Sur les pas du "Kung Fu Panda" américain, en quête d'un titre de champion du monde de muay thaï

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Sur les pas du "Kung Fu Panda" américain, en quête d'un titre de champion du monde de muay thaï

Aux Etats-Unis, les promoteurs refusaient de le programmer à cause de son apparence de nounours. Steven Banks est donc parti à l'étranger pour combattre.

Imaginez-vous : vous êtes en train d'arpenter paisiblement la promenade d'une station balnéaire thaïlandaise, le visage délicatement fouetté par une brise marine. Là, vous croisez un Occidental rebondi et joufflu, dépassant allègrement le mètre 85, et, à vue de nez, les 120 kilos. Il est chauve, d'apparence plutôt intimidante, mais en réalité très avenant. Vous l'entendez d'ailleurs se lancer dans une blague qu'il raconte à ses potes avec verve et enthousiasme, avant de partir dans un grand rire facétieux.

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A première vue, le mec a tout d'un touriste bedonnant heureux de claquer son pécule dans un pays au niveau de richesse et donc de prix moins élevé. Il fait peut-être même partie de cette caste répudiée mais pourtant nombreuse de touristes venus profiter des charmes de la mer ET des hôtesses qui passent leurs journées dans les bars.

Pourtant, ce mec est un combattant de muay thaï à la carrière plus que sérieuse. Une carrière prête à basculer dans les semaines qui suivent, puisqu'il s'apprête à disputer le titre de champion des super lourds WBC dans une des salles les plus prestigieuses du pays. Tout ça, vous ne l'auriez jamais deviné en voyant sa dégaine, tout comme vous n'auriez jamais parié que cet homme a un jour été stagiaire dans une entreprise de pompes funèbres.

Ce look a priori ridicule, ou inapproprié, est en fait la plus grande force de Steven Banks. Car Steven Banks a longtemps galérer à faire carrière à cause de son physique. C'est ce qui l'a emmené toujours plus à l'Est, jusqu'à découvrir la patrie du muay thaï, la Thaïlande.

Elevé dans une ferme en Caroline du Nord, Banks est un homme complexe, aux multiples facettes. Je l'ai rencontré l'année dernière dans la salle de la Phuket Top Team, où il s'entraîne. Il n'a pas été difficile à repérer, puisqu'il fait à peu près une tête de plus que la plupart des autres combattants. Ce qui ne l'empêche pas de se mouvoir avec une vitesse et une précision déroutantes. Le propriétaire de la salle, Boyd Clarke, me l'a montré du doigt, m'expliquant que le mec jouissait déjà d'une certaine notoriété en Chine.

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Banks est entré dans l'équipe de Phuket en 2015, après que Boyd Clarke l'a vu combattre en Chine, à Kunlun. Banks avait perdu, mais Clarke a vite compris qu'il s'agissait simplement d'une histoire d'état de forme et que le potentiel était bien là. De plus, après s'être renseigné sur le bonhomme, Clarke a appris que Banks travaillait dix heures par jour comme livreur de nourriture aux Etats-Unis, ce qui l'empêchait de se consacrer à 100% au muay thaï. « On lui a donc proposé de le sponsoriser », reprend Clarke. Banks a évidemment sauté sur l'occasion, et un mois plus tard, en juin 2015, il s'installait à Phuket.

Steve Banks est ainsi devenu un combattant professionnel, presque par accident. Mais il s'intéressait déjà à la discipline depuis des années, et même depuis son enfance. A cette époque, sa mère prophétisait qu'il deviendrait un jour un maître des arts martiaux : « Je passais mon temps à frapper les murs et les objets », se souvient Steven Banks, qui passait des heures à s'exercer ainsi dans les champs, avec les femmes pour seules spectatrices de cet étrange ballet. Sans le savoir, Steven Banks se comportait exactement comme des milliers de petits enfants thaïs, qui eux aussi s'entraînaient en frappant des sacs de riz, à des milliers de kilomètres de là.

Malgré cette passion juvénile, il s'est plutôt tourné vers des sports plus conventionnels comme le football américain et l'athlétisme. Après la fac, son physique de colosse lui a permis de se reconvertir en videur de boîte de nuit. Un métier qui l'a amené à pratiquer un peu la castagne, et à revenir sur la voie du muay thaï. Pour ne plus jamais en dévier.

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C'était il y a dix ans à peu prés, Banks avait 25 ans et vivait dans l'Ohio, à Cincinnati. Lors d'une de ses nuits de garde devant la porte d'un club de la ville, une bagarre avait éclaté. Banks avait mordu la poussière et s'était dit qu'un peu d'entraînement, au moins pour se défendre, ne serait pas de trop.

Après deux semaines et quatre entraînements, Steven Banks a eu l'occasion de représenter le club dans un petit combat local de MMA qui se tenait deux semaines plus tard. Pas encore assez confiant, et surtout peu formé, il ne s'est pas porté volontaire, ce que le coach n'a pas manqué de remarquer. Il lui a illico demandé pourquoi il restait en retrait.

« J'en sais trop rien », a répondu Banks, sur ses gardes.

« Tu combattras dans deux semaines que tu le veuilles ou non », a alors répliqué l'entraîneur sur un ton qui interdisait toute contestation.

Ce combat s'est soldé par un bordel sans nom. L'adversaire de Banks, un certain Michael Williams, lui a d'abord explosé le nez d'une droite bien sentie. Les spectateurs présents ce jour-là ont raconté par la suite que Banks souriait à son adversaire quand celui-ci le matraquait de coups, avant de répliquer. Banks a alors coincé Williams et l'a littéralement martyrisé. Williams ne pouvait pas se dégager, et a fini par aller au tapis, avant que l'arbitre arrête la rencontre.

Steven Banks venait de remporter son premier combat.

« Aussitôt que le combat a pris fin, je me suis dit : "Ouaouh, je veux faire ça toute ma vie. Je n'ai qu'une envie, recommencer." »

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C'est à ce moment que le rapport de Banks aux sports de combat a changé, et avec lui son existence toute entière. Ce n'était plus un simple hobby mais bien le début d'une grande carrière. Banks a donc commencé à mener une double vie : livreur de donuts le jour, et combattant le reste du temps.

Quand on est seul, et qui plus est quand on a le physique d'Homer Simpson, en plus grand, certes, organiser des combats n'a rien d'une sinécure. Malgré les échecs, Banks ne s'est jamais découragé, et les choses ont commencé à changer d'elles-mêmes après sa rencontre avec le manager Billy Olson lors d'un combat en Chine quelques années plus tôt dans sa carrière. La Chine porte visiblement chance à Steven Banks, puisque c'est là qu'il a rencontré Boyd Clarke en 2015, comme nous l'avons évoqué précédemment.

Une grande partie des meilleurs souvenirs de combats de Banks sont liés à la Chine, où il a disputé une bonne douzaine de rencontres. Mais la Chine a surtout marqué sa carrière puisque c'est là-bas qu'il a été officiellement baptisé de son nom de combattant, lors d'un combat à Pékin en 2009. A l'époque, il se faisait appeler "Côtelette d'agneau", un surnom qu'il tenait de la période où il travaillait comme videur de boîte. « C'est nul, ça ne marchera jamais », lui a répondu l'organisateur. Concentré sur son combat, Banks n'y a pas prêté attention. Mais au moment d'entrer sur le ring, il a entendu la surprenante présentation qui lui était réservé. Banks était devenu « Gong Fu Xiong Mao! ». Cette annonce a provoqué une clameur de la foule, aux anges, sans que Banks ne comprenne ce qui lui arrivait. Vainqueur de son combat, il a été surpris de recevoir une nouvelle ovation du public, définitivement conquis.

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Après le match, Banks a enfin découvert la signification de ce surnom chinois : il s'appelait désormais "Kung Fu Panda", un an seulement après la sortie du dessin animé de Dreamworks, qui avait cartonné dans le monde entier. Certains auraient pu trouver cela débile, mais Banks l'a pris comme un honneur :
« J'ai toujours dit que si on vous donnait un surnom en Asie, c'était une marque de respect et la preuve que vous vous étiez intégré », m'a expliqué Banks.

Depuis, il n'a plus jamais lâché ce surnom de "Kung Fu Panda".

Tout comme le personnage du dessin animé, notre Kung Fu Panda du muay thaï est peu à peu devenu une célébrité en Chine. Steven Banks attisait la curiosité des Chinois, qui se demandaient tous qui pouvait bien être ce géant grassouillet qui rigole au beau milieu de ses combats et tire la langue à ses adversaires.

Pour Banks, cette seconde carrière asiatique s'est avérée bien plus fructueuse que la première, menée aux Etats-Unis, où il était souvent rejeté : « Quand je combattais aux Etats-Unis, les promoteurs qui me voyaient arriver se disaient "Oh, regardez ce gros sac, il va être lent et mauvais." En Asie, c'est totalement différent. Ils m'encouragent. Ils se foutent de mon apparence. Ils veulent juste voir du spectacle. »

Aujourd'hui, Steven Banks est reconnu un peu partout dans le pays, et même au-delà. En Thaïlande, dans sa salle de Phuket, Banks est souvent alpagué par des combattants chinois venus s'entraîner ici spécialement pour le côtoyer. Lui accueille ses attentions avec modestie. Un jour, alors qu'il se relaxait au sauna, il a été félicité par un groupe de fans chinois qui avaient vu ses combats à la télé. Banks se rappelle des paroles admiratives de l'un d'entre eux :
« Oh mon Dieu ! Je ne peux pas croire que vous êtes là en face de moi. » Ce à quoi notre "Kung Fu Panda" des US a répondu, amusé : « Et moi je ne peux pas croire que vous sachiez qui je suis. »

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Par moment, sa renommée inattendue éclipse même ses collègues thaïs, comme Lerdsila Chumpaitour, qui combat souvent en Chine. Lui qui a l'habitude de voir son nom truster les têtes de gondoles n'a droit qu'à un tout petit encart lorsqu'il se produit sur les mêmes tournois que Steven Banks. Il accepte d'ailleurs cet état de fait avec un grand sourire, lorsqu'il évoque la célébrité de son ami américain : « Kung Fu Panda est très connu en Chine, bien plus que moi ! A la fin des combats, tout le monde se ruait sur lui pour avoir une photo. Moi j'étais à côté et je criais : "Salut moi c'est Lerdsila, personne ne veut de photo avec moi ?" Visiblement, personne n'en voulait. »

Bien qu'il jouisse d'un statut particulier, Banks n'a jamais prétendu au rang de superstar. Il est très reconnaissant envers ses fans chinois et sait ce qu'il leur doit : « J'ai rencontré toutes sortes de fans : des hommes, des femmes, des petits garçons, des grand-mères. J'en ai vu pas mal venir vers moi et crier : "C'est le Panda, c'est le Panda, c'est le Panda !" »

Cette histoire a amené Steven Banks à tomber éperdument amoureux de la Chine, mais aussi de la Thaïlande. Et on le comprend. Ses pays d'accueil lui ont donné toutes les conditions pour s'épanouir et mener ce que beaucoup qualifieraient de vie de rêve. L'Asie lui a donné la liberté et la possibilité de devenir un combattant réputé en dépit de son apparence quelque peu originale.

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« Aux Etats-Unis, en Europe, on m'a sans cesse répété : "Ok, t'es pas mauvais, mais tu n'as pas le petit truc que nous recherchons." On m'a dit récemment que ce petit truc, c'était surtout la silhouette et la ligne que voulaient les sponsors des tournois auxquels j'avais postulé. »

S'il l'a freiné à un moment, le physique de Banks lui garantit désormais une fanbase élargie aux aspirants combattants qui n'en ont pas la carrure. Une femme a même contacté Banks l'année dernière pour qu'il la conseille en termes de diététique et d'entraînement, spécialement parce qu'elle rêve d'avoir les mêmes capacités physiques que lui. Dans sa lettre, elle l'a félicité en ajoutant qu'elle n'aurait jamais pu penser qu'un homme de sa carrure puisse avoir une telle carrière. Banks a appris plus tard que la femme était obèse.

Obèse ou non, n'importe qui peut se reconnaître dans l'histoire de "Kung Fu Panda", dont le parcours parle à tout le monde : des origines incertaines, l'épreuve du rejet, le bonheur d'être finalement accepté et de s'épanouir dans une nouvelle vie.

« On s'est déjà moqué de vous ? », ai-je même demandé à Banks alors qu'on déjeunait ensemble dans un café thaï.

« Toute ma vie, a-t-il répondu du tac au tac : Tout le monde dit qu'il faut lutter contre les railleries et le harcèlement. Mais personne n'arrête de se moquer, on est tous le bourreau de quelqu'un à un moment ou à un autre de notre vie. »

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Depuis son adolescence, moment où il a acquis le statut de gros auprès de ses camarades, Banks a constitué une solide expérience en termes de victimisation. Ce qui semble très étrange aujourd'hui, sachant que le mec est quand même en passe de combattre pour la ceinture de champion du monde des poids lourds.

Comme la plupart des gens hors-normes culturellement ou physiquement, Banks a connu ces moqueries toute sa vie. Ses détracteurs lui répondent qu'il n'avait qu'à choisir une activité sportive plus appropriée à ses mensurations s'il ne voulait pas être mis en lumière aussi négativement.

Un homme de sa stature aurait eu toute sa place dans une équipe de foot américain. Mais alors qu'il était membre de l'équipe de sa fac, il a quitté les entraînements pour rejoindre l'équipe des cheerleaders, une activité certes peu adaptée a priori à son poids et sa carrure, mais qui lui plaisait beaucoup, même si ça ne lui a pas valu que des compliments. On vous épargne les insultes sur sa prétendue homosexualité.

Cette anecdote résume à elle seule la complexité du personnage de Steven Banks, un athlète chevronné mais grassouillet, un travailleur acharné mais aussi un bon vivant. Quand je lui ai demandé s'il avait déjà vu le film Kung Fu Panda et s'il s'identifiait à Po, le héros, il m'a répondu sans hésiter : « Bien sûr ! On aime tous les deux bien manger, et on n'abandonne jamais. »

Tout comme Kung Fu Panda s'est décliné en plusieurs épisodes, la carrière de Steven Banks est arrivée à son chapitre le plus glorieux peut-être. Il a en effet combattu Benz RSM pour la ceinture de champion du monde WBC au stade Rajadamnern. Quand il a appris la nouvelle, il s'est senti comme un joueur de foot US qui apprend qu'il va jouer le Superbowl. Et devinez quoi, il a gagné !

Il a affronté Benz RSM, l'actuel champion du monde des poids-lourds.

Mais notre Panda ne se repose jamais sur ses lauriers. Il continue en parallèle son stage dans une entreprise de pompes funèbres, sa seconde passion avec les arts martiaux : « Vous savez quand on vous demande ce que vous voulez faire quand vous serez grand, moi j'avais répondu que je voulais enterrer les morts. Evidemment, tout le monde s'est dit que j'avais un problème », se rappelle-t-il sans se départir de son sens de l'humour. « Ce métier me passionne parce qu'il fait partie des deux plus vieilles professions au monde avec la prostitution. Et comme j'ai l'intuition que je ne serais pas un super gigolo… »