Avec la jeunesse espagnole qui défend la tauromachie

FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Avec la jeunesse espagnole qui défend la tauromachie

Ces jeunes gens militent pour que la tradition de la corrida se perpétue malgré les débats sur la cruauté du spectacle proposé et sur la maltraitance animale.

Cet article a été publié à l'origine sur VICE Espagne

Dario, Daniel, Ivan et Sergio sont comme tout le monde : ils passent la majorité de leur temps à s'inquiéter de ce que les autres pensent d'eux. Or leur passion pour la tauromachie ne les aide pas à se défaire de cette anxiété pesante : « En Espagne, tout le monde part du principe que si tu aimes la corrida, tu es un vieux crouton fasciste. Mais c'est faux », s'insurge Ivan.

Publicité

Les quatre amis sont des habitués de Las Ventas, l'arène de leur quartier à Madrid. Un simple passage en coup de vent dans l'enceinte me permet de comprendre qu'Ivan avait raison. A première vue, les travées ne sont pas peuplées de nostalgiques du franquisme. La plupart des spectateurs sont plutôt jeunes. Ils ont tout simplement grandi dans des familles où la tauromachie est considérée comme une tradition noble qui mérite d'être préservée. Peut-être que certains dans ces familles ont effectivement des penchants pour le salut romain, mais ce n'est pas du tout la majorité.

De nos jours, la corrida est beaucoup moins populaire qu'elle a pu l'être par le passé. J'imagine que les activistes et les associations de défense de la cause animale ont permis de réveiller les consciences d'une partie de la jeunesse espagnole qui ne considère plus la tauromachie comme faisant partie intégrante de son patrimoine culturel. Mais Dario, Daniel, Ivan et Sergio n'en font clairement pas partie. Eux se considèrent comme membres d'une communauté renaissante de jeunes défenseurs de la discipline, déterminés à défendre une tradition séculaire. S'il fallait trouver un facteur explicatif à cette passion commune, je pointerais du doigt le fait que les quatre compères sont tous nés à proximité de Cuellar, une ville du nord de l'Espagne connue pour accueillir l'une des plus vieilles ferias du pays.

Comme je voulais en savoir plus sur leur amour de la tauromachie et des taureaux en général, je les ai rencontrés par un chaud après-midi madrilène dans un bar près de Las Ventas. Ils venaient tout juste de regarder une corrida.

Publicité

« Quand je vais voir une corrida, je me sens si exalté. C'est un sentiment incomparable », s'enflamme Sergio, qui tente d'expliquer aux non-initiés la magie de la corrida : « Pour bien comprendre la beauté de ce qui se déroule sur la piste, il faut se dire que le taureau peut tuer le matador à tout moment. Ce mec accomplit des choses dont ni toi ni moi ne serons jamais capables. C'est ce qui rend le spectacle si incroyable. »

Dario tente d'étayer les arguments de son pote en expliquant que la tauromachie est avant tout « une affaire de vie et de mort » : « Quand les taureaux souffrent, nous souffrons. Quand le matador souffre, nous souffrons. Si les choses tournent court, je me sens très mal une fois de retour chez moi, ce qui en dit long sur le degré d'implication du public. Mais pour bien se le figurer, il faut connaître l'histoire du rituel. Ca permet de comprendre ce qu'il représente à nos yeux. »

Pour ceux qui aiment profondément voir un mec agiter une cape pour attirer puis esquiver une grosse bête cornue, la tauromachie n'est pas seulement un sport, c'est aussi un art : « Un combat n'est pas qu'un affrontement, c'est aussi un instant poétique. Il existe des dizaines d'ouvrages sur le sujet, sans compter les expositions et les films », renchérit Ivan.

A lire aussi : El Pana, un des matadors les plus controversés de la tauromachie

La corrida, une tradition, un art, mais aussi un grand moment de convivialité. Une célébration de la communauté, va jusqu'à dire Daniel : « Les matadors sont nos héros, mais ils sont très accessibles. Ils font tout pour nous faire sentir que nos vies sont comme les leurs, hormis au moment où ils bravent un taureau dans l'arène. »

Publicité

Toutes ces qualités pourraient faire de la corrida l'un des sports les plus populaires du pays. Mais un chiffre joue fortement en sa défaveur, d'autant plus depuis que les défenseurs de la cause animale s'en sont emparés : la tauromachie provoque la mort de 250 000 taureaux chaque année dans le monde. Quand Ivan Fandiño a perdu la vie au cours d'une corrida au mois de juin dernier, des centaines de personnes ont d'ailleurs célébré sa mort comme une victoire.

Mais nos quatre amis gardent la tête froide et estiment que cette opposition radicale à la tauromachie n'est qu'une posture, une mode, et que les critiques vont bientôt s'estomper. Daniel affirme qu'il n'est pas touché par les critiques et qu'il les accepte quand elles ne sont pas insultantes : « Chacun est libre d'exprimer son opinion et de se battre pour ce qu'il croit être juste, mais on ne peut pas accepter d'être traités de meurtriers. Nous sommes juste des spectateurs en train de nous divertir devant un spectacle autorisé par la loi. »

Darío écarte d'un revers de main l'argument souvent mobilisé selon lequel les taureaux ne devraient pas être sacrifiés sur l'autel du sport. Selon lui, ceux qui l'avancent ne connaissent tout simplement pas assez les origines de la tauromachie : « Si tu grandis en baignant dans cette culture comme nous l'avons fait, tu comprends que les taureaux ont une personnalité et qu'il sont traités en conséquence, avec respect et considération. Quand ils entrent dans l'arène, on leur donne leur chance, on assiste à un vrai combat entre l'homme et la bête. Finalement, nous idolâtrons le taureau car à nos yeux, c'est le seul animal supérieur aux humains. »

Publicité

Si l'on suit le raisonnement de Dario et ses potes, personne ne révère plus le taureau que le matador lui-même. Il ne peut en être autrement, car ils sont partenaires indissociables d'un seul et même rituel. « Quand le taureau meurt, c'est un sacrifice divin qui prend toute sa signification. A cet instant, le spectateur comprend qu'il existe une puissance supérieure, quelle qu'elle soit, qui considère la bête et l'être humain sur un pied d'égalité. Il ne faut jamais oublier que les matadors sont prêts à mourir dans l'arène eux aussi. »

Un hommage à Ivan Fandino, mort accidentellement en juin dernier, aux abords de Las Ventas.

Ivan se montre moins compréhensif que son pote quand il évoque les critiques qu'il doit essuyer : « Ces gens qui se permettent de donner des leçons croient que la viande qu'ils achètent en supermarché pousse sur les arbres. Ils ont dû oublier qu'elle vient des animaux qui luttent dans l'arène. Là au moins, on leur donne une chance de survie ! Si nous n'accordions pas une grande valeur à la portée philosophique de la corrida, alors là, bien sûr, nous ne serions qu'une bande de mecs qui passent leur temps à regarder un animal se faire tuer. Mais nous sommes plus que ça. »

Si la corrida veut éviter de disparaître, elle doit s'attirer les faveurs de la nouvelle génération et d'un nouveau public. Depuis 2007, le nombre de corridas en Espagne a fortement chuté - de 953 à 398 - suivant une courbe similaire à celle des audiences télé et des recettes de billetterie. Les arènes du pays comme celle de Las Ventas ont dû multiplier les efforts pour séduire ce fameux "nouveau public" en abaissant le prix des entrées : « Un abonnement jeune pour la saison coûte 100 euros, explique Daniel. Ce tarif réduit permet de ramener les plus jeunes qui n'ont pas les moyens de payer les 400 euros réglementaires. » L'effet s'est directement fait sentir, puisque Las Ventas a accueilli en moyenne 1 000 places de plus sur la saison, attirant jusqu'à 40 000 personnes pour l'ouverture.

Mais mes nouveaux amis ne sont pas vraiment fans de ces spectateurs occasionnels, qu'on pourrait appeler "corridix". Ils veulent que les néophytes s'imprègnent réellement de la tradition : « C'est seulement de cette façon qu'ils pourront mesurer la vraie valeur du taureau et du matador », conclut Sergio. Pour lui et ses amis, la tauromachie, c'est « de la pure poésie, un moyen d'élever son âme. »