​Le Suédo-Gambien qui s'est fait une carrière en se faisant passer pour Paul-Georges Ntep

Alieu Darbo 2015-2017 Skills. Comme quantité de joueurs anonymes, le footballeur suédo-gambien Alieu Darbo possède des vidéos de ses meilleures actions sur YouTube. L'ailier y montre quelques dribbles plus ou moins réussis, quelques courses percutantes, réalisés sous différents maillots. On le voit sous les couleurs du Mosta FC, un club maltais, ou de l'équipe égyptienne de l'Ittihad Alexandrie. Mais parmi ces images où on discerne assez bien l'attaquant gambien et sa coiffure à crête, il y en a d'autres, plus floues, qui ont l'air de se dérouler dans le championnat de France.

Darbo a bien joué en France, mais c'était entre 2009 et 2011, au Mans FC, pour un seul match, de Coupe de France paraît-il. Seulement, on ne reconnaît pas le maillot rouge et jaune du Mans dans cette vidéo. A la place, un ailier virevoltant vêtu de blanc déboule dans les défenses adverses en humiliant les défenseurs. Il s'agit en réalité de Paul-Georges Ntep, lors de ses années auxerroises. Alieu Darbo, auteur de la vidéo si l'on en croit le compte YouTube qui l'a postée, a inséré des extraits d'une vidéo de l'international français (visible ici) dans ses propres highlights.

Ce serait simplement pathétique s'il n'avait pas berné plusieurs clubs européens et africains grâce à cela. Et il semblerait que ce ne soit pas le seul tour de passe-passe qu'il ait dans sa manche : Darbo est aussi accusé d'avoir utilisé de fausses adresses mail et des photos truquées pour se faire recruter. C'est le quotidien suédois Aftonbladet qui a révélé l'histoire la semaine dernière : Alieu Darbo, 24 ans, aurait arnaqué différents clubs en se faisant passer pour un joueur qu'il n'était pas.

Pour comprendre l'histoire de cet ersatz footballistique de Jean-Claude Romand, revenons à ses débuts. Né à Göteborg, en Suède, en 1992, le jeune Darbo se fait repérer à 16 ans, en 2009, par un recruteur du Mans alors qu'il participe à la Gothia Cup, "le plus grand tournoi de jeunes footballeurs au monde" si l'on en croit sa réputation numérique. Dans la Sarthe, il signe un contrat de trois ans. Denis Zanko, entraîneur de l'équipe réserve à cette époque, se souvient du nom, mais pas de grand chose de plus : « Il était dans le groupe U19 et a fait quelques entraînements avec la réserve. Il ne s'est pas particulièrement fait remarquer en bien ou en mal. » Darbo n'a pas laissé un souvenir impérissable lors de son passage en France. Régis Beunardeau, qui l'a coaché en U19 se rappelle à peine du Gambien : « C'était un bon gars. Je n'ai jamais eu de problèmes avec lui. Mais je ne le voyais pas devenir professionnel. Il ne faisait pas partie des meilleurs joueurs de l'équipe. »

Dans le même temps, Alieu Darbo participe à la Coupe du monde U17 avec la Gambie. Il y dispute trois matches, deux comme titulaire, un comme remplaçant. « C'était un gros truc. Neymar et Coutinho participaient à ce tournoi », déclare-t-il à Aftonbladet, qui est entré en contact avec lui pour démêler le vrai du faux. En 2010-2011, il participe, selon ses dires et ceux de différents médias africains, à son premier match avec l'équipe première du Mans. Une victoire 2-0 en Coupe de France face au "club de National Montsy Piggont". Pas de traces d'un tel match face à une équipe au nom aussi absurde, tout juste Le Mans s'est-il qualifié au septième tour cette année-là face au Plouzané FC en gagnant 2-0.

La suite ? C'est peut-être à partir de ce moment-là que Darbo commence à vouloir arnaquer le monde du foot pro. En 2011, il se blesse. « J'allais signer avec Wigan et ils étaient d'accord, prétend-il dans son interview à Aftonbladet. Mais je jouais au pays avec des copains et je me suis blessé accidentellement au genou. J'ai dû être opéré deux fois et j'ai été éloigné des terrains pour 18 mois. Donc Wigan a retiré son offre et après un an sans club, je ne savais même pas si j'avais envie de continuer le football. »

Et puis, en 2013, le voilà qui ressurgit, au Dinamo Zagreb en Croatie. En juillet, il y signe un contrat de trois ans. En décembre, le contrat est annulé. Entretemps, les médias croates avaient découvert l'arnaque. Présenté comme une recrue de la réserve de Wigan, Darbo n'a en réalité pas grand-chose à voir avec le club anglais. Tout juste possède-t-il une photo avec un maillot des Latics qu'il a fait parvenir aux dirigeants du Dinamo.

Alieu Darbo a bien passé un essai à Wigan (sur recommandation de son ex-coéquipier Gervinho paraît-il), comme à Sunderland, Scunthorpe et Newcastle. Mais il n'y a jamais signé, contrairement à ce que fait croire cette photo prise par ses soins et publiée sur son compte Facebook. Le président du club suédois d'Östersund Daniel Kindberg s'était rendu compte de l'arnaque en 2012 après en avoir discuté avec le recruteur principal de Wigan. Il ira jusqu'à menacer Darbo de le poursuivre en justice, s'il continue de se faire passer pour un ex-joueur du club anglais. Le Dinamo Zagreb s'est, lui, fait berner, et le président, selon Aftonbladet, donnera 40 000 euros au joueur afin qu'il garde le silence sur cette affaire.

A la même époque, Darbo est sélectionné en équipe de Gambie sur la foi de son appartenance au club anglais. Mais le staff se rend très vite compte que le joueur n'a pas le niveau et Darbo est prié de quitter la sélection après quelques entraînements.

Après cela, le Gambien enchaîne les clubs et les histoires abracadabrantesques. Il tente de signer en Finlande, à l'Inter Turku, pour le club suédois du Landskrona Bois ou du Jönköpings Södra, s'annonce à Tenerife ou chez les Norvégiens du Nybergsund. A chaque fois, les dirigeants s'aperçoivent de la supercherie : le même mélange de fausses recommandations ou de mensonges sur sa carrière passée. Il y reste un jour, quelques semaines, voire passe des essais qui ne convainquent jamais.

A Crotone en 2014, il se fait recruter sur la base de recommandations - fausses évidemment - d'un scout suédois réputé et d'une vidéo contenant des extraits de matches de Paul-Georges Ntep. Pour être un peu plus crédible, il va même jusqu'à faire croire à son agent et aux dirigeants du club italien que son nom est "Alieu Ntep Darbo". On peut notamment le voir dans des extraits d'e-mails récupérés par Sportbladet. « Quand il a signé pour eux et qu'ils voulaient floquer son maillot, il a demandé à ce que "Ntep" soit enlevé pour je ne sais quelle raison. Avec le recul, je comprends pourquoi », raconte son agent de l'époque Denis Celebic.

Un jour après la signature, il quitte le pays. Le club s'est rendu compte de l'arnaque, mais lui prétend avoir été victime d'une agression raciste par des supporters italiens. Darbo entre ensuite en contact avec un autre agent, dont Aftonbladet a choisi de garder l'anonymat, pour lui proposer de le représenter. Le joueur aurait un contact avec le PAOK Salonique, sur la base d'un deal obscur avec le Borussia Dortmund. « Le PAOK me veut, raconte Alieu Darbo à l'agent anonyme. Mon père connaît un recruteur du Bayern Munich et un ami de ce recruteur, Pelle Andersson, m'a recommandé à Dortmund mais ils veulent que je négocie avec le PAOK afin de jouer quelques années pour eux avant de signer au Borussia. Est-ce que tu peux négocier avec eux ? »

Là, c'est une véritable histoire de bras cassés qui débute. Alieu, son agent, et le président du PAOK de l'époque Zisis Vryzas (champion d'Europe 2004 avec la Grèce) s'accordent sur la signature du Suédo-Gambien sur la foi d'un mail du directeur sportif du Borussia Michael Zorc. En réalité, c'est Darbo qui semble à la manœuvre avec une adresse mail digne des pires scams nigérians : michael.borussiadortmund@mail.com. Tout est presque acté, quand finalement l'entraîneur du PAOK demande à ce que Darbo participe à un entraînement avant la signature du contrat. Vryzas tente dans le même temps de joindre le Borussia pour obtenir un accord écrit, sans succès. L'agent demande finalement à Darbo de tenter d'entrer en contact avec Michael Zorc, et, surprise, un mail du directeur sportif de Dortmund tombe quelques minutes plus tard. « Un club tente d'en contacter un autre pendant plusieurs jours et lui peut le faire en quelques minutes ?, raconte l'agent. C'est bizarre. Il y a aussi des choses dans le mail que personne n'aurait pu savoir à ce moment-là. Tout cela était très étrange. »

Le mail reçu par l'agent et le PAOK traduit l'affolement d'Alieu Darbo : en quelques instants, le transfert tombe à l'eau. Le pire est à venir : le président du PAOK, furieux de ce retournement de situation et sentant l'entourloupe, se ramène avec un bus rempli d'ultras pour s'expliquer avec l'agent de Darbo. Celui-ci parviendra à faire entendre sa bonne foi, mais le joueur est lui porté disparu.

Depuis, sa carrière ressemble à un chemin de croix. L'ailier parviendra à se faire recruter par le Mosta FC en 2015, où il fera partie des 40 recrues passées par le club cette saison-là. L'été suivant, il rejoint le MC Oran. Après quelques matches, il change de nouveau de club et signe à l'Ittihad Alexandrie en Egypte en janvier 2016. En mai, son contrat est rompu à cause d'une mésentente avec l'entraîneur. L'été dernier, il rejoint un autre club maltais, les Naxxar Lions. En novembre, il était de nouveau sans club. « Ce n'était pas un mauvais joueur, raconte le président du club Pierre Sciberras au Times of Malta. Mais il n'était pas très discipliné. Donc on l'a laissé partir. »

Modou Lamin Beyai, un journaliste gambien contacté par VICE Sports qui le suit depuis ses années mancelles corrobore la version du président du club maltais : « C'est un bon joueur selon moi, mais son comportement hors des terrains et ses mensonges ont affecté sa carrière. » Selon son agent de l'affaire du Dinamo, cité par Aftonbladet, Darbo devrait plutôt chercher à jouer plutôt que d'escroquer le monde du foot pour signer dans un grand club : « Je ne sais pas pourquoi il fait ça mais il veut tellement devenir célèbre qu'il est prêt à faire n'importe quoi. Même à mettre la vie d'autres personnes en danger. Dans chaque interview, il raconte que tout le monde le connaît en Gambie et se vante de l'attention qu'il a là-bas. Il n'y a que l'attention qui compte pour lui. Être un joueur connu. Je lui ai déjà dit que, s'il le voulait, je pourrais lui trouver un club dans les divisions inférieures espagnoles afin de gravir les échelons petit à petit. Pas besoin de jouer pour le Real Madrid pour que les gens sachent que tu es footballeur. Tu peux commencer tout en bas et te battre. Il y a beaucoup de joueurs dans les divisions supérieures espagnoles qui ne savent pas faire cinq jongles mais qui sont arrivés là après avoir travaillé dur. Mais il ne veut pas bosser. Il utilise des mensonges et des e-mails. »

Confronté à sa mythomanie par le quotidien suédois, Alieu Darbo nie en bloc et accuse les "mauvais agents" qu'il a eus par le passé. Sur Facebook, il poste une longue tirade à ses 5 000 abonnés pour annoncer qu'il va poursuivre le journal suédois en justice et que l'article en question n'est qu'un tissu de mensonges. Difficile de croire en la bonne foi du footballeur au vu de l'accumulation de preuves qu'on peut trouver dans l'article d'Aftonbladet. Rien que la vidéo où l'on trouve des extraits de matches de Paul-Georges Ntep est ubuesque.

Comment un faussaire récidiviste a-t-il pu pendant plusieurs années louvoyer ainsi dans le monde du football ? Comment des clubs ont-ils pu se trouver à deux doigts de signer un tel joueur ? Quels dirigeants se basent sur deux vidéos et un mail de recommandation pour faire leur recrutement ? Apparemment, ça concerne pas mal d'équipes : le dernier club maltais de Darbo s'était aussi fait avoir par les highlights du Paul-Georges Ntep suédo-gambien. Pour Denis Zanko, qui entraînait Laval jusqu'en novembre dernier, le recrutement d'un joueur étranger se fait sur vidéo, oui, mais « sur des matches entiers, via des bases de données de joueurs ». Ensuite, soit des membres du club se déplacent pour observer le joueur en question, soit on fait appel à des contacts sur place pour se rencarder. Une fois au club, un essai n'est jamais de trop pour s'assurer de ne pas tomber sur un escroc.

Darbo semble avoir utilisé la permissivité de plusieurs clubs européens et africains pour se faire engager, surtout ceux qui recrutent et jettent des joueurs à tour de bras. Et il ne semble pas prêt de s'arrêter là. L'auteur de l'article d'Aftonbladet, Patrik Brenning, raconte qu'on lui a fait parvenir un mail, à quelques jours de la publication de son papier. Un mail signé de l'agent Roman Skorupa et adressé à 42 clubs professionnels de Suède : « Bonjour, j'espère que vous allez bien. J'aimerais vous proposer le milieu offensif Alieu Darbo. Il a un passeport suédois. » Attaché au mail, une vidéo. Dans celle-ci, des extraits de matches de Paul-Georges Ntep.

@AdrienFranque

Une traduction en anglais de l'article d'Aftonbladet est disponible sur Reddit.