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Sports

Une crise en héritage : Rio après les Jeux olympiques

Le pari qu'a fait le Brésil avec les Jeux olympiques de Rio 2016 s'est avéré perdant, et le pays est depuis plongé dans une profonde crise économique et politique.
Erich Schlegel-USA TODAY Sports

A Rio, pendant les Jeux, j'ai passé une journée avec Hugo Costa, un géographe qui habite dans les quartiers ouvriers de la ville, pour discuter de l'héritage que laisseraient les Jeux olympiques. Il m'a alors montré de nouvelles lignes de bus, vendues comme des retombées bénéfiques pour la ville. Hugo m'avait expliqué que celles-ci lui avaient rendue la vie plus difficile, à lui et à sa famille : cela ne résolvait pas leurs problèmes de transport et elles avaient détruit l'un des derniers espaces verts du quartier. En d'autres termes, il s'agissait d'une autre fausse promesse pour les habitants de Rio, une parmi tant d'autres à l'occasion des JO. Mais Hugo Costa restait alors un citoyen fier de sa ville, qui essayait d'améliorer sa cité.

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Le mois dernier, j'ai envoyé un message à Hugo sur WhatsApp. Comment ça se passait à Rio ?

« Moi ça va, me répondit-il. Mais les nouvelles ne sont pas vraiment bonnes en ce qui concerne le Brésil. »

Après les Jeux olympiques, une fois que les médias ont détourné leurs regards, le Brésil a été plongé dans une profonde crise économique et politique. Depuis 2014, le taux de chômage a doublé et le PIB a chuté de 8,4%. Après la destitution de l'ancienne présidente Dilma Rousseff, le nouveau gouvernement brésilien, très à droite, a adopté des mesures d'austérité draconiennes qui gèleront les dépenses pour les 20 prochaines années et réduiront les salaires et les retraites des fonctionnaires jusqu'à 30%. Les Nations Unies ont critiqué ces mesures, trouvant qu'elles « manquaient de nuances et de compassion ».

De tout le Brésil, c'est Rio qui a pris le plus cher. L'Etat de Rio, ainsi que la ville, étaient déjà fauchés avant le début des Jeux. Les revenus de Rio dépendent en grande partie du prix du pétrole, grâce aux réserves effectuées à la fin des années 2000. Quand le prix du pétrole a chuté de manière globale, les caisses de Rio se sont retrouvées à sec, de même que celles de la plus grosse entreprise du Brésil, Petrobras, la compagnie pétrolière fédérale qui a son QG et la plupart de ses raffineries et usines à Rio. Les fonds de sauvetage fédéraux qui ont permis à Rio de continuer de fonctionner normalement pendant les JO ont fondu depuis longtemps, et, grâce aux avantages fiscaux accordés aux sponsors et autres compagnies partenaires des Jeux, l'Etat n'a pas gagné un centime sur ces trois semaines de festivité. Aujourd'hui, il doit même 31 milliards de dollars à divers créanciers, dont le gouvernement fédéral.

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Petrobras est également au centre d'un scandale de corruption massif baptisé Lava Jato (traduction : "lavage auto") qui implique plus de 2 milliards de dollars en pots-de-vin et rétrocommissions, dont certains concernent les JO. La plus grande entreprise de construction du Brésil, Odebrecht, est également au centre du scandale Lava Jato. Elle a assuré la supervision de plus de la moitié des contrats de construction des JO et avait tout un département entièrement dévolu à la corruption.

En coopérant avec les autorités durant l'enquête sur ce scandale, Odebrecht a directement impliqué le maire sortant de Rio, Eduardo Paes, l'un des plus fervents avocats des Jeux de Rio. Des dirigeants de la compagnie affirment avoir fait don de 8,95 millions de dollars à Paes pour financer sa campagne de réélection en 2012. Le mois dernier, les actifs d'Eduardo Paes ont été gelés après que certaines irrégularités en rapport avec les taxes environnementales du parcours de golf olympique ont été décelées : la société de promotion immobilière FIORE était censée payer environ 470 000 dollars de taxes mais ne l'a pas fait, et c'est la ville qui a dû payer. Ces embrouilles au niveau du parcours olympique de golf ne sont pas étonnantes quand on connaît l'histoire, et notamment le fait que Paes et la ville de Rio ont orchestré la construction de ce terrain sur un site environnemental protégé, pour le simple bénéfice du propriétaire milliardaire de la société FIORE.

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Le maire sortant de Rio Eduardo Paes (à gauche). Photo Michael Madrid-USA TODAY Sports

Jusqu'à maintenant, les projets "d'héritage" des Jeux olympiques ne semblent pas très prometteurs non plus. Odebrecht avait également "gagné" l'appel d'offres sur certains de ces projets tels que celui des bus à haut niveau de service (BHNS) qui traversent le quartier d'Hugo Costa. L'un de ces travaux non terminés, la ligne Transbrésil, a même cessé d'être en construction, purement et simplement, à cause du scandale de corruption.

La nouvelle ligne de métro construite pendant les JO, qui connecte les quartiers plus riches de la zone sud au reste du réseau, reste extrêmement onéreuse pour beaucoup de Cariocas et il n'est pas possible de passer des bus de ville aux BHNS avec un même ticket. Un voyage qui inclut du bus et du métro - ce qui est souvent obligatoire vu que le réseau du métro n'est pas très étendu - coûte aujourd'hui 7,90 reals (2,34 euros), ce qui est bien au-dessus des moyens de la classe ouvrière de Rio. Au début, l'Etat et les compagnies de bus s'étaient mis d'accord sur une ristourne de 90 centimes par ticket, qui devait être remboursée aux compagnies de bus grâce aux revenus des taxes de l'Etat. Mais les compagnies de bus refusent désormais de procéder à cette ristourne car le gouvernement est fauché et n'a pas l'argent pour les rembourser. Les trois réseaux de transport - bus, BHNS et métro - nécessitent également trois pass différents. Ce problème de transfert entre les lignes de bus et de métro a contribué à une fréquentation du métro bien loin loin des objectifs espérés : seulement 80 000 utilisateurs par jour alors qu'ils en projetaient 300 000.

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L'autre projet ferroviaire hérité des Jeux olympiques, le métro léger (un transport entre le tramway et le métro) du centre-ville ne fait pas totalement partie des grands travaux inutiles laissés par Rio 2016. La ligne connecte la principale gare routière à l'aéroport local - qui auparavant n'était relié par une aucune ligne de transport public - ainsi qu'à la zone portuaire. Cependant, ce métro léger devait être un réseau complet fait de plusieurs lignes, mais il n'y a désormais plus assez d'argent pour financer ce projet.

Ce métro léger est le fruit d'un partenariat public-privé qui inclut, entre autres, Odebrecht. Un audit en profondeur de cet accord de partenariat a mis au jour le fait que la ville de Rio doit 1,6 milliards de reals sur 25 ans à des entreprises privées composant le consortium de ce projet, en plus de devoir éponger tous les déficits que le réseau subira durant cette période (ce qui représentera une somme conséquente au vu de l'étendue du réseau). En substance, la ville, qui est complètement à sec, a promis à ce consortium des bénéfices sur deux décennies et demi pour un projet incomplet.

Pendant ce temps-là, RioOnWatch.org informe que cette construction à moitié terminée de lignes de métro léger a détruit les économies locales dans certains quartiers ouvriers, vu que les trafics piétons et routiers ont été détournés de ces quartiers pour éviter les rues en construction. Rio On Watch a estimé que 28 lignes de bus entre la zone portuaire et les zones nord et sud ont été supprimées et que 21 lignes ont été réduites pour faire de la place à ce nouveau réseau de transport. A Gamboa, un quartier au nord du centre-ville, cinq lignes ont été supprimées, et certaines des rares lignes restantes arrêtent de circuler à 19 heures. Un des habitants du quartier a résumé l'affaire sur Rio On Watch : « C'est seulement mieux pour les touristes, mais pour ceux qui vivent ici, c'est une horreur. »

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L'un des projets les plus en vue qui devait découler de ces JO, le nettoyage de la baie de Guanabara, semble aussi être voué à l'échec. Non seulement la baie n'a pas été nettoyée pour les épreuves olympiques de voile, mais le mois dernier, l'entreprise responsable du nettoyage de la baie a viré tous les ouvriers présents sur ce projet.

Pour ce qui est des stades olympiques, ils sont toujours là, ce qui n'était pas prévu. Depuis la fin du mois de novembre, le parc olympique principal est vide, jonché de débris comme s'il s'agissait d'un terrain vague. Il ne semble pas prêt d'accueillir de nouveaux événements de sitôt. Les projets qui prévoyaient de réutiliser tous ces stades temporaires pour en faire des écoles à travers la ville n'ont pas été mis en action. Et vu les difficultés financières de Rio, cela ne se fera pas dans un futur proche.

Pour ce qui est du parcours de golf, qui était à la fois un site olympique et un projet d'héritage vu que le parcours devait rester ouvert au public pour les 20 prochaines années, un reportage de l'AFP en novembre dernier expliquait qu'il y avait déjà des problèmes de financement et que le parcours restait désespérément vide. Pourquoi ? Déjà parce que le prix d'entrée minimum pour y jouer est de 71 euros environ. Et aussi parce que le golf n'est pas du tout populaire au Brésil. Le futur du parcours pourrait être remis en question en ce début d'année après des paiements non effectués par la fédération brésilienne de golf.

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Comme celui du Brésil, le futur du parcours olympique de golf de Rio est incertain. Photo Rob Schumacher-USA TODAY Sports

Face à tous ces projets abandonnés, ces grands travaux inutiles et cet héritage qui n'en est pas un, les Cariocas ont exprimé leur désapprobation dans les urnes. Comme me l'a raconté Mauricio Santoro, professeur de sciences politiques à l'université d'état de Rio de Janeiro, les trois politiciens que les Brésiliens associent le plus aux Jeux olympiques - le maire de Rio Eduardo Paes, le gouverneur de l'Etat de Rio Sérgio Cabral et l'ancienne présidente du Brésil Dilma Rousseff - font tous face à des accusations de corruption et ne sont plus en poste. Cabral a été arrêté, Rousseff a été destituée et Paes semble être le prochain politicien dont la carrière sera mise en morceaux par Lava Jato.

Dans le même temps, le candidat choisi par Paes pour lui succéder a perdu contre Marcelo Crivella, un pasteur évangélique hyperconservateur, un sacré contraste avec l'image de ville libérale et libérée de Rio.

Il est d'ailleurs facile d'oublier que c'est l'image de Rio qui était au centre de tout cela au départ. Rio, et le Brésil plus généralement, ont passé une décennie à préparer deux méga événements internationaux, les JO et la Coupe du monde 2014, histoire de symboliser une progression dans le paysage économique mondial. C'était un pari sensé à l'époque, et un pari que le Brésil aurait pu réussir sans souci, si les conditions étaient restées les mêmes. Seulement, cela ne s'est pas déroulé comme prévu, et le reste n'appartient pas vraiment à l'histoire, puisque les Brésiliens, et en particulier les Cariocas, vont en ressentir les répercussions pour plusieurs décennies à venir.

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Difficile de calculer quelle part de responsabilité les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football ont dans cette histoire. Selon Santoro, l'idée la plus répandue, c'est que le Brésil a dépensé trop d'argent sur deux grosses fêtes pour que le reste de la planète s'amuse, et qu'il en paye désormais le prix. Mais ce n'est pas l'histoire complète. Le Brésil a également joué de malchance. Tout est allé de travers et le gouvernement n'a pas réagi de manière adéquate, en choisissant d'accorder des dérogations fiscales à des grosses compagnies et en facilitant les marges de crédit alors que les revenus du pétrole s'effondraient. Tout le monde a accumulé des dettes, dont les consommateurs et les fonctionnaires, beaucoup ayant perdu leurs emplois quand le gouvernement a fait banqueroute ou quand Petrobras a licencié des milliers de salariés au moment du scandale. Ces événements planétaires n'ont pas aidé évidemment, mais ce ne sont pas eux qui sont la cause principale du problème. Ils n'ont ajouté que quelques milliards à une note déjà salée.

Ça coûte cher de construire un stade olympique. Photo Michael Madrid-USA TODAY Sports

Cela ne veut pas dire que les personnes au pouvoir au Brésil et à Rio ne sont pas en cause - au contraire - ou qu'il n'y a rien à apprendre ici pour les futurs hôtes de gros événements sportifs comme ceux-ci. Les deux dernières années du Brésil sont surtout une mise en garde pour d'autres nations émergentes ou en développement : elles ont montré à quelle vitesse les vents politique ou économique peuvent tourner et à quel point il faut parier sur le futur. C'est facile de l'oublier aujourd'hui, mais quand le Brésil a été désigné pays hôte en 2009, il n'était pas loin de dépasser la France et le Royaume-Uni en tant que 5e puissance économique mondiale. Aujourd'hui, ils ont un président que personne n'a élu, un plan d'austérité que les Nations Unies ont défini comme "inhumanitaire", le plus gros scandale de corruption au monde et des dettes que personne ne peut payer.

Santoro émet l'hypothèse que cette leçon s'étend même au-delà des pays en développement : « Soyons sérieux, dans le monde actuel, qui a des institutions politique fortes ? Sur quel pays vous placeriez un pari sur dix ans à l'heure actuelle ? »

« Je pense que la crise allait arriver, avec ou sans les Jeux olympiques, raconte Santoro, mais le fait que l'on ait accueilli la Coupe du monde il y a deux ans et les Jeux olympiques cette année… » Il fait une pause et émet un petit rire. « C'est marrant, parce qu'on a l'impression que les Jeux olympiques ont eu lieu il y a des années. On vit désormais dans une atmosphère totalement différente ici à Rio. On a l'impression que ça s'est déroulé dans un passé très lointain. »

La cérémonie de clôture a eu lieu il y a moins de cinq mois.