La baston la plus mythique de l'histoire du hockey racontée par ses protagonistes
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La baston la plus mythique de l'histoire du hockey racontée par ses protagonistes

On a retrouvé sept joueurs qui ont pris part, de près ou de loin, à cette bagarre générale entre Philadelphie et Ottawa qui a battu tous les records un soir de mars 2004.

Il y a treize ans, les Flyers de Philadelphie et les Senators d'Ottawa sont entrés dans l'histoire de le NHL et plus généralement du hockey en offrant au public le meilleur et le pire des spectacles à la fois. Au cours de ce match, les deux équipes ont cumulé 419 minutes de pénalité, hachant le jeu comme jamais, mais offrant aussi des actions mémorables et un irrépressible sentiment de bien-être à certains spectateurs surexcités par le pugilat auquel ils ont assisté. 419 minutes, c'est toujours le record en matière d'indiscipline et de carnage sur glace.

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Mais au-delà des chiffres, pour revenir sur ce match historique, VICE Sports a retrouvé quelques joueurs impliqués dans ce joyeux bordel et qui se sont faits un plaisir de revenir sur cette nuit si spéciale et le contexte de la rencontre. Avant tout, il faut savoir qu'il existait une vraie rivalité, voire une animosité entre les deux franchises avant qu'elles se rencontrent sur la glace de Philadelphie. Lors du dernier match qui avait opposé les deux formations une semaine auparavant seulement, Martin Havlat des Senators avait balancé un coup de crosse au visage de Mark Recchi des Flyers. Ken Hitchkock, l'entraîneur des Flyers, n'avait pas digéré l'agression et ne s'était pas gêné pour le faire savoir lors de la conférence de presse d'après-match. A cette occasion, il avait prévenu la presse et ses adversaires du soir : « Tôt ou tard, quelqu'un va faire payer à Havlat tous ses sales coups… » Havlat avait bien été suspendu pour deux matches, mais il venait de finir de purger sa peine alors que se profilait ce soir-là le match retour à domicile pour les Flyers de Philadelphie.

Shaun Van Allen, joueur des Senators entre 1996 et 2000, avant d'y retourner en 2002 pour y finir sa carrière : « C'était toujours chaud de venir à Philadelphie à l'époque, ils étaient réputés pour être une équipe très physique. Nous, on était considéré comme une équipe plutôt technique, ça créait une belle opposition et une belle rivalité. On était bon, ils étaient bons. Le match ne pouvait qu'être bon. »

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Danny Markov, joueurs des Flyers en 2003-2004 et auteur du 10 000eme but de l'histoire de la franchise ce soir-là, faisant de Philadelphie le premier club à atteindre cette barre mythique : « A Philadelphie, on était une bande de mecs costauds mentalement et très solidaires. Quoi qu'il arrive sur la glace, on faisait bloc, on pouvait compter sur des caractères bien trempés qui tenaient le vestiaire. »

Rob Ray, joueur des Senators en 2003-2004 et ancien joueur des Sabres, club dans lequel il est le recordman des minutes de pénalité sifflées (3,198). Il s'est reconverti depuis dans l'encadrement des Sabres de Buffalo : « Je n'étais pas arrivé dans l'équipe depuis assez longtemps pour saisir l'importance de cette rencontre. Durant ma carrière de joueur, je ne me renseignais pas sur le passé et l'histoire des équipes ou des rivalités. Résultat, je me suis retrouvé dans ce match de fou, comme un marcheur innocent pris dans une tempête. »

Ce match était en effet le troisième de la saison seulement pour Rob Ray, qui revenait à la compétition après un an d'absence.

Todd Simpson, a joué 16 matches avec les Senators en 2003-2004 et totalise 1 357 minutes de pénalité en 580 matches de NHL : « Personne n'était inquiet et n'a rien senti venir. Pendant deux périodes et demi, c'était un match comme un autre. »

La feuille de stats du match confirme les dires de Simpson. Pendant les 40 premières minutes, il n'y a eu que cinq pénalités sifflées. Les choses ont commencé à dégénérer dans le troisième acte avec quelques tampons bien violents, sans que ce soit extraordinaire non plus. Ottawa menait de trois buts avant que Rob Ray et Donald Brashear déclenchent une bagarre monstre à deux minutes de la fin. A partir de là, le reste appartient à l'Histoire…

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Jason Spezza, 11 saisons chez les Senators et 687 buts en 686 matches joués avec Ottawa : « Nos deux équipes se détestaient vraiment. Les choses n'allaient pas bien du tout de notre côté puisqu'on restait sur deux défaites de rang, le contexte du match était donc encore plus explosif. Ils nous ont un peu cherchés en face, et les choses sont vite montées en tension. Les mecs ont commencé à se bagarrer, ça a vite tourné à la "générale". »

Patrick Sharp, drafté par les Flyers en 2001, a joué 66 matches pour Philadelphie avant de partir pour Chicago où il a remporté trois Stanley Cups : « J'étais vraiment jeune, je commençais tout juste ma carrière, mais j'étais conscient de l'enjeu, de l'histoire qui liait ces deux équipes et de la tension que cela créait. Je connaissais donc l'importance de ces confrontations avec les Senators, d'autant que les deux équipes étaient bien classées dans la course aux play-offs. J'ai su que le match serait spécial dès le coup d'envoi. Difficile de dire ce qui a mis le feu aux poudres mais je me souviens que j'étais sur la glace quand la première baston s'est déclenchée. »

Van Allen: « Même en y repensant aujourd'hui, je ne sais pas comment tout a démarré. Je ne suis même pas sûr qu'il se soit passé quelque chose de précis qui provoque la suite des événements. J'ai juste l'impression que tout le monde s'est sauté à la gorge d'un coup. »

Wade Redden, a disputé 838 rencontres sous le maillot d'Ottwa entre 1996 et 2007, ce qui fait de lui le 4eme joueur le plus capé de la franchise : « D'après moi, ça a vraiment commencé quand Rob Ray et Brashear se sont chamaillés, puis que Brashear a poussé Brian Pothier et l'a embrouillé alors qu'il sortait de la patinoire. Simpson a pas apprécié, Patty Lalime non plus et ensuite tout le monde s'est ramené. »

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Sharp: « Je sentais que le moindre petit incident mettrait le feu aux poudres, le match valait tellement cher ! A partir du moment ou « Brash » ( Donald Brashear, ndlr) a fait ce qu'il a fait (à savoir en mettre plein la gueule à Rob Ray), toute l'amertume et la rancoeur du dernier match est ressortie d'un coup. »

Ray quitte ses partenaires après s'être fait démonter par Brashear. Photo de H. Rumph, Jr./AP

Ray: « Donald et moi nous marquions l'un l'autre à la culotte, on formait un couple qui ne se quittait pas d'une semelle sur la glace. Et comme tous les couples, on avait nos petites engueulades. Cette fois-ci, j'ai fini balancé sur la patinoire. »

Simpson: « Brashear a gagné, il a rossé Ray bien salement. J'étais sur la glace, on était posés autour à regarder ça, c'était violent. Les deux arbitres ont essayé de séparer Rob de Brashear, mais Brashear en a profité pour en coller une à Brian Pothier qui se trouvait là. Apparemment il aurait insulté Brashear, mais ce n'est pas le genre de Brian. Pendant que Brashear le défonçait, j'ai sauté dans le tas et c'est de là qu'est parti la baston générale. »

Spezza: « Brashear a mis un beau crochet à Pothier, ensuite (Zdeno) Chara est allé chercher (Mattias) Timander. A partir de là, c'était juste un tas de gars costauds qui sautaient sur d'autres gars costauds. L'atmosphère sur place donnait l'impression que l'enfer était sur le point de déchaîner son feu et chaque changement donnait lieu à une nouvelle bagarre. Quand j'attendais mon tour pour rentrer sur la glace, j'avais l'impression d'aller à la guerre. J'étais jeune et je n'avais pas très envie de me battre. Sharpie était dans la même situation d'ailleurs. »

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Sharp: « J'étais sur la glace pour la première baston, je crois que c'était Brashear et Rob Ray qui ont commencé, avec tout le monde qui les regardait autour d'eux. Moi j'étais posé à côté de Brian Pothier, au moment où Brash, qui quittait le terrain, l'a attrapé et a commencé à le frapper. J'étais juste derrière, alors Tom Simpson, avec qui j'ai joué des années plus tard à Washington, m'a sauté dessus pour qu'on se batte, ce qui a poussé Danny Markov à se joindre à nous. »

Van Allen : « J'avais sauté sur Branko Radivojevic et Markov, j'en avais un dans chaque main. Je me souviens que Dan Marouelli (l'arbitre) s'était approché pour me dire un truc du genre : "Vous ne pouvez pas attaquer tout le monde comme ça, vous allez vous faire arracher l'épaule", ce qui, je trouve, était un peu étrange. J'ai lâché Markov, ensuite j'ai lâché Radivojevic, on a continué à se chauffer pendant un moment, à se pousser et se bousculer pendant un moment puis on s'est arrêtés. »

Il y a eu tellement de coups de sifflets et de pénalités sifflées après la première embrouille que personne parmi les joueurs ne savaient s'ils étaient suspendus ou autorisés à jouer.

Simpson : « Je suis dans la prison et un arbitre balance : "Simmer, tu n'as rien fait, tu peux encore jouer." Je suis donc retourné sur le banc sans mes protections, je n'avais plus que mon maillot. Un autre arbitre arrive vers moi et me gueule : "Hey Simpson, qu'est-ce que tu fous ? Sors de là." Il y avait tellement de pénalités sifflées qu'on ne savait plus qui était sanctionné, j'avais mal compris. »

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Pendant ce temps, du côté des Flyers…

Markov: Todd Fedoruk n'a pas joué ce match. Il est venu dans les vestiaires en costume, je lui ai dit : "Mets ton maillot et tes patins et bouge toi !" Il a enfilé ses patins et s'est mis à gueuler : "Où sont mes patins ?" On s'est rendus compte qu'on s'affolait pour rien et on lui a dit de se calmer et d'attendre. »

Après l'expulsion d'une première fournée de joueurs, les bagarres se sont poursuivies et les bancs étaient de plus en plus réduits…

Redden : « J'ai fini avec John LeClair, mais je ne crois pas qu'on se soit mis des vrais coups de poing. J'avais le palet et je patinais vers la prison quand Mark Recchi m'a mis un tampon contre le mur. Je me suis retourné et LeClair était juste là. On s'est attrapés et on est tombés sur la glace sans que rien de spécial ne se passe vraiment. C'était la fin de la soirée pour LeClair et moi, on s'est fait sortir comme des malpropres. Je coirs que les arbitres en avait marre et qu'ils voulaient juste se débarrasser de tout le monde. »

Markov : « Quand le combat suivant s'est engagé, nous étions entre le banc des remplaçants et le vestiaire. La police est arrivée et nous a traînés manu militari jusqu'aux vestiaires pour s'assurer que nous y restions. »

Pendant ce temps, les joueurs plus jeunes comme Spezza et Sharp étaient tous les deux encore sur la patinoire pour leurs équipes respectives.

Spezza : « Au moment où je me suis mis en mode baston, il y avait probablement encore six ou sept joueurs sur la glace et on se regardait en se demandant qui allait être le prochain à se faire virer. On savait tous qu'on risquait de prendre une pénalité puisqu'on s'était enflammés, mais en même temps, comment nous en vouloir ? Personne ne veut être le gars qui ne se bat pas alors que toute ton équipe se bastonne. L'effet de groupe nous a galvanisés. »

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Sharp : « C'était la première bagarre générale à laquelle j'ai pris part dans ma carrière. Je n'ai pas été tout de suite viré du terrain, donc après la première échauffourée, alors que les arbitres galéraient à essayer de faire sortir les joueurs impliqués, Hitchcock m'a attrapé par le col et m'a demandé si j'étais toujours autorisé à jouer. On a vérifié auprès des arbitres qui m'ont confirmé que je jouais toujours. Là, Hitch s'est approché de moi et m'a murmuré à l'oreille : "Tu t'occupes du numéro 39." »

Ce numéro 39, c'était Spezza…

Sharp : « Être impliqué dans une baston dans un match de hockey lorsque vous êtes sur la glace, c'est une chose, mais quand vous êtes sur le banc pendant 10 ou 15 minutes avant de rentrer pour vous battre, c'en est une autre. Vous commencez à gamberger, à être nerveux. »

Spezza : « Les arbitres sont venus nous dire de rester calmes si on ne voulait pas que le match soit annulé. Mais quand on est rentrés sur la glace, la première chose qu'on s'est dits, c'est "Allez, on rentre dans la castagne". »

Sharp : « On était tous les deux de jeunes joueurs peu expérimentés et pas habitués à nous battre. On s'est regardés et je lui ai demandé quand on commençait. Avant même que j'ai fini ma phrase, on se battait. »

Quelle a été la conséquence de cette baston entre les deux futurs coéquipiers ?

Spezza : « C'était juste une bagarre classique. Il m'a envoyé deux droites, je lui en ai mis deux, rien de fou. Je crois que j'ai essayé de lui sauter dessus mais il m'a eu avec un beau coup de poing. »

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Sharp : « Comment j'ai réagi ? Spezz était un bon pote, il l'est resté. Je dois dire que Spezz est un très bon joueur offensif. Nous étions deux mecs qui ne connaissions rien à la bagarre, donc on peut s'estimer heureux que personne n'ait été sérieusement blessé, que ce soit resté plutôt marrant finalement. Je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il y ait eu un vainqueur. »

Ottawa a marqué ensuite un but supplémentaire, mais Philadelphie a conservé son avance pour l'emporter 5-3. Au score, c'était donc une nette victoire des Flyers, mais pour les joueurs, le match a été beaucoup plus serré et ne se borne pas à une simple feuille de stats.

Spezza : « On a perdu, mais on avait presque l'impression d'avoir gagné une fois retournés aux vestiaires. Ce sentiment positif venait du fait qu'on s'est vraiment montrés solidaires et unis pendant le match. Les mecs se sont sacrifiés les uns pour les autres, c'est le genre d'expérience fondatrice pour un effectif. »

Simpson : « C'est toujours une expérience positive, même si en apparence ce n'était pas très beau à voir. Tout le monde défend tout le monde. On a perdu le match et on était vexés de cette défaite, mais très heureux de ces bagarres à répétition. »

Sharp: « C'était presque comme si on venait d'être décorés, de recevoir une récompense pour notre esprit de corps. Tu te fais virer du match, tu prends des minutes de pénalité, mais faire partie de cette dynamique, c'est génial. Tout le monde se congratulait, se tapait dans les mains et débriefait son dernier duel avec un adversaire. »

Ray : « C'est tellement devenu hors de contrôle que c'est devenu marrant. Tu es assis là, et les joueurs reviennent les uns après les autres après s'être faits virer. Le vestiaire s'emplit peu à peu, et à mesure que les joueurs se retrouvent, l'excitation monte. Tout le monde criait des : "Ouaouh, c'était incroyable" ou des "T'as vu ce que je lui ai mis ?" Cette atmosphère particulière était encore palpable le soir même, puis le lendemain. C'est comme si on était subitement devenus une bande de gamins espiègles tout heureux d'avoir vécu une belle aventure ensemble. C'était marrant, et on était beaux à voir. »

Redden : « Je crois que c'est un élément essentiel dans la construction de notre équipe. Quand tu arrives dans le vestiaire après un match pareil, tout le monde est encore chaud bouillant et prêt à en découdre. Ce sont des situations exceptionnelles dans la vie, où tu dois répondre face à l'adversité, et l'esprit de groupe nous a permis individuellement de dépasser nos peurs. C'est ce qui nous a rendus si heureux à la fin du match, de voir qu'on s'est poussés les uns les autres à oser. »

Wade Redden a passé les 11 premières saisons de sa carrière à Ottawa. Photo via Wiki Commons

Van Allen : « Dans le vestiaire, le niveau de testostérone était à son climax. Nous étions les premiers à rentrer au vestiaire, mais quand la sirène a retenti, les autres nous ont rejoints. Ils avaient les yeux émerveillés, ça nous a procuré une autre vague d'émotion très forte. Quand Spezz, pour qui ce devait être la première bagarre de l'année, est arrivé à son tour, on lui est tombé dans les bras. Nous n'avons pas gagné ce match, mais c'était un très beau moment pour notre équipe. Les mecs se sont serrés les coudes et sont sortis la tête haute d'une des patinoires les plus chaudes de NHL. »

***

Treize ans plus tard, les deux équipes détiennent toujours le record de minutes de pénalité sifflées sur un match dans l'histoire de la NHL. Pour détailler le carnage, voici quelques chiffre : sur les 419 minutes sifflées, on dénombre 17 fautes mineures, 21 majeures, 8 suspensions de 10 minutes et 20 suspensions définitives. Des stats qui en font incontestablement un match inoubliable pour le public, mais aussi pour les joueurs, visiblement marqués en bien par cette rencontre.

Le record de ce qui est devenu maintenant « la nuit de Philadelphie » semble bien parti pour tenir encore longtemps, même s'il est toujours difficile de prévoir ce genre de débordement. Le hockey est un sport physique, parfois violent, et il suffit parfois d'un rien pour qu'une partie tourne au pugilat.