La vie secrète des kids de « Kids »

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Culture

La vie secrète des kids de « Kids »

Quelques photos des héros du film de Larry Clark dans le New York des années 1990, dans la vraie vie.

Cet article est extrait du numéro photo 2016 et est republié dans le cadre de la rétrospective sur Harmony Korine organisée au Centre Pompidou du 5 octobre au 6 novembre.

Dans les années 1990, avant qu'une bande de yuppies ne prenne possession des rues de Manhattan, celles-ci appartenaient aux gamins issus des familles de classe moyenne de l'East Village. High vivait sur St. Mark's Place. Son appartement était le QG de la bande. Ils fumaient des joints, buvaient des bières, organisaient des soirées sur des toits et skataient au Washington Square Park. C'est ici que Leo Fitzpatrick, Justin Pierce et Harmony Korine ont rencontré Larry Clark. En 1995, grâce à Kids, classique inaltérable de Clark, leur quotidien serait révélé au monde entier.

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New York a changé dans les années 1990, lorsque Rudolph Giuliani en a pris la tête et s'est occupé de la restructurer. « À 14 ans, on pouvait acheter des bières en bas de chez nous, tout comme on pouvait acheter de la weed, de la coke et d'autres drogues dans le quartier. On pouvait aussi entrer en club », écrit Mel dans That's a Crazy One, le livre de photos qu'elle s'apprête à faire paraître avec High. Ni l'une ni l'autre n'apparaissent dans Kids, mais tous leurs amis sont dedans. Car leur vie, c'était ce que Clark recherchait. Mais si Kids capturait quelque chose qui semblait important car vrai, High et Mel ne sont pas du même avis. Toutes deux voient le film comme une mauvaise exploitation de leur image, estimant que Clark capitalisait sur la beauté du groupe tout en échouant à capturer la vraie beauté de leur monde. Selon elle, ils n'étaient pas aussi portés sur le sexe que ce que le film laisse entendre. Dans Kids, on peut croire que tous les mecs voulaient baiser les filles du groupe. En réalité, elles n'étaient en rien vues comme des conquêtes sexuelles – mais de vraies amies.

Plus de vingt ans après Kids, High et Mel ont sélectionné plusieurs images prises au début des années 1990. « High et moi avons photographié nos potes pendant toute notre adolescence, créant ainsi un portrait que tant d'autres ont essayé de dresser sans nous connaître », écrit Mel en introduction du livre. Leurs photos documentent leur vie : on y retrouve un ado sur un rebord de fenêtre décrépi, High et Mel en jeans troués sur un toit de St. Marks, un inconnu assoupi dans un train à Brooklyn.

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Qu'on les voie en train de fumer dans un lit ou de s'embrasser en petites culottes, cette série possède une forme d'intimité qui la rend pure, vulnérable. Longtemps, elles ont hésité avant de révéler ces images. La photo d'un pote à elles en chemise à carreaux, bottes de soldat, jean déchiré et skate sous le bras est une illustration presque caricaturale de l'adolescence à travers les âges.

Pour elles, ces années symbolisent surtout la fin d'une culture et d'un mode de vie. À l'époque, New York n'était pas encore muselée. La ville était encore dangereuse et, pour High, Mel et leurs amis, ce danger était fun. Aujourd'hui, au moment où chaque gamin s'empresse de poster sur Instagram son dernier acte de rébellion, eux ne se conformaient à rien. Leur crew était leur famille. Ils passaient leurs journées ensemble, à fumer et à boire du café, en remettant toujours à plus tard le moment où il faudrait rentrer à la maison. « On était là où on devait être, écrit Joanna, un autre membre du groupe. Et on était ce que l'on devait être. »

Aujourd'hui, l'intersection entre St. Marks et la 1re Avenue leur est méconnaissable. Mais si les gens, les boutiques et les immeubles ont changé, ce bout de quartier restera immortel. Il sera là aussi longtemps que la ville existe, à leur rappeler leur jeunesse désormais révolue. Bien qu'importants, ces souvenirs ne sont pas toujours simples à se remémorer. « Certains sont allés de l'avant, d'autres ont plongé, et d'autres encore restent coincés dans ce passé, écrit Mel. Certains sont tombés dans des pièges qui leur ont coûté la vie. »

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Certains sont en effet devenus accros à diverses dopes, d'autres se sont fait rattraper par la vie. Justin Pierce, Casper dans Kids, a continué à jouer dans quelques films avant de se suicider dans sa chambre d'hôtel de Las Vegas, en 2000. « Je veux que les gens sachent que, au-delà de tout ce qu'ils ont pu voir de toi, tu étais le plus loyal des amis », lui témoigne aujourd'hui Mel. Au téléphone, elle m'explique que tout a changé dans le groupe après la mort de Pierce. Il était celui qui permettait aux autres de garder la tête hors de l'eau. Et si sa mort a convaincu certains de se mettre au vert, elle a eu l'effet inverse sur d'autres. Il est facile d'imaginer l'adolescence de ces jeunes gens en jetant un coup d'œil aux photos. On est devant un groupe condamné à partir en couille, dont la ressource la plus précieuse est celle de savoir qui ils sont. Mais, s'ils étaient prêts à tout pour s'aider les uns les autres, ils étaient aussi incapables de se prendre eux-mêmes en main. Car l'arrivée dans l'âge adulte est toujours brutale. Un jour, les amis sont loin et chacun a tracé son chemin. La naissance du crew de High et Mel s'est faite de la façon la plus naturelle possible. Tout comme sa disparition.

Tous les profits réalisés à partir de « That's a Crazy One » seront distribués à la NYC Public Schools Art & Photography.