Sports

Ryu Eun-hee, une handballeuse coréenne à Paname

Entretien lost in translation avec une joueuse qui a dû s'adapter aux exigences du championnat français de la Ligue Butagaz Energie mais aussi à un nouveau mode de vie.
Ryu Eun-hee joueuse du Paris 92

Prophète en son pays, Ryu Eun-hee n'est pas du genre à rechercher le confort. MVP du championnat coréen qu'elle a remporté avec son équipe de Busan la saison passée, Eun-hee est également une joueuse majeure de sa sélection nationale. Mais à 29 ans, elle a choisi de relever un tout autre défi. En avril 2019, elle s'est engagée avec le Paris 92, le club de hand d'Issy-les-Moulineaux, en banlieue parisienne. Plus qu'un challenge sportif, un pari, car pour elle, il s'agit non seulement de s'adapter aux exigences du championnat féminin français, qui compte parmi les plus compétitifs en Europe, mais aussi de découvrir une nouvelle culture, un nouveau pays. Quelques mois après son arrivée, nous la rencontrons dans un des salons du Palais des Sports Robert-Charpentier, où évoluent les Lionnes du Paris 92. Confortablement installée au fond d'un canapé surplombant le terrain, elle tente, grâce à son amie Rosa, qui fait office de traductrice officieuse, de nous expliquer combien l'aventure a transformé son jeu, mais aussi sa vie.

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VICE : Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi tu as voulu tenter l'aventure avec le Paris 92 ? Est-ce que c'était un choix purement sportif ou étais-tu plus généralement attirée par la France et sa culture ?
Ryu Eun-hee : Les discussions avec le Paris 92 ont débuté il y a presque un an. On a beaucoup échangé avant que je prenne la décision de venir ici. Je voulais faire l'expérience du haut niveau et la France était le pays idéal pour ça. La sélection nationale a remporté beaucoup de titres [deux championnats du monde et un championnat d'Europe, NDLR] et le championnat français est en pleine évolution. Beaucoup de très bonnes joueuses y évoluent, les équipes sont toutes d'un bon niveau, c'est un des meilleurs championnats européens. J'ai donc décidé de sauter le pas avant tout pour des raisons sportives. Pour le reste, je mentirais si je disais que j'ai voulu venir en France parce que j'aimais la culture du pays. Je n'y connaissais vraiment rien du tout avant d'arriver…

Tu dis être venue pour te frotter au haut niveau. Qu'est-ce qui différencie les championnats coréen et français selon toi ?
En Corée du Sud, le jeu est basé uniquement sur la rapidité. Ici, non seulement les joueuses sont très rapides, mais en plus elles sont très fortes physiquement. Ca a été la vraie difficulté pour moi, m'adapter au gabarit des Françaises, qui sont plus grandes, plus costauds. J'ai progressé à ce niveau. Aujourd'hui, je suis plus agressive en défense, j'ai aussi un meilleur tir. J'ai amélioré ma technique en suspension pour tenter des tirs de loin même face à des défenseuses de grande taille. En match, je prends plus ma chance que par le passé.

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Nous sommes à peu près à mi-parcours sur la saison régulière, tu as donc eu le temps de jouer contre tous les clubs français. Jusqu'ici, quelle équipe t'a semblé la plus impressionnante ?
Brest, indiscutablement. On les a jouées deux fois, et on a perdu deux fois [dont une lourde défaite à domicile 19-31, NDLR]. Elles sont très bien organisées et elles ont des individualités très fortes. Jouer contre elles, c'est difficile, mais ça permet de progresser.

Quelles joueuses t'impressionnent au sein de l'effectif du Paris 92 ?
Allison Pineau bien sûr. Pour son palmarès [championne du monde, championne d'Europe, élue meilleure joueuse au monde en 2009, ndlr], son expérience, son charisme et sa technique. C'est génial de pouvoir jouer à ses côtés. Avec l'équipe de Corée du Sud, je l'avais déjà croisée lors de compétitions internationales, notamment lors des Mondiaux et des Jeux olympiques.

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Justement, vos routes se sont à nouveau croisées lors du dernier Mondial au Japon. En phases de poules, tu avais remporté le match contre les Françaises. Quel souvenir gardes-tu de cette rencontre ?
C'est un super souvenir parce jusqu'ici, on n'avait jamais fait mieux que match nul contre la France. J'ai beaucoup pensé à cette rencontre avant de la jouer. Je voulais vraiment rétablir l'équilibre, donc j'ai profité de jouer au Paris 92 pour faire un peu d'espionnage industriel ! J'ai bien observé comment jouaient les filles qui étaient sélectionnées avec l'équipe de France comme Allison, Tamara [Horacek, NDLR] ou Océane [Sercien-Ugolin, NDLR] j'ai donné quelques infos à mes compatriotes pour les contrer et ça a marché puisqu'on a gagné 29-27.

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Est-ce que ce championnat du monde t'a fait passer dans une autre dimension ? Tu es quand même la deuxième meilleure marqueuse de la compétition avec 69 buts…
Je m'attarde pas sur cette place de deuxième meilleure marqueuse, l'important c'est de rendre le plus de services à l'équipe, que ce soit avec Paris 92 ou avec la Corée aux JO qui arrivent cet été. Je n'aime pas trop me mettre en avant, surtout que le handball est le sport collectif par excellence.

Quelles sont tes ambitions pour cette saison, aussi bien en championnat de Ligue Butagaz Energie avec le Paris 92 qu'avec la Corée du Sud ?
Cette année, j'ai deux objectifs majeurs. Le premier, c'est de bien figurer aux JO de Tokyo qui arrivent dès cet été. Le second, c'est de terminer dans le top 5 du championnat pour prendre une des places qualificatives pour la coupe d'Europe. C'est plutôt bien embarqué étant donné qu'on est quatrièmes pour l'instant.

« L'autre truc hallucinant, c'est les magasins fermés le dimanche. Chez nous, ils sont ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 »

C'est vrai que la saison a l'air de pas trop mal se passer jusqu'ici. Humainement, tu es bien accueillie par tes coéquipières ?
Je m'entends bien avec tout le monde. Elles font beaucoup d'efforts pour moi. Comme je parle et comprends encore très mal le français, elles me traduisent les consignes du coach en anglais pour que je puisse être réactive à l'entraînement et en match. Je suis particulièrement amie avec les deux joueuses tchèques, Lucy [Satrapova, la gardienne, NDLR] et Veronika [Mala, l'ailière gauche, NDLR].

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En dehors du terrain, as-tu trouvé tes marques en France même si tu galères encore avec la langue ?
Je tâtonne encore un peu. En venant ici, ma vie a beaucoup changé. En Corée du Sud, je vivais en colocation avec trois coéquipières, ici, je vis seule. Ça a été un peu difficile au début, mais ensuite je m'y suis faite. Ça me permet de me concentrer sur l'entraînement et d'avoir l'esprit tranquille même si parfois mes amis et ma famille me manquent.

Qu'est-ce qui t'a marquée à ton arrivée à Paris ?
Le premier truc qui m'a interpellée, c'est le nombre et la taille des stades. Il y en a beaucoup plus qu'en Corée du Sud. Ils sont grands, neufs, impressionnants, ça montre bien que la France est un pays sportif. J'ai aussi eu un sentiment étrange en voyant pour la première fois Notre-Dame et la Tour Eiffel, ça fait toujours bizarre de voir en vrai des monuments très célèbres que j'avais vus seulement sur Internet ou en carte postale.

Depuis que tu es ici, comment occupes-tu tes journées une fois que tu sors de l'entraînement ou du match ?
Je passe beaucoup de temps avec Rosa. Ensemble, on fait beaucoup de shopping et surtout on parle beaucoup des différences culturelles entre la France et la Corée. Il y a tellement de choses qui vous semblent naturelles à vous mais qui ne le sont pas du tout pour nous !

Comme quoi, par exemple ?
Comme la grève ! Une situation pareille dans le métro à Séoul, ce serait inimaginable. Séoul est encore plus grand que Paris, des millions de voyageurs empruntent les transports chaque jour pour aller travailler. Un seul jour de grève comme celle qui dure depuis plus d'un mois ici et ce serait un chaos absolu. Tout le monde pleurerait ! Mais vous, vous prenez des vélos, des trottinettes, et vous vous débrouillez comme ça.

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« J'ai adoré la ville de Toulon, sa rade, la montagne derrière, le ciel bleu, c'est une toute autre ambiance qu'à Paris. C'est aussi ça que j'aime bien, grâce aux matches à l'extérieur, je découvre peu à peu le pays »

Est-ce que…
(Elle coupe) L'autre truc hallucinant, c'est les magasins fermés le dimanche. Chez nous, ils sont ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. La première fois que je suis descendue faire les courses un dimanche, je n'ai pas compris.

En terme de caractère, est-ce que tu as aussi perçu des différences ?
Là aussi, c'est assez marqué oui. Les Français sont très fiers de leur culture, ils n'en changeraient pour rien au monde. Ils ont un amour propre et un patriotisme que je n'avais jamais vus. En Corée du Sud, les gens aiment leur pays, mais ici c'est encore plus fort, ça n'a rien à voir.

On dit souvent que Paris est une ville hostile pour les touristes et les étrangers. Est-ce que tu as rencontré des problèmes depuis ton arrivée ?
Je me suis fait piquer mes affaires dans un Starbucks deux mois après mon arrivée. J'ai perdu mon sac mais aussi ma carte bleue, mes clés et mon passeport. Je peux vous dire qu'en débarquant en France sans parler la langue, ce n'était pas évident de se faire comprendre de la police…

Malgré tout, est-ce que tu apprécies la vie ici ?
Au-delà de cette mésaventure et d'une certaine solitude, j'aime ma vie ici. J'ai par exemple eu l'occasion de passer le Nouvel An sur la Tour Eiffel, c'était inoubliable. On s'est amusées à grimper les escaliers en courant avec Rosa, je l'ai tuée ! Elle avait un peu de mal à suivre.

Est-ce que ton aventure suscite des vocations auprès des autres joueuses sud-coréennes ?
J'ai eu la visite de deux joueuses internationales coréennes, on est allées à Toulon pour assister à un match. J'étais un peu leur guide, j'ai adoré la ville de Toulon, sa rade, la montagne derrière, le ciel bleu, c'est une toute autre ambiance qu'à Paris. C'est aussi ça que j'aime bien, grâce aux matches à l'extérieur, je découvre peu à peu le pays. Certaines de ces joueuses aimeraient venir en France ou dans d'autres championnats européens mais elles manquent d'expérience pour y parvenir. Elles m'ont posé beaucoup de questions pour mieux se préparer. Peut-être qu'un jour, elles suivront ma voie !

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Cet article est publié dans le cadre d'un partenariat avec Ligue féminine de handball et a été rédigé en totale indépendance.