de la police. »

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Manifestant réclamant le désarmement de la police suite à la mort de Rémi Fraisse, lors d'un rassemblement à Nantes, le 22 novembre 2014. Photo : Stéphane Mahé/Reuters

Une opinion partagée par Florent Castineira : « Cette arme devait permettre aux policiers de ne pas utiliser leur arme de service. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Que j'aurais pris une vraie balle dans la tête si le flash-ball n'était pas là ? Non, cette arme vient en complément de la matraque et, en ce sens, elle augmente le potentiel de violence de la police, de l'État. Son but est d'en blesser un pour dissuader tous les autres, et ça marche pour certains. Ils l'utilisent pour tuer tous les mouvements un peu trop libres, c'est quelque chose de politique. Aujourd'hui, des gens ont peur du flash-ball et elle est là la victoire de cette arme… Et les affaires sortent dans la presse uniquement quand il y a des blessés graves. On a vu plein de personnes touchées sur d'autres parties du corps que les yeux et qui n'ont pas eu leur cas médiatisé ! Les médias ont aussi pour rôle de faire accepter à l'opinion publique ces tirs, en criminalisant les mouvements visés. Le dernier en date étant celui contre la loi Travail, avec l'image du "casseur". »

« En 22 ans de service au sein de la police française, flash-ball et LBD40 ont éborgné au moins 45 individus et tué deux personnes, poursuit Pierre Douillard-Lefevre. Et il n'y a presque jamais de condamnation. Dans 95 % des cas, c'est un non-lieu ou une relaxe pour le policier tireur. » Du côté des fans de foot touchés ces dernières années, et malgré les conséquences très graves et variées des tirs pour chacun (hospitalisation de longue durée, rééducation, impossibilité de continuer à faire son métier, difficultés financières etc.) et la médiatisation, seul le Niçois Guillaume Laurent a pour le moment réussi à faire condamner l'État français pour sa blessure.

Et quid de la lutte des supporters contre cette arme ? En 2012 et en 2014, des ultras de toute la France (et même d'Europe) s'étaient pourtant réunis à Montpellier et à Lyon après les blessures de Casti et de Lex afin de défiler côte à côte pour dire « stop au flash-ball ». Des images fortes, mais qui ont accouché d'une souris, regrette Florent Castineira : « En vrai, les manifestations n'ont rien donné. Elles se sont passées calmement, les préfets ont fait semblant de nous écouter et ils ont continué leur répression, calmement. L'Association Nationale des Supporters a également tenté de négocier à ce sujet-là, mais ça n'a pas donné grand-chose. »

Régulièrement pointés du doigt par des collectifs de victimes qui réclament son interdiction comme l'Assemblée des blessés, épinglés par le Défenseur des droits Jacques Toubon ou par des hommes et femmes politiques et critiqués par des organisations non-gouvernementales comme l'Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture, flash-balls et LBD40 semblent pourtant avoir de beaux jours devant eux (l'État vient d'ailleurs de commander pour plus de cinq millions d'euros de munitions) et les supporters ne se montrent guère optimistes concernant leur éventuelle interdiction, comme le confie « Casti » : « L'interdiction du flash-ball, ils nous ont fait le coup une fois avec l'Assemblée des blessés quand nous étions intervenus dans une Commission d'enquête parlementaire sur le maintien de l'ordre républicain qui intervenait suite à la mort de Rémi Fraisse. C'était début 2015, on s'était invités pour dénoncer l'usage de ces armes en général et ce qu'ils nous avaient sorti, c'est que le flash-ball n'est pas assez précis et qu'il sera remplacé par le LBD 40, plus précis et plus puissant. Sauf que la majorité des blessés l'a été avec un LBD 40 et non le flash-ball de Verney-Carnon… Bref, ils n'ont aucun intérêt à supprimer cette arme, elle soumet. Et tant que la justice protégera les tireurs, ils tireront. »

*Ce prénom est bien évidemment un pseudonyme.