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Le mystère de la médaille olympique de Mohamed Ali

Le légendaire boxeur raconte dans son autobiographie qu'il a jeté sa breloque d'or gagnée à Rome en 1960 dans la rivière de l'Ohio. Mais personne n'a réussi à savoir si c'était vrai.

La genèse de la légende de Cassius Clay se résume à un vélo. Quand l'Américain avait tout juste 12 ans, quelqu'un lui a volé son précieux moyen de transport. La disparition de la bicyclette a mis le jeune Cassius tellement en colère qu'il a décidé de se venger, et c'est la raison pour laquelle il a commencé à boxer.

Mais le moyen de transport le plus important de la carrière de celui qui s'est autoproclamé The Greatest aura été l'avion. Oui, un avion quelconque pourrait bien avoir changé l'histoire du sport contemporain et avoir tué dans l'œuf la genèse d'un mythe qui a aujourd'hui dépassé les frontières, sportives comme culturelles.

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En 1960, Clay était un garçon de 18 ans qui avait brillé lors de ses premières incursions dans le monde de la boxe amateur, mais il ne savait pas encore vraiment s'il allait pouvoir aller aux Jeux olympiques de Rome la même année.

Mohamed Ali lors de la remise des médailles des Jeux de Rome en 1960. Image vía Wikimedia Commons

Clay voulait vraiment aller en Italie, mais il comptait le faire de la même manière qu'il avait gravi les échelons en boxe amateur, c'est-à-dire à base de déplacements en trains ou dans la camionnette de Joe Martin, le policier qu'il avait sollicité lors du vol de sa bicyclette et qui plus tard était devenu son premier entraîneur.

Il a fallu quatre heures de promenade à Martin pour convaincre Clay qu'il n'avait pas d'autre choix que de prendre l'avion. « Au final il a accepté, mais avant il a acheté un parachute militaire. D'ailleurs, il l'a gardé sur lui tout au long du vol. Ça a été un trajet assez agité, et lui il était là dans l'allée centrale, en train de prier avec son parachute sur le dos », a raconté le fils de Martin au journal The Courier-Journal de Louisville.

Le plus important c'est qu'il est arrivé à destination et une fois là-bas, le boxeur s'est révélé être le plus grand bavard du village olympique. D'ailleurs, ses compagnons l'ont rebaptisé "maire de la ville" car il se comportait comme un politique en campagne : il serrait la main de tout le monde, souriait en permanence et n'arrêtait pas de raconter des histoires.

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Sur le ring, Cassius a très facilement gagné ses trois premiers combats dans la catégorie des mi-lourds et a remporté l'or à l'unanimité face à un Polonais qui dans la vie de tous les jours gérait une cafétéria. Zbigniew Pietrzykowski l'a mis en danger lors de sa première agression, mais la rapidité et l'agilité du jeune Ali a eu raison de son rival qui a terminé à bout de souffle et a même taché le short de l'américain de son sang.

« Je le vois encore trottiner dans le village olympique avec sa médaille, raconte l'athlète américaine Wilma Rudolph au journaliste et écrivain David Remnick, auteur de la célèbre biographie du boxeur, Roi du Monde. Il dormait avec. Il la portait autour du coup en allant à la cafétéria. Il ne l'enlevait jamais », ajoute Rudolph, trois fois médaillée d'or dans les épreuves de vitesse à Rome.

En Italie, rien ne laisse présager que Cassius Clay se séparera un jour de son métal si précieux. « C'était la première fois que je dormais sur le dos, racontait le jeune boxeur. C'était la seule façon de dormir sans me faire mal avec la médaille ».

Malgré sa jeunesse, Clay était déjà un maître du baratin, une vraie mine d'or pour les journalistes sportifs. Et ça, pour sûr, ça n'a pas changé d'un poil de toute sa vie.

Un reporter soviétique a essayé de le piéger sur le thème du racisme aux Etats-Unis, mais Clay croyait que le choses pouvaient changer après sa médaille d'or. Cassius pensait que les préjugés s'évanouiraient petit à petit. « Dis à tes lecteurs que nous avons des gens très qualifiés qui planchent sur le sujet et que je ne doute pas une seule seconde de l'issue. Pour moi, les États-Unis sont le meilleur pays du monde, le tien inclus. Parfois, il peut être difficile de trouver à manger, mais au moins je ne n'ai pas à me battre contre des crocodiles et je ne vis pas dans une hutte en argile », lui a-t-il répondu.

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Ali, ici entouré d'autres athlètes américains, mettait l'ambiance dans le village olympique. Image vía Olympic.org

Le fait est que ni sa médaille d'or ni son apologie de la grandeur des États-Unis n'ont changé les préjugés raciaux chez lui. À Louisville, dans l'Etat du Kentucky, Cassius a reçu le surnom de "nègre olympique", et après avoir passé quelques jours à New-York à promener sa médaille – toujours autour de son cou – et à faire la fête, Clay a fait son retour à la maison et à la dure réalité.

À l'aéroport, il a été reçu par le maire, un petit groupe de pom-pom girls et environ 300 personnes. Les problèmes sont arrivés quand, quelques jours après, il s'est installé dans une brasserie et qu'on a refusé de le servir. Toute sa joie et sa fierté se sont transformées en rage et en colère, et d'après ce qu'il raconte lui-même dans son autobiographie The Greatest : my own story , il s'est défait de sa médaille et l'a jetée dans le fleuve.

« Je suis retourné à Louisville après les Jeux olympiques avec ma médaille d'or. Je suis allé dans une cafétéria où ils ne servaient pas les noirs. Je pensais que je pourrais les remettre à leur place, je me suis assis et j'ai demandé la carte. Le champion olympique portant sa médaille, et eux ils m'ont dit : "On ne sert pas les noirs ici". Je leur ai répondu qu'il n'y avait rien à craindre, que je n'allais pas les manger, mais ils m'ont jeté dehors à coup de pied. Alors je suis allé au bord du fleuve Ohio et là j'ai jeté ma médaille », raconte Ali dans ses mémoires, rédigées conjointement avec l'écrivain Richard Durham.

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Il subsiste cependant quelques doutes quant à l'authenticité de cette version des faits. Ali lui-même a donné différentes versions de cette histoire. La seule chose sûre, c'est que la médaille a disparu.

Selon Thomas Hauser, auteur de Muhammad Ali : His Life and Times, Clay aurait perdu sa médaille, sans plus. L'anecdote de sa biographie pourrait être un autre coup de génie du boxeur, excellent des poings et toujours ingénieux au moment d'agrémenter sa réputation de petites histoires.

Un ami d'adolescence d'Ali, Victor Bender, a affirmé à l'émission américaine Sports Detectives que Mohamed ne lui avait jamais dit si l'histoire de la médaille et du fleuve était vraie ou pas, mais lui « croyait que la médaille avait été perdue et puis c'est tout ».

Mohamed Ali, avec l'équipe américaine de basket lors des Jeux olympiques d'Atlanta. Image vía NBA.com

Ali n'a jamais clarifié les choses - « je ne sais pas où j'ai mis ce truc », a-t-il dit une fois – , comme quoi il est difficile de savoir avec une certitude totale si la médaille a été perdue dans le fond du fleuve ou dans un autre endroit indéterminé. Une chose est sûre, c'est que l'incident à la cafétéria a rapproché un peu plus le jeune Cassius Clay de sa réincarnation en Mohamed Ali.

Personne n'a retrouvé la médaille originale, celle qui a poussé le boxeur à faire le saut définitif vers la boxe professionnel et ainsi vers sa propre légende. Lors des Jeux d'Atlanta de 1996, Mohammed Ali a reçu la reconnaissance du Comité olympique International qui lui a décerné une nouvelle médaille d'or pour remplacer celle qu'il avait perdue dans l'eau ou, probablement, dans son esprit.