Société

« On va tout péter » : avec les ouvriers qui voulaient faire sauter leur usine

À travers le combat des salariés de l’équipementier automobile GM&S pour sauver leurs emplois, Lech Kowalski a filmé les prémices de la mobilisation à venir.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Gilets Jaunes
Photo avec l'aimable autorisation de Revolt Cinema.

J’ai comme la vague impression qu’Emmanuel Macron est président de la République depuis plus de 15 piges. J’ai déjà complètement oublié le début de son mandat – mis à part le mec chelou à casquette qui l’accompagnait lors de son discours victorieux devant la pyramide du Louvre – et je suis convaincu que son irritante omniprésence médiatique y est pour beaucoup dans ce constat.

À force de brouiller les traditionnels repères temporels médiatiques de type « vœux aux Français » ou « allocution de la dernière chance pour sauver une réforme impopulaire », auxquels tout chef d’État devrait se cantonner, Emmanuel Macron est partout. Impossible de se soustraire à sa compagnie.

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Du coup, je n’ai pas été spécialement surpris de le voir dans On va tout péter, le documentaire de Lech Kowalski sur le combat des salariés de l’usine GM&S pour sauver leurs tafs (actuellement en salles). Le réalisateur britannique a suivi les ouvriers de l’équipementier automobile pendant plusieurs mois et, comme Beetlejuice, Macron a fini par faire son apparition.

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On est en juin 2017 quand le président se rend à Bellac pour y rencontrer une délégation de salariés de GM&S. Leur lutte, qui a commencé à la fin de l’année précédente avec le redressement judiciaire de l’entreprise prononcé par le tribunal de Poitiers, s’est logiquement intensifiée.

« Si les revendications ne sont pas exactement les mêmes, il y a dans la colère des GM&S les germes de celle observée chez les Gilets jaunes »

À cette époque, les syndicats avaient déjà tenté d’alerter sur la baisse des commandes de constructeurs autrefois fidèles – PSA et Renault notamment – ou le versement erratique des salaires. Devant le silence et l’inaction, ils avaient décidé de passer à l’action, occupant l’usine, bloquant certains sites de production ou – sacrément précurseurs – descendant les Champs-Élysées.

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Et puis, au faîte de la contestation, les GM&S ont piégé « leur » usine avec des bonbonnes de gaz et des bidons d’essence, menaçant justement de « tout faire péter ». Kowalski confiait Au Populaire voir dans le combat de GM&S : « Une action créative contre le système réalisée en toute indépendance. Ils ne sont liés à aucun parti. Leur énergie est forte et surtout communicative. Pour se rebeller, il faut être créatif et ils le sont. »

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Si les revendications ne sont pas exactement les mêmes, il y a dans la colère des GM&S les germes de celle observée chez les Gilets jaunes. Sans être dans la démonstration, Kowalski pose un regard pudique sur ces « fouteurs de bordel » et autres « Gaulois réfractaires ». Il a aussi le bon goût d’aller au-delà des images de confrontations qu’un pareil cas réserve généralement à travers les JT – On va tout péter s’ouvre par exemple sur une banale partie de pêche et la tendre remise à l’eau d’une carpe.

Ces instants de vie, entrecoupés par des scènes de mobilisation collective, donnent au combat des GM&S une dimension forcément plus humaine qu’au hasard, une AG filmée par Stéphane Brizé avec Vincent Lindon dans le rôle du leader syndicaliste.

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Ce n’est pas la première fois qu’on assiste à cette lutte déséquilibrée entre l’homme et le système (ou une de ses manifestations les plus ubuesques). Ces dernières années, GM&S a été brinquebalée – comme Continental ou Arcelor avant elle – de repreneurs véreux en fonds vautours dans l’unique but de dégager quelques bénéfices avant que le seuil de rentabilité ne soit atteint et le plan social annoncé.

Kowalski a d'ailleurs atterri à La Souterraine alors qu’il prévoyait de se rendre dans l'Oise sur les traces de Sodimatex. En 2010, les salariés de l'usine de moquette pour voiture avaient réagi à sa fermeture programmée en ceinturant de cocktails Molotov une citerne de gaz, menaçant là-aussi de tout faire partir en fumée. Le cinéaste avait tourné quelques images et comptait retourner sur place avec d'anciens camarades de lutte mais l'actualité du combat des GM&S finira par modifier ses plans.

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« Au fil de ses rencontres avec junkies, sans-abris, acteurs porno ou paysans polonais, Kowalski capture au sein de ces communautés, différents élans collectifs »

Kowalski s’est construit tout au long de sa carrière une légitime réputation de cinéaste des marges. Une étiquette punk pour avoir filmé la seule tournée américaine des Sex Pistols ( D.O.A. : A Right of Passage), la vie de Dee Dee Ramone ( Hey ! Is Dee Dee Home ?) ou le crépuscule de celle de Johnny Thunders ( Born to Lose : The Last Rock N’ Roll Movie) et, une autre plus militante, pour avoir immortalisé ce que le monde pouvait lui offrir de laissés-pour-compte et de « rejetés du système ».

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Au fil de ses rencontres avec junkies, sans-abris, acteurs porno ou paysans polonais, Kowalski capture au sein de ces communautés, différents élans collectifs. Un parfum de rébellion qu’il a retrouvé dans la Creuse, région qui semble cristalliser à la fois les maux de la désindustrialisation et les railleries (de Technikart à Nagui) et qui offre dans On va tout péter une leçon de dignité dans la résistance.

Kowalski a lui-même subi de plein fouet la répression policière, mis en GAV par les forces de l’ordre alors qu’il avait suivi certains salariés de l’usine dans l’occupation de la préfecture de Guéret – il sera finalement relaxé après avoir reçu le soutien de 400 réalisateurs. Une interpellation qui rappelle une tentative des autorités polonaises sur le tournage de Holy Field, Holy War, comme il le décrit dans le Film Français :

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« À Guéret, j'ai été arrêté pour avoir simplement filmé ce que les autorités ont peur de montrer (…) J'ai eu des problèmes similaires dans le passé, en filmant des agriculteurs polonais se battant contre Chevron et leur propre gouvernement pour éviter de perdre leurs terrains agricoles. »

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Aujourd’hui, l’usine creusoise a changé de nom. Il y a ceux qui sont partis (157 sur 277) et ceux qui sont restés. Ayant pris goût au combat, certains ont voulu porter un projet de loi qui responsabiliserait les donneurs d’ordre vis-à-vis des sous-traitants – l’objectif étant de ne pas subir le contrecoup de baisse impromptue de commandes comme ce fut le cas pour leur entreprise. Pour que « plus jamais ça ».

Dans ces histoires, contrairement à certains tours de Coupe de France, le Petit Poucet ne vient jamais à bout de Goliath. Ici, pas de happy-end ou de morale mais le couperet froid et aiguisé du licenciement. Début octobre, le groupe Michelin annonçait la fermeture d’une usine à la Roche-sur-Yon en Vendée, jetant un voile sur le sort réservé aux 619 salariés qui y sont employés. Quelque part, dans le pays, il y a toujours une usine peuplée d'irréductibles salariés qui luttent pour ne pas perdre leur emploi.

On va tout péter, de Lech Kowalski, actuellement en salles.


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