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Qui a énervé les mascottes américaines ?

Les équipes se sont rendu compte que les mascottes vénères passaient mieux auprès des fans que les mascottes trop sympa.
Brett Davis-USA TODAY Sports

Si vous êtes designer de logo aujourd'hui dans le monde du sport, votre premier devoir est de dessiner une mascotte à la mine renfrognée, lui donner un air "féroce" - comme aiment décrire les communiqués de presse et les analyses qui les suivront. Récemment, l'équipe de basket des Milwaukee Bucks et celle de football américain des Cleveland Browns ont eu droit à ce nouveau traitement, faisant passer leurs mascottes de "féroces" à "encore plus féroces". Les années précédentes, ce sont l'équipe universitaire des UConn Huskies, l'équipe NBA des Charlotte Hornets, et à peu près toutes les équipes avec un animal en guise de mascotte. En mai, les Philadelphia 76ers se sont même dotés d'un Ben Franklin vénère. Tout est bon pour ajouter une touche menaçante à son équipe.

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Mais pourquoi essayent-ils tant de se donner une allure malveillante? Depuis quand a-t-on décidé que chaque équipe devait avoir l'air de bouillir de rage ? Qui a énervé les mascottes ?

J'ai donc contacté quelqu'un qui s'est justement occupé récemment d'une telle reconception de l'identité graphique d'une équipe. Il s'agit de Peter Sorckoff, le vice-président chargé du marketing pour les Atlanta Hawks. Au printemps dernier, il a aidé à changer quelques trucs au logo classique et minimaliste de l'équipe pour le faire passer de simplement méprisant à complètement dangereux :

Avant de procéder à cela, la franchise a analysé 1,6 millions de discussions online à propos des Hawks, ce qui a révélé que les fans de l'équipe d'Atlanta avaient beaucoup de « souvenirs euphoriques » - comme les appelle Sorckoff - de l'équipe des années 80. Ils se sont donc appliqués à remettre au goût du jour le logo de l'époque pour le rendre, eh bien, féroce.

Pas si simple, insiste Sorckoff. Même avant ce nouveau design, il est allé discuter avec le coach Mike Budenholzer pour s'assurer que le logo serait « conforme avec ce qui allait se passer sur le terrain. »

« Nous attaquons tout le temps, nous attaquons offensivement, et nous attaquons défensivement , selon Sorckoff. Ce sont des choses qui peuvent connecter la marque et notre identité visuelle au système de jeu que Bud met en place. »

Il pense que leur logo a bien le droit d'avoir l'air féroce. « Certains disent "en colère", note Sorckoff, bien que je ne veux pas utiliser ce mot ».

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Moi si, mais nous devrions probablement vérifier les termes que nous utilisons. J'ai donc écrit à Sonja Winhager, une anthropologue de Vienne qui a mené une étude il y a quelques années sur les visages que les gens associent à l'allure de leurs voitures. Elle a ainsi découvert que celles qui étaient rangées dans la catégorie "agressives" étaient plus populaires que les "sympathiques". Est-ce que ses conclusions peuvent nous apprendre quelque chose à propos de ces logos ?

Peut-être, mais elle a une interprétation différente des visages : « Pour moi, les logos reflètent plutôt la détermination et le côté prêt au combat quand on les comparent aux expressions faciales humaines et animales (sourcils froncés, bouches fermées). Ainsi, dans une situation de choix entre combat et fuite, ces expressions reflètent la volonté d'aller au combat. Ce qui est bien le genre de choix socialement désiré dans le domaine sportif. »

Je vais en rester au mot "colérique", vu que tant d'autres personnes décryptent ces visages de cette façon. Quel est le choix socialement désiré dans le domaine sportif ? Plus ostensiblement, quel est le rapport entre les pressions sociales et un logo qui apparaît sur un casque, un maillot ou sur le terrain lors d'un événement sportif ?

De tels désirs devaient être bien différents il y a quelques décennies. Il suffit de voir le logo original des Bucks de 1968 :

Il aurait eu sa place sur Cartoon Network. Féroce ? Plutôt "insouciant" je dirais.

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Une mise à jour de 1993 lui a donné l'air d'être vénère et sous stéroïdes. Récemment les Bucks y ont encore apporté des retouches avec un look que les designers qualifient de "plus féroce et plus agressif" alors que la description devrait plutôt être "mort à l'intérieur/possiblement possédé".

Il y a ces nouvelles règles des logos. Mais les anciennes, jusque dans les années 1970, donnaient des mascottes qui ressemblaient pour la plupart au daim ci-dessus. A travers les sports américains, les Steelers, Falcons, Bengals,Cowboys, Broncos, Nuggets, Rockets, Knicks, Coyotes, et Bruins avaient tous des logos accessibles, voire même adorables. Pareil dans beaucoup d'universités.

Regardez ainsi ce que les Cleveland Browns utilisaient comme logo dans les années 1950 et 1960 :

Jim Brown était représenté par un lutin portant une petite couronne. Même les mascottes imposantes étaient souvent attachantes :

Ces deux dernières n'apparaissaient pas sur les pelouses, mais si vous pensez que les équipes de football américain avaient besoin d'un visage intimidant sur leurs casques, regardez juste les Raiders. Vous devez vous souvenir de ce mec avec un cache-oeil comme d'un logo féroce, mais regardez plus attentivement. Peu de choses ont changé pourtant depuis les années de succès de l'équipe :

En colère ? On dirait que le mec essaie de se retenir de sourire.

Les Raiders ont gagné trois titres avec cette allure là. Oubliez donc toute idée qu'une mascotte vénère ait un quelconque lien avec de meilleures performances sur le terrain, une idée que le Wall Street Journal avait mis en avant il y a quelques années. Si les Tampa Bay Buccaneers se sont améliorés après leur relooking de 1997, les New England Patriots n'ont gagné leurs quatre titres qu'après s'être éloignés de la méchanceté en 1993.

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Mais si les logos n'ont rien à voir avec la performance, ils ont tout à voir cependant avec les objectifs de performance. Les équipes adoptent souvent de nouveaux logos après l'arrivée d'une nouvelle direction ou pour signaler aux fans que l'équipe dirigeante veut changer la culture du club. "Les choses seront différentes à partir de maintenant", indique le nouveau look.

Et les logos sont là pour dire aux fans ce qu'ils veulent entendre, ce qui était justement ce que voulait découvrir l'étude en ligne des Hawks. Et si vous cherchez sur Internet, ce que les gens recherchent dans un logo est assez clair. « Ton logo fait tellement peur ! », disent les gens, de manière brutalement sarcastique. « Sérieusement, qui a peur d'un pélican ? », se demandent d'autres. Des listes et des listes classent les mascottes en fonction de leur degré "d'intimidation". Même la National Wildlife Foundation (une ONG américaine chargée de la conservation de la nature) rentre dans le jeu : "Un petit oiseau qui gazouille comme mascotte ? Ça n'impressionnera personne sur le terrain !"

Nous sommes ici en présence d'une crise ontologique. On encouragerait seulement des maillots ? Presque. Apparemment plusieurs personnes pensent que Marc Gasol n'est pas seulement un simple joueur des Memphis Grizzlies mais un vrai grizzly, dont le facteur intimidant disparaîtrait s'il était transféré dans une équipe avec une mascotte plus mollassonne, car tout le monde le sait, tous les athlètes professionnels ont des pouvoirs magiques et peuvent se métamorphoser comme bon leur semble.

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Ces insécurités ressortent vraiment chez les mascottes à l'apparence d'oiseaux, ce qui explique probablement pourquoi certaines équipes essaient d'avoir un air menaçant en leur rajoutant des muscles, voire même des dents :

Mais il n'y a pas besoin d'anthropomorphiser des animaux ou de zoomorphiser des joueurs. Dans son sens original, "mascotte" veut simplement dire "porte-bonheur". L'histoire de l'évolution des mascottes dans les sports américains est obscure, provenant parfois de l'habillement d'une équipe, de l'histoire régionale, ou même d'une unique performance, mais il est clair que, dans tous les cas, les adversaires sont intimidés par les biceps des joueurs de l'équipe d'en face, pas par les biceps de l'oiseau sur leurs maillots.

Pourtant, l'idée qu'un logo "gai" amoindrit les performances d'une équipe s'est répandue à tous les niveaux de compétitions. Les petites universités et les équipes de baseball des ligues mineures avaient pour habitude de s'amuser de leurs humbles objectifs, avec des noms marrants comme les Artichauts ou les Limaces bananes.

Sorckoff pense que ce n'est pas la culture qui a changé mais que les spécialistes du marketing ont une meilleure lecture de celle-ci. « Il n'y avait pas vraiment d'intérêt pour l'image de marque il fut un temps, explique-t-il. Je pense que nous en savons plus là-dessus désormais. Et il y a plus de données empiriques qui soutiennent la réussite de se doter d'une image de marque et de comment celle-ci résonne auprès des gens. »

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Mark Verlander, qui a "férocifié" les logos des Atlanta Falcons et des Arizona Cardinals, est d'accord. « Beaucoup de vieux logos, dit-il, ont dus être faits par des mecs avec des crayons, faisant des petits dessins rapides, et qui disaient ensuite "Voilà". C'est fait. On va jouer au ballon maintenant. » Aujourd'hui, selon lui, la nécessité que les logos puissent fonctionner dans différents contextes de merchandising indique que l'art naïf" d'hier n'a plus sa place.

Verlander était déconfit par mon idée que les logos étaient en train de devenir plus méchants. « Pour moi, dit-il, c'est une question d'avoir l'air sympa. Je veux rendre les fans joyeux. » C'est ce qu'il a dit quand il a commencé le relooking des Falcons, il pensait que l'original avait besoin de plus de mouvement. Mais la NFL, qui supervise les marques des équipes, a demandé plus de couleur et de détails. « Le visage de l'oiseau a l'air définitivement féroce, explique-t-il, et il me semble que c'était une requête de la NFL ».

Son logo pour les Arizona Cardinals est plus cartoonesque que le précédent, mais il a aussi l'air d'avoir plus de caractère. Le propriétaire du club Bill Bidwill a déclaré lorsque celui-ci a été dévoilé en 2005, que la nouvelle marque était un "oiseau dur à cuire", qui allait être porté par "des joueurs plus durs, plus rapides et plus méchants". Six semaines plus tard, son équipe signait Kurt Warner, le chrêtien sympa qui ne confondra jamais humains et animaux et qui n'avait pas besoin d'un air renfrogné sur son visage ou sur son maillot pour prouver qu'il était un dur.

Pourtant les fans en ont besoin apparemment. Sorckoff explique qu'il ne sait pas pourquoi le trentenaire moyen, cultivé, issu de la génération Y , et visé par le marketing de son équipe préférée, veut les trucs qui ont l'air les plus féroces. Il sait juste que c'est rentable.

Windhager dit que les apparences féroces des voitures et des mascottes « peuvent nous aider à communiquer ce que nous sommes ou voulons être ». Ces logos sont probablement préférés pour les mêmes raisons que d'autres produits sont achetés par les fans de sports, qui sont généralement des hommes. Des pubs pour camions aux pilules pour l'érection, il est difficile de regarder un match de NFL et de ne pas se demander si les hommes américains n'auraient pas des insécurités profondes par rapport à leur virilité. Et même en général, des études montrent que la différenciation des sexes dans le marketing des produits est en train de devenir de plus en plus prononcée. Les hommes d'aujourd'hui veulent que leur masculinité se reflètent dans leurs savons et même dans leurs sodas, il est donc peu surprenant que les logos sur leurs casquettes les aident à avoir l'air encore un peu plus machos. L'air renfrogné n'est pas là pour que les joueurs s'en inspirent ou pour que les adversaires soient intimidés, mais pour rassurer le mec qui est devant la télé.

D'autres questions se posent alors : est-ce que la Major League de baseball est de moins en moins populaire parce qu'elle n'a pas de logos féroces ? Est-ce que le choix de logos méchants a un lien avec la tendance des joueurs à grogner plutôt que sourire après avoir remporté des matches importants ? Pourquoi les gens regardent-ils leurs smartphones dès que je rentre dans une pièce ?

Ces questions dépassent le cadre de cette présente étude. Mais une chose est sûre : si vous êtes une mascotte bêbête qui aime s'amuser et qui apporte de la joie dans le coeur de tous les hommes, femmes et enfants, gare à vous : un marketeux va venir vous voler dans les plumes.

Note de l'éditeur : merci à Chris Creamer du site www.sportslogos.net pour la plupart des images utilisées dans cet article.