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Sports

L'homme qui vivait au rythme des Jeux olympiques

Tous les quatre ans, Stefan pose deux semaines de vacances et s'arrête de vivre pour suivre toutes les disciplines des JO. A l'écart de sa femme et de ses enfants.
Lenny Pomerantz

Mardi 16 août, 3 heures du matin à Mont-Saint-Aignan en Normandie. Un cri résonne dans les rues de la petite commune endormie. Puis un autre, qui fait trembler les murs de la maison délaissée par la majorité de ses occupants. Un homme jubile devant son écran d'ordinateur. En demi-finale du double mixte de badminton, le duo malaisien vient de remporter le premier set du match qui l'oppose à des Chinois. « Quelle ambiance dans les tribunes, c'est génial ! Allez la Malaisie », hurle Stefan en pleine extase. Il n'a pourtant rien à voir avec la petite île qui se trouve à des milliers de kilomètres de chez lui. Pas besoin de ça pour soutenir les deux sportifs. « Si quelqu'un mérite de gagner, alors il va être à fond pour lui », explique sa fille Elaï, envoyée en vacances pour ne pas déranger pendant les Jeux. Sa mère, exilée aussi pour l'occasion sourit. Pourtant, quelques jours plus tôt, elle riait jaune. Alors qu'elle regardait un film en streaming sur son ordinateur, elle a subi l'ire de son mari. « Michal tu utilises Internet ?! Arrête tout de suite », a crié Stefan depuis sa tanière. « Michal arrête, je n'arrive pas à voir le beach volley sur l'ordinateur ! ». Abandonné par son fournisseur d'accès au monde virtuel dont les performances n'ont d'égal que celles des nageurs Français, Stefan se rabat sur son vidéo-projecteur.

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Sur le mur de la petite pièce aménagée pour l'occasion, France 2 rediffuse les images des épreuves de la soirée. À côté, une télé abonnée à France Ô, et une autre en cas de nécessité absolue. « C'est simple, il a pris toutes les télés de la maison » explique Michal. Devant lui, son ordinateur de bureau, un autre portable pour jeter un coup d'oeil aux sports mineurs et surtout compiler tous les résultats. « Merde, ils ont donné les résultats de l'haltérophilie ? J'ai pas vu, c'était quoi ? ». Il part fouiller le site des Jeux et retrouve le classement. « Ouz, Arm, Kaz », se répète-t-il plusieurs fois de peur d'oublier. « Ouz, Arm, Kaz, Ouz, Arm Kaz », dit-il avant de rentrer les résultats dans sa base de données, puis de basculer sur une autre épreuve de manière schizophrénique.

Sa base contient les résultats de toutes les épreuves, toutes les disciplines, depuis le début de l'ère moderne des Jeux. « Je regrette, j'aimerais m'intéresser davantage aux Jeux de la Grèce Antique, en plus j'adore cette période. Mais je suis un peu passé à côté », explique le passionné, presque gêné de ne pas être à la hauteur de ce qu'il exige de lui-même. Cette base de données était auparavant accessible sur un site qu'il a lancé en 2000. « Il n'existait pas d'endroit où on pouvait trouver tous les résultats alors j'ai voulu partager avec tout le monde. » Résultat, en quelques années il réussit même à empocher 100 dollars grâce aux pubs de Google. Aujourd'hui hors-ligne, le site sera de nouveau opérationnel très vite promet-il. « Je veux que les gens puissent fouiller et découvrir aussi la tradition de certaines disciplines. »

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Stefan, lors de la finale de Pierre-Ambroise Bosse sur 800 mètres.

Tradition. Ce mot a autant d'importance pour Stefan Darmoni que pour Tevye dans Un violon sur le toit. C'est cette tradition qui le pousse à devenir un fan inconditionnel de la Hongrie en canoë ou des Etats-Unis en natation. « Quand une nation a dominé un sport pendant longtemps ça me parle. Et j'ai envie que la nouvelle génération perpétue cette tradition et remporte les médailles. Parce que ça veut dire qu'il y a eu transmission et qu'il y a eu partage. » Le sourire jusqu'aux oreilles, il raconte comment il a été heureux cette année quand Tony Estanguet a félicité Denis Gargaud-Chanut qui venait de lui succéder au palmarès du C1. « Il est devenu fou Estanguet, il le tapait de partout, il lui a mis des coups énormes sur le casque, c'était génial ! Ils ont fait un vrai kif les deux et c'est ça que j'ai kiffé moi aussi. » La transmission et le partage donc, des valeurs olympiques qui lui parlent mais qu'il a du mal à transposer à sa propre vie quand il s'agit des Jeux.

« Je reconnais que j'ai une façon un peu égoïste de voir les JO. Je veux voir personne, je veux parler à personne, je suis chiant. J'aurais bien aimé partager avec mon fils mais il a une connaissance qui tend vers le zéro absolu », se marre-t-il. « Il vit tellement les Jeux à l'excès que c'est dur d'être avec lui, reconnaît Eden, plutôt porté sur la marche à pied pour choper des Pokémon que sur le 3000m steeple. Mais même si je ne suis pas les épreuves, que j'ignore les noms des sportifs, je connais mille histoires parce qu'il me les a racontées des centaines de fois. Il est super enthousiasmant et très touchant et ça c'est le côté plutôt cool. » De la victoire de Jean Boiteux dont le père a plongé dans la piscine olympique d'Helsinki en 1952 à celle de Guy Drut en 1976, pas une histoire ne lui échappe. Et quand il les raconte, c'est toujours avec les yeux embués et les trémolos dans la voix.« Je ne peux pas expliquer rationnellement pourquoi j'aime tellement les Jeux, admet Stefan. C'est un mélange de plein choses. Je me sens proche des valeurs de l'olympisme, j'aime bien que des sportifs millionnaires côtoient ceux qui cumulent les boulots, et que tous sentent dans leurs tripes, qu'ici, il se passe quelque chose de particulier. »

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Sa passion, a débuté très jeune et un peu par hasard un jour de 1964 quand il a fondu en larmes « à la suite de la [4ème place de Michel Jazy au 5000 mètres](

Stefan s'est aménagé une pièce pour suivre les Jeux au calme.

Cette année encore, Stefan s'est mis à l'heure des Jeux. Pendant une semaine il a décalé son réveil pour être calé sur le fuseau horaire de Rio et pouvoir regarder les épreuves 16 heures par jour. Celles qui sont diffusées sur les chaînes de France Télévisions, comme celles uniquement disponibles sur Internet. À chaque temps mort, il profite pour revoir en replay un combat de boxe, ou une course d'aviron. Sur un autre onglet il garde un œil sur le hockey et jongle avec les télécommandes pour allumer le son du vidéoprojecteur ou celui de la télé. Sauf quand les Français sont en lice.

« Ils me rendent fou les journalistes. Déjà, ils te survendent tous les sportifs. Untel est 20ème mondial, ils te font croire qu'il a une chance de médaille. Et en plus ils le disent et le répètent. "Oulala il est fort, oulala il est bien parti, il va gagner", ils parlent avant la fin et ils leur portent la poisse ! » Ultra superstitieux, Stefan attribue aux commentateurs certaines déconvenues françaises. « En 2004, Absalon est en tête. Le journaliste balance "c'est bon il va gagner" et une seconde après le mec tombe. Il y avait Cyrille Guimard qui commentait aussi, je crois qu'il a tapé le journaliste qui n'a plus parlé jusqu'à la fin de la course. »

Des petits coups, son fils Eden en a reçu aussi. Pour jouer avec les nerfs de son père, plus d'une fois il a balancé un : « Il est très fort celui la ! ». « Une fois ça passe, mais si je le répète et que c'est un Français qui finit par perdre, il me déchire ». Et son pouvoir surnaturel aurait déjà « rapporté une médaille d'or aux Français », dixit son père. La [victoire hexagonale en concours complet d'équitation aux JO de 2004](<iframe width=), c'est ni plus ni moins grâce au mauvais œil de son fils, affirme Stefan le plus sérieusement du monde. Il admet lui aussi envoyer quelques mauvaises ondes aux athlètes des autres pays, même si « c'est contraire aux valeurs. Mais bon, je suis prêt à tout pour qu'on décroche une médaille. »

Sauf peut-être à bouger de son siège qu'il quitte uniquement pour aller se chercher à manger. Pas question pour lui d'aller voir les Jeux en vrai, il ne supporterai pas « de rater une épreuve ». Du bout des lèvres il admet que si Paris accueille le rendez-vous en 2024, il ira « humer l'ambiance », probablement à contre-coeur. « J'ai vu la finale de la Coupe du monde 98 au stade, j'ai été à la Coupe du monde de rugby, ça me suffit. » Lui ce qu'il aime, c'est avoir les yeux rivés sur ses écrans et profiter de ce que sa femme appelle une religion. Sa Bible ? T_he complete book of the Olympics_ , qui compile sur 1300 pages tous les résultats des Jeux olympiques. Les messies se prénomment Jean Boiteux, Guy Drut ou encore Marie-José Pérec dont la victoire sur 400 mètres aux JO de Barcelone constitue l'un des moments phares de la vie de passionné de Stefan. Qui commence à expliquer que la Catalogne a accueilli ses Jeux préférés. Et finalement s'interrompt, interloqué par ce qu'il voit sur le site de France TV Sport. « Y'a la finale du K1 ? Merde, je suis en train de rater ! Oulala, y'a de l'omnium en plus ? Bon allez faut que je me concentre la, ça va plus du tout ! » Il est 15 heures à Mont-Saint-Aignan en Normandie. Le fan numéro 1 des Jeux olympiques pousse son premier hurlement de la journée. Le double féminin danois vient de remporter un point au badminton. Stefanssen est aux anges.