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Arabie-Saoudite

La WWE s’est fait le porte-voix de l’Arabie saoudite, et c’est un cauchemar

L’association entre la WWE et l’Arabie saoudite qui a donné le Greatest Royal Rumble près de Djeddah était déjà honteuse. Maintenant, c’est un désastre.
John Cena à The Greatest Royal Rumble en Arabie Saoudite.
Photo : AFP/Getty Images

L’article original a été publié sur VICE Sports.

Les McMahon, fondateurs et propriétaires de la World Wrestling Entertainment (WWE), qui courent après l’attention des médias de masse et la faveur du grand public, ratent royalement leur coup quand ils obtiennent ce qu’ils veulent.

Il y a eu bien sûr la position à la fois défensive et irritée qu’ils ont adoptée après que Chris Benoit a assassiné sa femme et son fils, et s’est enlevé la vie. Il y a eu l’affaire des stéroïdes dans les années 90, qui a jeté le discrédit sur eux à tel point que Stephanie McMahon a dit que c’était leur 11-Septembre.

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Mais rien de ce que les McMahon ont fait ne se compare à la situation dans laquelle ils se retrouvent avec l’Arabie saoudite, dans la foulée de ce qui a toutes les apparences d’un assassinat d’un journaliste d’origine saoudienne, Jamal Khashoggi, qui aurait été tué et démembré à Istanbul.

Commençons par une brève récapitulation de l’implication de la WWE dans les affaires saoudiennes. Le relativement nouveau prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, a commandé une campagne de propagande visant à montrer qu’en tant que nouveau dépositaire du pouvoir, il se dévouait à la modernisation du royaume. Les femmes ont obtenu l’autorisation de conduire. L’économie, qui repose essentiellement sur l’exploitation et le raffinage du pétrole, serait diversifiée. Une femme a été nommée à la tête de la Bourse de Riyad.

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Ce projet a été baptisé Vision 2030, et la presse occidentale l’a applaudi. L’insipide grande gueule Thomas Friedman, surtout célèbre parce qu’il a dit que la Terre avait été aplatie, alors que ce devrait être en raison de l’entrevue dans laquelle il a lancé « Suck on this » aux Arabes, est l’auteur d’une navrante hagiographie de Mohammed ben Salmane publiée dans le New York Times. CNN, Fox, MSNBC, NPR, tout le monde a applaudi et répété combien c’était bien, et ce, à l’unisson , comme rarement c’est le cas en dehors des périodes de guerre majeures.

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Il n’y avait qu’un problème : c’était largement faux. La guerre au Yémen, un monstrueux conflit asymétrique mené par les Saoudiens contre leurs voisins, fait rage et s’est même intensifiée. Les femmes peuvent certes conduire, mais les activistes qui ont œuvré pour qu’elles le puissent sont toujours en prison. Le Qatar a été isolé par la construction d’un canal qui le sépare du continent. L’Arabie saoudite a continué à crucifier des gens et a menacé le Canada d’un second 11-Septembre.

Si vous applaudissez les progrès minuscules, vous êtes probablement d’accord avec M. Friedman, un homme obséquieux qui adore faire passer les petits pas pour des pas de géant. Mais si vous exigez un peu plus, surtout à la lumière des horreurs que l’Arabie saoudite inflige à au moins la moitié de sa population, il n’y a pas de quoi célébrer.

Entre en scène la WWE. L’Arabie saoudite lui aurait versé de 40 à 50 millions de dollars américains pour faire l’étalage de la modernité de sa Vision 2030, une grande partie de la somme servant à mettre sur pied un retentissant spectacle de lutte appelé le Greatest Royal Rumble. Pas de quoi s’étonner, après tout la WWE organise fréquemment des soirées de lutte au Moyen-Orient – en particulier pour divertir les troupes. En plus, les Saoudiens se sont aussi payé des spectacles de monster trucks. Il n’y avait rien de particulièrement mal à ce que la WWE en profite aussi.

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Mais, en fin de compte, la WWE a fait plus que donner un spectacle. Dans les semaines avant le Greatest Royal Rumble, elle a déclaré son amour envers le gouvernement saoudien, ce qui n’était rien de moins que de la nauséabonde propagande. Michael Cole, un commentateur de la WWE, était intarissable au sujet de ce merveilleux Mohammed ben Salman et du joyau moyen-oriental qu’est l’Arabie saoudite. La Vision 2030 a été mentionnée expressément, et les mots-clés à son sujet ont été mièvrement répétés tant et si bien que ce n’était pas moins subtil que lorsqu’un commentateur plogue PFK.

Preuve que toute cette affaire était une vaste imposture, les lutteuses n’étaient pas autorisées à participer au spectacle (la WWE les a payées autant que si elle y avait participé, mais pour ne rien faire). Sami Zayn, un lutteur canadien d’origine syrienne qui prend souvent la parole dans les médias sociaux pour aider des œuvres caritatives actives en Syrie, était aussi absent. C’était d’une fausseté si évidente que c’en était surprenant même dans la lutte professionnelle.

La WWE a été payée et invitée à en faire plus, par exemple en organisant le spectacle Crown Jewel, qui aura lieu le 2 novembre prochain. Shawn Michaels, un lutteur professionnel, sort même de sa retraite pour un match en équipe avec Triple H contre Undertaker et Kane (qui est le maire républicain de Knox County, au Tennessee). Shawn Michaels ne sort pas de sa retraite pour une raison digne d’intérêt, comme un match avec son élève Daniel Bryan ou la nouvelle version de lui-même, AJ Styles. La lutte professionnelle ne s’intéresse qu’à l’argent. Bon, c’est honteux, mais qu’est-ce qu’en a à faire la WWE?

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Ensuite les Saoudiens ont (probablement) assassiné et découpé en morceaux un journaliste d’origine saoudienne jugé dissident et exilé aux États-Unis en 2017.

C’est dans la tempête qui a suivi que se trouve la WWE. Alors que des personnalités publiques et des compagnies se distancient maintenant de la Vision 2030, en annulant des conférences et des partenariats, la WWE ne peut pas reculer et c’est de sa faute. L’affaire évolue rapidement, et rien de ce que l’on apprend n’est de bon augure. L’animateur de Last Week Tonight, John Oliver, a d’ailleurs fait un long monologue sur Mohammed ben Salmane, puis présenté des séquences vidéo de la WWE dans lesquelles on parle de l’Arabie saoudite. Cet extrait de Last Week Tonight a été repris sur le site web de TIME, et c’est ainsi que la WWE se retrouve de nouveau dans les médias de masse pour les mauvaises raisons.

La WWE a cessé de parler de Crown Jewel, mais la soirée n’est pas annulée. Les employés sont uniformément muets à ce sujet, sauf Bryan Alvarez, un lutteur professionnel qui a laissé entendre qu’il y avait un malaise considérable en coulisses. C’est un désastre, soit, mais la WWE est accro à l’argent et aux parts de marché.

À l’origine de ce texte, qui ne porte pas sur les résultats, il y a une idée : la lutte professionnelle dit quelque chose sur nous. La WWE est un miroir qui reflète l’air du temps autant qu’elle est à son service. Ce qui se passe dans l’arène et dont se moquent les faiseurs d’opinions moyens laissait présager du monde carnavalesque dans lequel nous vivons aujourd’hui : Trump, un McMahon à la Maison-Blanche, entre autres.

La WWE s’est associée à l’Arabie saoudite parce que nous nous sommes toujours associés à l’Arabie saoudite. Nous fermons les yeux quand sont commises les atrocités au Yémen et quand les droits de la personne sont bafoués ad nauseam dans le royaume, parce que nous avons fait le même pacte il y a 70 ans que la WWE en 2017. Nous sommes payés — la WWE en argent, nous en essence à bas prix — et nous regardons ailleurs ou nous disons que ce qui est mauvais est bien. Nous leur vendons des armes et nous détournons les yeux.

Par contre, nous (le monde ordinaire), nous sommes assujettis à un système qui limite nos choix. Nous ne pouvons pas ne pas mettre d’essence dans nos voitures. Mais la WWE ne l’est pas. Avec son emprise monopolistique sur la lutte professionnelle, elle peut se passer de cet argent. Mais ses actionnaires n’en ont pas encore assez et sont ravis de laisser les patrons de la WWE avoir l’air d’idiots pour que l’argent continue de couler à flots. Les McMahon, eux, ce qu’ils souhaitent, c’est le respect et la faveur du grand public. C’est tout ce qu’ils ont toujours voulu, et jouer un rôle dans la politique mondiale est trop irrésistible.

C’est attendrissant quand la WWE suppliait Aretha Franklin et le Liberace de chanter à une soirée de WrestleMania. Ce l’est moins quand Linda McMahon est candidate au Sénat, et infiniment moins quand la WWE se fait le porte-voix de la propagande du ministère des Affaires étrangères de l’Arabie saoudite. C’est d’autant plus déconcertant que la WWE est en excellente posture aux États-Unis. Laisser passer cette occasion, c’était laisser passer beaucoup d’argent, mais les McMahon sont milliardaires : ils pouvaient se le permettre.

Cependant, ça ne marche pas comme ça, et il semble que nous nous en rendions compte, un peu à tout le moins. Il y a ces réactions de plus en plus fortes qu’a suscitées la relation entre la WWE et Vision 2030, ainsi que l’hypocrisie autour d’elle, précisément parce que nous y voyons un peu de nous-mêmes. Nous ressentons l’inconfort, et c’est bien. C’est un début. Il est juste dommage qu’il ait fallu ça pour en arriver là.