Food

À bord du Manatoa, le foodtruck d'une légende de Koh-Lanta

Entre deux épreuves de confort, le Chef Teheiura Teahui sillonne la France pour faire connaître la cuisine polynésienne aux « métropolitains ».
Alexis Ferenczi
Paris, FR
CHEF
Montage à partir d'une photo de PH LE ROUX/ALP/TF1

On ne va pas se mentir, même sans confinement, vous seriez vissés tous les vendredis soirs devant ce morceau de choix de la télé-réalité « à la française » qu’est Koh-Lanta. L’édition 2020, L’Île des héros, a déjà réservé son lot de péripéties et de trahisons, Denis Brogniart – plus détér que jamais – a vendu chaque épisode comme s’il n’y avait pas de lendemain (alors qu’il n’y a surtout rien d’autre à mater) et, comme d’hab’, les gens ont pris les choses un peu trop à cœur en balançant des menaces de mort sur les réseaux.

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Vendredi 1er mai, c’est une légende qui est partie. Teheiura Teahui en était à sa quatrième aventure (Koh-Lanta : Raja Ampat, Koh-Lanta : La Revanche des Héros, Koh-Lanta : La Nouvelle Édition), baladant son tatouage tribal, ses pecs, sa queue-de-cheval et son sourire en Indonésie, en Malaisie ou au Cambodge et cumulant les records (d’épreuves individuelles remportées et de jours de survie, depuis tombés). À 42 piges, Teheiura incarne une gentillesse un brin désuète, un mec qui pense collectif – en partageant par exemple la bouffe gagnée lors des jeux de confort – et une crème dotée d’un flair infaillible pour se faire enfler à chaque conseil.

En plus d’être un des personnages les plus attachants de Koh-Lanta, Teheiura est aussi un chef avec de la bouteille. Depuis quelques années, il sillonne les routes de France en commençant par celle de l’Hérault à bord de son foodtruck, le Manatoa, et propose de faire découvrir aux
« métropolitains » quelques classiques de la cuisine polynésienne qu’on ne trouve pas facilement hors des îles.

Teheiura est né sur l'île de Tahaa dans l’archipel de la Société. Un petit coin de paradis réputé notamment pour produire une des meilleures vanilles du monde. Petit coin de paradis que Teheiura décide de lâcher à 20 ans pour poursuivre ses études. « Au départ, je pensais quitter le nid quelques années. Je ne connaissais rien de la métropole. Quand je débarque à Paris en plein mois de septembre, je suis en short et en tongs. Je vois des immeubles de 30 étages pour la première fois. Chez moi, il n’y avait qu’une route et on n’y croisait pas beaucoup de voitures », se souvient-il.

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Alors qu’il s’était engagé dans un bac pro option métiers du sport, Teheiura choisit finalement de se réorienter vers la bouffe. « Je pense que tous les chefs ont une histoire de moments passés en cuisine avec leurs parents. Bah moi c’est pareil. Je me rappelle qu’à 10 ou 11 ans, je préparais à manger seul pour toute la famille. C’était quelque chose qui me plaisait et je l’avais gardé en moi. J’ai donc suivi une formation à Sète pendant laquelle j’ai fait de tout comme restauration : du petit traiteur qui va au marché le dimanche jusqu’à bosser dans un deux étoiles. »

Son apprentissage de la cuisine française se heurte parfois un à constat lucide : « Chez nous, tout est plus simple. Pour le poisson par exemple, on le pêche, on fait un feu et on met le poisson sur le feu. On ne touche à rien et on cuit avec l’écaille. C’est comme une saucisse sur un barbecue. Ça garde le jus de cuisson à l’intérieur du poisson et c’est délicieux. Je découvre qu’en métropole, s’il reste une arête dans le poisson, c’est un drame. Après, il y a des choses qui se ressemblent comme la cuisson en papillote. On préfère juste la faire dans des feuilles de bananier plutôt que du papier d’alu. »

Teheiura choisit de s’installer à Montpellier parce que le climat méditerranéen de la région est plus clément et parce qu’il sait qu’une petite communauté d’étudiants polynésiens y est installée. Quand on lui parle de la déprime de certains ultramarins qui quittent leur île pour la métropole, il acquiesce et raconte que la première année a été particulièrement difficile. « J’ai eu la chance d’être accompagné de mon meilleur ami et de pouvoir faire la bringue avec les étudiants. On se réunissait régulièrement pour faire des repas traditionnels et tenir le coup ensemble. Sans ça, c’est facile de péter un câble. »

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En 2011, Teheiura décide de participer à la 11e saison de Koh-Lanta. Son idée ? Remporter l’édition et, avec l’argent de la récompense, monter un restaurant en dur pour y servir sa cuisine. « J’y allais aussi pour le challenge et l’aventure, sourit-il. Pour moi, c’était un vrai défi parce que, même si j’avais continué à faire du sport, ça faisait pas mal d’années que je n’avais pas pêché ou cassé des noix de coco. Je ne savais pas si j’étais encore capable de le faire. Je l’ai un peu vécu comme un retour aux sources. »

Vivre de la nature avec trois fois rien, Teheiura maîtrise. Contrairement à d’autres participants, il a déjà utilisé des feuilles de cocotier pour s’abriter ou comme assiette pour manger sans s’en foutre partout. Il échoue en finale mais l’émission est un coup de projecteur sur lequel il compte bien capitaliser. Deux autres éditions de Koh-Lanta suivront avant la publication d’un livre de recettes, Aventure culinaire, histoire de partager sa passion et ses connaissances, puis le lancement en 2015 de son foodtruck, le Manatoa.

Au menu du camion, une cuisine polynésienne avec quelques petits arrangements. « Tous les produits des îles ne sont pas disponibles ici, soupire le chef. Il a fallu trouver des compromis. On a par exemple remplacé les feuilles de jeunes pousses de taro du poulet fafa, introuvables en métropole, par des feuilles d’épinard. On s’adapte. » Parfois, les mélanges se font naturellement : magret de canard au miel et fruit de la passion ou mangue et foie gras, sans toutefois détrôner le plat signature de Teheiura : « Dans tous les festivals et les foires qu’on a faits, c’est le poisson cru que les gens viennent goûter ».

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Et les clients semblent conquis. Marie-Christine qui habite la région et a testé la cuisine du Manatoa la juge très agréable : « J'ai vu le foodtruck sur certaines manifestations comme la fête des fleurs au Château de Perdiguier. La cuisine est subtile, les présentations recherchées. Ce que j'ai eu l'occasion de goûter était surtout des mélanges sucré-salé avec des produits frais. Le chef est apprécié pour sa discrétion et sa gentillesse. Il utilise Facebook pour communiquer et on voit que beaucoup de gens le suivent. »

Teheiura estime que sa notoriété lui a permis de fidéliser du monde rapidement. D’abord un peu gêné de voir sa photo imprimée sur le camion, il ne regrette pas aujourd’hui d’avoir écouté son entourage. « Dans le foodtruck, je travaille avec mon beau-frère, c’est un peu comme quand on débarque à Koh Lanta, il faut vite s’adapter aux autres parce qu’on finit toujours par se croiser. La bonne entente est primordiale. »

Le chef, qui voit son foodtruck comme une manière de transmettre sa culture et de véhiculer une image positive de la cuisine polynésienne, a quand même fini par replonger dans l'aventure. Une nouvelle participation à Koh-Lanta comme si le défi était irrésistible. Avant son élimination, Teheiura a encore montré qu’il était dans son élément, capable de concocter apéro de jus de fruit pour le camp ou de savourer une bonne côte de bœuf à la plancha après une énième épreuve de confort remportée. La bouffe est d'ailleurs un sujet. Il y a quelques années, la prod’ s’était justifiée sur les cannes à sucre ou les bananes étrangement tombées du ciel pour nourrir les candidats, Denis Brogniart expliquant in fine qu’ils n’allaient quand même pas les laisser crever de faim. Teheiura n’était clairement pas concerné.

Et le chef de conclure. « Quand on grandit sur une île, on ne fait pas toujours attention à ce qui nous entoure. Depuis la métropole, avec le recul, je me rends compte de la valeur de ce que j’avais. Prenez la vanille de Tahaa par exemple, connue dans le monde entier. Quand j’étais petit, on s’amusait dans les champs et, en suivant l’odeur, on pouvait tomber sur les gousses. J’en ai encore un souvenir très vif. Aujourd’hui, c’est celle que cultivent mes parents sur l’île qui me manque le plus. »

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