FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Je vais devenir membre de l'équipe de basket de Gibraltar

Il s'appelle Romain Molina. Il joue au basket, a quitté l'Écosse pour l'Andalousie et s'apprête à intégrer la sélection du Rocher.
DR

Depuis le début de la saison, les fans de basket se lèvent et se passionnent pour la seule équipe invaincue de NBA : les Golden State Warriors. Mené par un Stephen Curry stratosphérique, le champion en titre tutoie les sommets et construit sa légende.

Bien loin de cette atmosphère scintillante, dans le sud de l'Espagne, il y a Romain Molina, meneur de jeu, comme la star des Warriors. Le Français, également journaliste et auteur, a quitté l'Écosse pour prolonger son rêve : voyager grâce au basket-ball. Il a pris sa bagnole rouge pour traverser l'Europe et s'arrêter en Andalousie. Il est aujourd'hui licencié à Ronda, club de sixième division, et intègrera très prochainement la sélection nationale de Gibraltar. Présélectionné pour le prochain rassemblement, l'atypique basketteur rêve d'écrire l'histoire du Rocher.

Publicité

Romain, bandeau sur la tête, avec son équipe de Ronda.

VICE Sports : Comment se retrouve-t-on à jouer pour Gibraltar ?
Romain Molina : J'ai un arrière-grand-père qui a vécu là-bas pendant plus de 20 ans. Il y a deux ans, je suis venu pour la première fois dans un but uniquement journalistique : faire découvrir les endroits les plus improbables du football britannique. De plus, quand j'étais enfant, je passais mes vacances près de la frontière, en Andalousie. Tout est donc lié.

Une personne a joué le rôle d'entremetteur ?
Là-bas, j'ai commencé à nouer des contacts, car j'étais le seul hurluberlu à écrire avec régularité et intérêt (il sourit). En août dernier, j'ai tissé des liens avec un Écossais qui m'avait vu jouer. À ma plus grande surprise, il savait que j'avais des liens avec Gibraltar. Il m'a dit que la sélection recherchait des joueurs. Au début, je pensais que c'était une vanne. Mais non en fait.

Pour commencer, j'ai eu des contacts avec le secrétaire général de la fédération. Ils n'ont pas fait d'opération de séduction. L'idée était d'abord de rejoindre le championnat local. Mais j'ai préféré l'Espagne. Je joue en semi-pro, quasiment l'équivalent de la Nationale 3. Au téléphone, il s'excusait de ne pas être professionnel (rires). Au total, il y a 220 pratiquants en comptant les jeunes et les femmes. Tous les clubs partagent le même gymnase. C'est incroyable.

Tu as réfléchi longtemps ?
J'ai pris 10 jours et j'ai accepté. Je n'ai jamais douté. Je savais que j'allais rejoindre Gibraltar, j'en avais envie. Comment peux-tu refuser l'appel d'un peuple ? De toute façon, je ne pouvais pas continuer une saison de plus en Écosse. Maintenant, je vis en Andalousie et je suis heureux.

Publicité

Tu viens d'un petit village dans l'Isère. Tu dois halluciner d'être ici ?
J'ai joué dans des clubs improbables. Pour moi, ce n'est pas inespéré, car j'ai toujours eu un bon niveau. Quand j'étais jeune, j'ai reçu deux propositions de centres de formation, mais je ne voulais pas aller en Terminale S donc c'était foutu. Il restait Saint-Vallier. Une certaine professeure d'EPS, Madame Samprini, devait me faire un mot pour que je puisse intégrer le centre. Elle m'a détruit. Je n'ai pas été pris à cause de mon dossier scolaire. Fin de l'histoire. J'avais 14,5 de moyenne tout de même…

Tu as joué en Écosse avant de venir à Gibraltar. Quelles différences y-a-t-il entre les deux baskets ?
Le basket en Écosse, c'est du catch. Les contacts sont très rugueux et on va dire que l'arbitrage est spécial (rires). Si tu oses contester une décision, tu prends une faute technique. Franchement, c'est un autre monde. Dans mon équipe, l'entraîneur avait son fils dans l'équipe. Il jouait le rôle du petit chef. Les deux étaient fous. Avant une rencontre, le fils s'envoie une boîte de flageolets. J'avais halluciné. À l'entraînement, le coach prend un punching-ball et nous dit de rentrer dedans et de marquer en double pas. Je me suis demandé comment et surtout pourquoi ! Pourtant, le niveau n'est pas horrible. Ce sont des bons shooteurs. Il y a aussi quelques étrangers. J'ai eu la chance de faire un essai en Division 1. Personne ne s'aimait. Par exemple, le Hongrois essayait de blesser le Polonais et vice-versa. Il y avait aussi un Autrichien qui se piquait devant moi. Je vais m'en souvenir longtemps (rires).

Publicité

Nous imaginons facilement que Gibraltar se rapproche de la mentalité espagnole.
Exact. Même si Gibraltar est britannique, le basket se rapproche de l'Espagne avec du jeu offensif à foison. Ils ont de vrais fondamentaux. Par contre, tu sens que le réservoir est maigre et le niveau assez bas. Il y a moins d'impact sauf avec les joueurs anglais. Dans l'équipe nationale, le meilleur joueur est Sam Buxton, il joue en 4e division espagnole. Il a un bon shoot, les deux mains. En tout cas, Gibraltar cherche à jouer de manière cohérente. Ils vont voir les matches de Malaga et d'autres équipes d'Espagne. Ils sont fiers du basket européen. Ils ne sont pas seulement influencés par la NBA.

Gibraltar ne joue pas l'Euro des grandes nations mais celui des petites. Quelle est cette compétition ?
C'est fantastique. Je tiens à remercier la FIBA de nous avoir donné cette opportunité. Cela démontre bien que le basketball est accessible à tous, même si tu joues pour un petit pays. L'essence d'un sport est de pouvoir voyager. Le basket est un prétexte au partage. Pendant une semaine, tu vas représenter ton « art ». Nous ne connaissons pas encore le lieu de la compétition. Gibraltar est le petit poucet. Sur les deux dernières éditions, nous avons fini bons derniers. Ce serait cocasse que la compétition se déroule en Écosse. Je vais tout donner pour jouer cette compétition. Ce serait un échec de ne pas intégrer l'équipe nationale.

Publicité

Malgré le niveau plutôt faible, il faut bosser pour y arriver.
Tout est une question de sacrifices et de chance. J'ai un ancêtre originaire du Rocher et je le remercie. Concernant le quotidien, j'ai 1 h 30 de trajet dans la montagne, c'est folklorique. J'ai failli y passer la dernière fois (rires), des chèvres étaient plantées au milieu de la route. À l'entraînement, je suis toujours le dernier à partir. Lorsque j'arrive à la maison, je fais une séance de musculation. Je bosse pour atteindre mon objectif. Ce n'est pas toujours rigolo, mais il faut le faire. Je n'ai pas eu la chance d'intégrer un centre de formation.

Tu t'es fait tout seul ?
Je n'ai pas d'agent. Tout ce que j'ai obtenu, je suis allé le chercher. J'ai posé mes couilles sur la table. Pour venir à Gibraltar, j'ai pris ma bagnole rouge et j'ai traversé toute l'Europe : 3700 km sans GPS ! Je suis un rêve utopique, celui de m'accomplir dans ce que j'aime le plus au monde, le basketball. J'ai envie d'y croire même si j'ai du mal à me faire confiance. Grâce à mes contacts et mon amitié avec Bouna Ndiaye (agent de Batum et de plusieurs basketteurs, ndlr), j'ai un programme physique et nutritionnel. Je le remercie encore une fois. Je veux passer un cap physique afin de progresser. Je me fiche de l'argent. Je cherche juste à travailler. Je suis quasiment en mission commando.

Sur un plan professionnel et personnel, ta venue à Gibraltar bouleverse ta vie. Comment abordes-tu ce changement ?

Publicité

Jeudi dernier, j'ai reçu un mail du sélectionneur. J'ai mis dix secondes à l'ouvrir. J'avais tellement peur qu'il me claque la porte au nez. J'étais si fébrile. Je l'ouvre et je vois qu'il est intéressé. Dans ma tête, c'est la folie. Il me convoque pour le prochain rassemblement. Au début, je ne réalise pas. Vingt minutes plus tard, j'envoie un mail à mon ami d'enfance, William. Depuis qu'on est gosses, nous suivons la NBA ensemble. Je voulais partager ça avec lui. Je n'ai pas réussi à dormir pendant 2 jours.

Ce n'est « que » Gibraltar, mais c'est magnifique (il sourit). Je suis encore plus motivé qu'avant. J'ai des objectifs précis : Euro 2016, Island Games 2017 (Jeux Olympiques des îles, ndlr). Ce n'est pas uniquement du sport. C'est avant tout une question humaine et de fierté. Le basket est une manière de s'accomplir et de me découvrir. Pour le moment, j'ai du mal à réaliser que je vais représenter un pays, en l'occurrence Gibraltar. J'aime le Rocher. Si j'y vais, c'est pour 10-15 ans. Je veux gagner des médailles. J'ai un devoir de responsabilité maintenant. Je représente un pays.

As-tu des objectifs concrets avec la sélection ?
Je me dois d'être dans le 5 majeur. Nous ne sommes pas pro. Je vais tout faire pour avoir un rôle important. En général, je n'ai pas d'objectifs personnels, car je suis bien trop collectif. Si je vais à l'Euro, je veux jouer le plus possible. Mais pour une fois, j'en ai un : devenir meilleur passeur de la compétition.

Tu me parles de ta fierté de représenter ce pays. Concernant l'hymne national, sujet récurrent en France, es-tu au point ?
Je vais mettre les choses au clair. Je ne me reconnais pas dans God Save The Queen. Je ne suis pas britannique. L'hymne de Gibraltar, il n'y a pas de problème. C'est une entité un peu spéciale. Mais si c'est le premier nommé que nous chantons, c'est non. Je ne me reconnais pas dans l'Angleterre. Pour moi, c'est un pays qui a conquis ses voisins du Nord. Je préfère de très loin l'Écosse. Après, on verra. Je vais devenir le Karim Benzema de l'île (rires). De toute manière, c'est un sujet sans importance. Je n'aurais jamais pu refuser l'appel d'une sélection nationale.

Le Gibraltarien, s'apparentant à un îlien, a-t-il cette fierté exacerbée comme pourrait le ressentir un Corse ?
Au niveau du patriotisme, tout est exacerbé surtout concernant le sport. Même si c'est une défaite, la population va en parler, car l'athlète vient de Gibraltar. Ils sont très fiers. Par contre, ce n'est pas en opposition à l'Angleterre. C'est totalement incroyable qu'il y ait autant de sélections malgré le peu d'habitants (30 000).

Par rapport à ton statut d'étranger, le public ou les médias te considèrent-ils comme le Français de la bande ?
Il faut attendre que l'officialisation soit effective. Je pense que ça va intéresser des médias sur place. C'est un bon moyen pour moi de faire découvrir Gibraltar aux Français. De toute manière, la balle orange est universelle. Le basket c'est un sport de folie, de liberté. Il y a ce côté imprévisible.

Tu me parlais de ton ressentiment envers le basket. Mais quel est le tien envers Gibraltar ?
La dernière fois que je suis allé à Gibraltar, j'aperçois le rocher. Tu te rapproches des côtes africaines, etc. Quand j'y vais, j'ai l'impression d'être Ulysse. J'ai l'impression de faire un voyage. Pour moi, Gibraltar, c'est mon voyage. À chaque fois, je m'y sens bien. C'est mon appel à mon épanouissement. Si je veux être heureux, ça passe par ce Rocher. C'est une terre d'accueil. Je joue pour moi, avec des gens derrière moi et pour des gens. J'en ai rêvé. Le Rocher me sublime.