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Sports

Le running, entre détente et addiction

Populaire, facile à pratiquer et surtout grisant, le running peut vite rendre addict. L'idée est donc de bien maîtriser son rapport à la course et ne pas tomber dans la dépendance.
Photo Flickr via Running...

Il n'est encore que 7h30 mais ils sont déjà quelques dizaines à parcourir les allées du parc de la Villette, un des hauts lieux du running parisien. Parmi eux, il y a Geneviève, 53 ans. Tous les matins, elle court 30 minutes avant de confectionner des bijoux de fantaisie : un « passage obligatoire » avant une « dure journée de travail » pour elle. Car après ses quelques minutes de footing matinal, elle se sent « fière et dans de bonnes conditions pour commencer une journée » puisqu'elle s'est déjà « vidé la tête ».

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Comme elle, un quart des Français pratiquerait le running d'après une enquête publiée en 2016 à l'occasion du Sommet de la course à pied. Le running sur un tapis ou en extérieur. Deux ambiances pour une même passion. Si c'est souvent le hasard qui les a poussés vers cette discipline, ils ont tous une bonne raison de continuer. En tête des motivations, il y a le "bien–être" que procure une session de running. Une étude mondiale du même sommet montre que 58% des coureurs ont commencé la course à pied « pour être en bonne santé et garder la forme ».

Ce qui a longtemps été considéré comme un cliché ou, par les incrédules, comme une légende, est maintenant démontré par la science. Courir permettrait de faire le vide dans son esprit. Trente ans d'études neurologiques ont abouti à ce qu'un footing de 40 minutes suffit à démontrer. Après un effort physique prolongé, on se sent mieux. On voit les choses plus clairement. En d'autres termes, nos capacités cognitives sont en quelques sortes régénérées.

Les endorphines, hormones du plaisir, se déclenchent en moyenne après une quarantaine de minutes d'effort. Leurs effets sont assez proches de ceux de la morphine. La sensation de bien-être est donc physiquement prouvée.

Quand on vous dit que courir rend heureux. Photo Flickr via Zapmole 756

S'il vous faut un autre argument pour pratiquer le running, sachez aussi que cela rend potentiellement moins con. Ce n'est pas les philosophes Nietzsche ou Rousseau qui diront le contraire. Bien avant les études scientifiques, ils ont souligné les effets bénéfiques du sport sur la pensée.

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Les neurosciences ont longtemps considéré que le nombre de neurones n'évoluait pas après l'adolescence. Les récentes recherches en neurogenèse tendent à prouver le contraire. Une neurogenèse localisée persisterait chez les adultes.

En courant, on oublie tout, le stress des rendez-vous, les chiffres, les responsabilités…

Une activité physique intensive participerait à la création de nouveaux neurones dans une zone spécifique. Karen Postal, présidente de l'American Academy of Clinical Neuropsychology, précise que ces nouvelles cellules apparaissent dans la zone dédiée à la mémoire.

En observant la région du lobe frontal après une course, on constate une augmentation de la pression sanguine. C'est justement une zone clé, sorte de système exécutif frontal, que l'on associe communément à la concentration, la gestion du temps, la fixation d'objectif, la planification… Il y aurait donc une double récompense liée à l'activité physique intense : plaisir intense direct et augmentation des capacités cognitives dans les heures qui suivent.

Ce n'est pas Romain qui dira le contraire. Aux environs de 13 heures, on peut le trouver au parc de la Villette, où il enchaîne les accélérations sur 200 mètres. Cadre bancaire de 43 ans, le running est en quelque sorte une soupape dans les longues journées de bureau. « En courant, on oublie tout. J'oublie le stress des rendez-vous, les chiffres, les responsabilités… C'est vraiment indispensable pour moi. Je ne peux pas m'en passer. Je retourne au bureau et je vois tout d'un meilleur œil. »

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Puisqu'il constate des progrès rapides, il envisage de s'inscrire à un semi-marathon dès cette année, après moins de 3 ans de pratique.

De la course loisir à la compétition, il n'y a qu'un pas. Et les Français sont désormais de plus en plus nombreux à oser le franchir. En 2016, une étude sur le marché du running en France a montré que 19% des coureurs « mettent des dossards » pour une course organisée. Parmi eux, ils sont quelques accros à arriver aux portes du haut niveau sans abandonner leur carrière professionnelle.

Julien est kinésithérapeute libéral et notamment fondateur de la Société de Physiothérapie de Bourgogne. Il a commencé à courir à 3 ans lorsqu'il accompagnait son père sur des compétitions. Il n'a plus jamais arrêté. Il est d'ailleurs étonné lorsqu'on lui demande pourquoi il court. La vraie question, selon lui, serait « pourquoi arrêter ? ». Elle fait partie de sa vie et participe à son équilibre.

Passion qu'il partage avec sa compagne Charlotte, ophtalmologue. Pendant que le commun des mortels part en vacances pour se prélasser sur une plage, ce couple de trentenaires dijonnais préfère suer main dans la main sur les routes et chemins du monde. Chaque occasion est bonne pour aller user ses semelles en amoureux : pauses au travail, congés, weekends, vacances…

En 2014, ils ont participé à la mythique Diagonale des Fous de la Réunion, un des ultra-trails les plus relevés au monde avec ses 173km de bonheur dont près de 10 000m de dénivelé positif. Seule la moitié des inscrits bouclent la course. Pour eux, deux ans d'entraînement ont permis de finir en 47h40 et 60 heures.

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Vu de loin, ils sont tous deux des accros au running et frôleraient même la dépendance. Pourtant, Charlotte et Julien confient ne ressentir aucun manque lorsqu'ils ne courent pas. « Si on est trop fatigués alors on n'y va pas. On ne fait pas que ça dans notre vie. »

Quand tu cours en étant blessé ou lorsque tu n'as pas envie, ça commence à être problématique

Charlotte a sans doute passé l'étape où courir relevait plus du besoin que du plaisir pur. Lorsqu'elle était encore interne, elle pouvait enchaîner de longues journées de travail avec une sortie running longue (parfois jusqu'à 5h) en nocturne. Aujourd'hui, elle dose son entraînement en prenant en compte les courses à venir et les obligations professionnelles. « J'ai toujours associé le running à ma vie professionnelle. Plus le travail était dur, plus je m'engageais dans des courses dures. »

Aujourd'hui, la course à pied lui apporte confiance en ses capacités physiques : « Si j'arrive à courir pendant 24h, alors je peux tenir pendant une longue opération et surtout rester lucide. »

Voilà le genre de dénivelé qui est proposé aux intrépides qui s'inscrivent à la Diagonale des fous. Photo Flickr via Bernard Decaudin

Si la course a un effet positif sur leur carrière, c'est tout de même la plaisir qu'ils recherchent en priorité. Le couple se considère davantage comme des explorateurs de nouvelles pratiques, de paysages, de leurs propres limites… Leur conception du running, basée sur le plaisir de la découverte, est très loin de l'image monotone que peuvent se faire les néophytes du running, parfois considéré comme un sport de souffrance répétitif et ennuyeux.

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« On a toujours l'occasion de changer : long, rapide, en montagne… Il y a toujours quelque chose à tester », précise Julien. Pour eux, la limite entre la pratique intensive et l'addiction est plutôt claire. « Quand tu cours en étant blessé ou lorsque tu n'as pas envie, ça commence à être problématique. C'est dommage de se faire mal pour un loisir », ajoute Charlotte.

« Courir a un côté gratifiant, au final ce que tu gagnes est bien plus riche que ce que cela t'a coûté. » C'est peut-être cela la limite à ne pas franchir : quand la somme de souffrances dépasse celle du plaisir, sur le long terme.

Comme tout ce qui est bon, il y a un risque addictif. « L'activité (sportive) peut finir par occuper une place disproportionnée dans l'identité de la personne et générer des conflits entre le sport en question et d'autres aspects de la vie », notaient en 2008 des chercheurs en psychologie du sport.

On a même un vilain mot pour décrire ce nouveau mal : la bigorexie. Le terme a d'abord été employé dans les années 70 pour qualifier les accros à la musculation pour ensuite concerner les adeptes des séances d'entraînements cardio-vasculaires.

C'est une maladie mentale désormais reconnue par l'Organisation mondiale de la santé, depuis septembre 2011. « Il n'existe aujourd'hui aucune étude approfondie qui nous permette de caractériser cette addiction », tempère Fabien Peyrou, médecin addictologue, responsable du Centre d'Accompagnement et de Prévention pour les Sportifs (CAPS) au CHU de Bordeaux.

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On peut tout de même en dresser les contours. Des spécialistes du Centre d'Etudes et de Recherches en Psychopathologie de Toulouse désignent l'addiction au sport par ces termes : « Besoin irrépressible et compulsif de pratiquer régulièrement et intensivement une ou plusieurs activités physiques et sportives en vue d'obtenir des gratifications immédiates et ce malgré des conséquences négatives à long terme sur la santé physique, psychologique et sociale. »

Cette définition paraît très éloignée de la quête d'épanouissement de notre couple de Bourguignons. D'ailleurs, pour freiner les potentiels excès, Julien conseille sur son blog de bien programmer son entraînement, afin de ne pas se laisser emporter par son envie parfois irrépressible. S'il prend conscience de son problème, le patient peut mettre en place une planification à condition qu'elle soit strictement suivie. Il en retirerait une gratification pouvant freiner ses ardeurs de coureur compulsif. Si cela n'a pas d'effet, une prise en charge psychologique est indispensable.

En 2015, une étude danoise parue dans Journal of the American College of Cardiology a tenté de déterminer un seuil à ne pas dépasser. Selon les chercheurs, il ne faudrait jamais excéder une allure de course de 8km/h et une fréquence de sorties en dessous de 2,5 heures par semaine. Le tout réparti sur trois séances. L'étude démontre que ceux qui pratiquent de manière intensive ont finalement les mêmes probabilités de mourir que ceux qui n'avaient aucune activité physique.

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Courir provoque beaucoup de sensations, de bonnes sensations, donc tu cherches forcément à les retrouver.

Le médecin du sport Jean-Pierre de Mondenard pointe néanmoins les limites d'une telle étude. Selon lui, le dosage dépend des caractéristiques personnelles des pratiquants. Le seuil serait propre à chacun.

La limite semble être atteinte lorsque le sport devient plus une contrainte qu'un plaisir et qu'il nuit à la vie personnelle des pratiquants. La difficulté à établir les cas de bigorexie est que nos limites sont par essence très difficiles à déterminer. Certains conjuguent d'ailleurs au quotidien recherche de la performance et équilibre psychique.

Thibault, coureur et auteur du blog No Pain No Gain Running est l'un d'eux. Pour lui, une pratique intensive ne mène pas forcément à l'addiction. « J'ai pris toute une semaine off, je n'ai pas fais un seul kilomètre ». dit-il en préambule.

S'il a lui aussi l'apparence d'un camé des pistes, il balaye les soupçons en quelques arguments. « Je me base sur le fait de tomber ou pas dans le surentraînement. J'essaie de m'entraîner au maximum sans pour autant tomber dans la fatigue. J'étais dans ce cas la semaine dernière, mais c'est normal j'avais enchaîné trois semi-marathons en deux mois. Mais tout va bien. Je ne me pose pas de questions sur mon état psychologique, la seule question c'est est-ce que mes performances sont bonnes ou est-ce qu'elles diminuent un petit peu. Je ne me considère pas du tout drogué au running. Je ne suis pas en manque. Mais c'est vrai que c'est un sport où tu peux vite avoir une conduite addictive. Courir provoque beaucoup de sensations, de bonnes sensations, donc tu cherches forcément à les retrouver. »

Thibault estime qu'il a le contrôle sur sa pratique du running, ce qui n'est pas le cas de tous les coureurs.

Alors à quel moment faut-il freiner ? Thibault écoute son corps. Puisque le repos est une composante de l'entraînement, donc un facteur de performance, il veille à ne pas le négliger. « Je n'ai pas peur de la bigorexie. Je suis pourtant assez extrémiste dans ma pratique mais dans le même temps équilibré dans mon esprit. »

Thibault ne relève aucun effet négatif de sa pratique intensive sur sa vie personnelle. Entouré de professionnels du sport, le moindre coup de mou est vite identifié. « Les gens qui tombent dans la bigorexie ne sont pas du haut niveau. Ce sont des gens qui se sont rendus compte qu'en courant ils allaient perdre du poids, ou se sentir plus heureux. Ils développent certaines hormones et en deviennent accros. Souvent ce genre de coureurs ne prépare pas de compétition. »

C'est un aspect qui va de pair avec la pratique de masse. La course à pied étant populaire, elle amène des hordes de sportifs amateurs qui s'entraînent de manière très intensive en se passant des conseils de professionnels de la santé et du sport. Les dégâts de cette pratique sur le long terme seront forcément associés à la bigorexie.

Mais parmi tous les sports, pourquoi avoir choisi le running ? Qu'est-ce qui attire autant de monde vers les pistes ? « C'est pratique, tu cours à n'importe quelle heure, n'importe où, aucune contrainte horaire… En tant que coach sportif, il me suffit d'avoir 2 heures devant moi pour aller courir. » Et si courir n'était plus possible ? « Alors je fais un autre sport, genre du crossfit ou je retourne à la boxe », conclut Thibault. Simple !