On a discuté avec le propriétaire de la salle de muay-thaï la plus mystérieuse de Bangkok

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On a discuté avec le propriétaire de la salle de muay-thaï la plus mystérieuse de Bangkok

On a réussi à trouver le propriétaire de Chuwattana, l'un des gymnases les plus réputés de Bangkok, pour parler nourriture, combattants étrangers et plans pour l'avenir.

Si vous avez entendu parler du Chuwattana Gym (aussi écrit Chuwatthana), vous avez aussi sans doute entendu dire que vous ne le trouverez jamais, en tout cas pas sans photos et sans instructions, comme une chasse au trésor. Il est caché au fin fond d'une ruelle quelconque de Yaowarat, le Chinatown de Bangkok. Commencez à l'hôpital, cherchez les lanternes rouges dans la ruelle derrière la porte 256 et arrêtez-vous lorsque vous apercevez des affiches de muay-thaï de taille moyenne sur des portes en verre. Si vous ne le trouvez pas, les taxi motos devraient savoir vous l'indiquer. Ou alors demandez aux riverains, ils connaissent tous son existence. Tous les matins et tous les après-midis, les marchands de rue et les propriétaires de magasins se retournent lorsque les combattants du Chuwattana passent.

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De temps à autres, les locaux aperçoivent un homme plus vieux, d'environ soixante-dix ans, qui sort pour surveiller les boxeurs. Parfois ils discutent avec lui, mais toujours avec une profonde déférence pour le vieil homme. Il s'agit de Chucharoen Raweearamwong, le célèbre promoteur et fondateur du Chuwattana Gym. Il est impliqué dans le monde du muay-thaï depuis environ soixante ans, soit presque trois fois plus que l'âge de la plupart de ses boxeurs. On est allé le voir pour en savoir un petit peu plus sur lui et sur sa salle.

VICE Sports : Comment avez-vous débuté votre carrière dans le muay-thaï ?
Chucharoen Raweearamwong : J'ai commencé comme boxeur lorsque j'étais jeune en m'entraînant dans une salle de sport. J'ai toujours aimé la boxe et j'ai eu envie d'ouvrir mon propre gymnase. C'était il y a environ 40 ans. Plus tard, après avoir géré ma propre salle pendant un moment, je suis devenu promoteur pour le Rajadamnern Stadium (une des plus célèbres salles de Thaïlande, ndlr), ce que je fais depuis environ 30 ans.

Comment se fait-il que votre salle de sport se trouve dans un endroit aussi introuvable ?
Je l'ai construite ici parce que ma famille y a vécu pendant tellement longtemps. Plusieurs générations même. Lorsque j'ai enfin eu les moyens de faire construire une salle, j'ai regardé le terrain qu'on avait et je me suis dit que c'était un endroit approprié.

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Quelle histoire y a-t-il derrière le nom Chuwattana ?
Mon prénom est Chucharoen et l'un de mes meilleurs amis s'appelle Watthana Kittinan. C'est un officier haut-gradé de la police. Avant d'ouvrir cette salle, je lui ai dit que je voulais qu'elle ait un nom bienveillant et je lui ai demandé s'il était d'accord pour que je combine mon prénom avec le sien. D'ailleurs, je voulais mettre son nom avant le mien, mais Watthanachu ne sonnait pas vraiment comme un nom, du coup c'est devenu Chuwattana. Et aujourd'hui, bien des années plus tard, ce nom est connu dans le monde entier.

Beaucoup de vos boxeurs thaï sont des pointures. Quel âge, en moyenne, ont vos boxeurs lorsqu'ils arrivent ici et quand vous commencez à les entraîner ?
Certains avaient 12 ou 13 ans en arrivant. Ou peut-être 14 ou 15 ans. Il faut beaucoup d'années pour transformer un jeune boxeur en un professionnel respecté. Ce n'est pas facile du tout. On en entraîne beaucoup depuis le début, depuis leur premiers pas. On embauche des entraîneurs pour eux, on les loge et on les nourrit bien. Mais lorsque des jeunes boxeurs arrivent pour la première fois, je dois évaluer s'ils aiment vraiment la boxe et si leurs parents vont les soutenir et les laisser vivre avec nous. Si ce n'est pas le cas, s'ils n'étaient pas à la hauteur ou si leurs parents n'étaient pas derrière eux, ils s'enfuiraient de toutes façons au bout de deux mois d'entraînement.

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Y a-t-il beaucoup de fugues ?
Non, pas beaucoup.

Est-ce que tous les boxeurs vivent au gymnase ?
Les professionnels, oui. Il doivent vivre ici. Pour être vraiment investi là-dedans, il faut un peu plus que venir s'entraîner ici et rentrer chez soi le soir. Il n'y a que les boxeurs amateurs qui peuvent faire comme ça.

Combien de boxeurs vivent ici aujourd'hui ?
Dix Thaïlandais. Les étrangers ne vivent ici qu'occasionnellement.

Comment se fait-il que le Chuwattana Gym ait si peu d'étrangers comparé à beaucoup d'autres salles qui ont parfois plus d'étrangers que de Thaïlandais ?
Ma salle d'entraînement n'accepte pas n'importe quel étranger au hasard. On doit s'assurer que ce sont des gens biens. La plupart des boxeurs étrangers qui vivent ici me sont recommandés par des gens que je connais. Notre salle de boxe a un règlement parce que nos boxeurs vivent en communauté. Par exemple, à 22 heures c'est extinction des feux pour tous les boxeurs, Thaïlandais comme étrangers, qui dorment dans la même pièce. Et bien sûr, tous les boxeurs gardent leurs effets personnels dans cette pièce, donc si quelqu'un voulait voler quelque chose ce serait très facile. On fait donc très attention à qui on choisit pour vivre ici. J'ai passé 40 ans à bâtir la réputation de ma salle et je veux la préserver.

Vous avez dit que les Thaïlandais et les boxeurs étrangers vivaient dans les mêmes locaux. Qu'en est-il des différences de language ? Y a-t-il des problèmes de communication ?
Ici, les boxeurs viennent de beaucoup de pays différents et il est vrai que cela leur prend un peu de temps pour trouver des moyens de communiquer les uns avec les autres. Mais, avec le temps, ça va mieux. Et puis on a aussi des entraîneurs qui ont vécu au Japon et qui peuvent parler un peu japonais. Quant aux boxeurs chinois, ma femme parle le chinois. Elle a des origines chinoises.

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Est ce que vous parrainez des boxeurs étrangers ?
Non. Notre salle n'est pas une association caritative. Je ne pense pas que la plupart des autres salles parraineraient beaucoup de boxeurs étrangers non plus. Je crois que l'on a toujours besoin de dépendre les uns des autres : ils viennent chez nous pour recevoir un bon entraînement et en retour on utilise leur argent pour faire vivre la salle pour qu'ils puissent continuer de s'y entraîner. C'est une histoire de business. Normalement, les salles facturent aux étrangers 500 à 1000 bahts la session d'entraînement. Dans notre salle, on prend cet argent et on en redistribue une partie à nos entraîneurs, et l'autre partie sert à financer la nourriture des boxeurs étrangers. Nos cuisiniers préparent les repas qui coûtent plus de 150 bahts par boxeur et par repas.

Chuwattana est réputé pour sa bonne cuisine.
On prend notre salle au sérieux. Ce n'est pas seulement une histoire d'argent ou de business, la qualité est notre priorité. Regardez la cuisinière que j'ai embauchée [Il désigne une femme s'affairant avec des casseroles dans le coin cuisine]. Nous sommes professionnels, on doit s'occuper de tout ce qui touche à nos boxeurs.

Vous gérez cette salle d'entraînement depuis 40 ans. Quelles sont d'après vous les qualités importantes que devrait avoir un gérant de salle ?
Un gérant de salle d'entraînement doit respecter les règles et, qui plus est, doit avoir une déontologie et une moralité fortes. Il ne doit jamais profiter des boxeurs. On a formé beaucoup de champions comme ça ici.

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À quoi ressemble le programme d'entraînement ?
Nos boxeurs s'entraînent deux à trois heures le matin et autant de temps en fin de journée. Ils se lèvent avant 6 heures du matin pour aller courir.

Votre programme d'entraînement ressemble à celui de beaucoup d'autres salle thaïlandaises. D'après vous, si tous les boxeurs s'entraînent autant de temps chaque jour, qu'est ce qui fait que certains boxeurs sont incroyables tandis que les autres restent dans la moyenne ?
Toutes choses étant égales par ailleurs, c'est leur intelligence sur le ring qui fait la différence, la façon dont ils gèrent la situation. Certains boxeurs ne font que lever stupidement leur garde en attendant d'être attaqué.

Quel âge ont en moyenne vos boxeurs lorsqu'ils prennent leur retraite ?
Cela dépend d'eux, de leur état de santé et de leur état d'esprit : s'ils jugent qu'ils en ont leur claque du mode de vie de boxeur et qu'ils sont las de s'entraîner…

Qu'est ce qu'ils font pendant leur retraite ?
Certains montent leur propre business. Mais ceux qui ont passé toute leur vie à se battre sur le ring trouvent parfois difficile de commencer leur propre affaire et certains, après avoir échoué dans leur nouvelle carrière, reviennent vers moi. Je les aide en contactant des gérants de salles dans des pays comme la Chine ou le Japon, pour leur trouver du boulot là-bas. Les gérants de gymnases chinois et japonais me demandent souvent si je connais de bons entraîneurs qui voudraient travailler chez eux. C'est là que je recommande certains de mes boxeurs retraités.

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Le nom de Chuwattana est très respecté, et vous avez toute une flopée de bons boxeurs devenus entraîneurs. Avez-vous déjà réfléchi à ouvrir d'autres salles ailleurs, ou bien à agrandir votre business d'une quelconque autre manière ?
Oui, j'y ai réfléchi. On m'a demandé un jour d'ouvrir une salle à Pattaya. Mais j'ai refusé. J'ai déjà les mains pleines avec la gestion de cette salle. Je me fais vieux. Si je voulais agrandir mon business, il faudrait que je sois sûr d'être capable de m'en occuper. Ce qui me rappelle un ami à moi, un ami riche. C'est le propriétaire du restaurant Honmono Sushi.

Vous voulez dire Chef Boontham ?
Oui, c'est lui. Il aime la boxe. Il voulait une salle de boxe et il m'a donc demandé pleins de détails sur mon business. Il a même acheté un bout de terrain à Lat Krabang (un district de Bangkok, ndlr). Mais je lui ai dit d'oublier ça et de rester plutôt concentré sur son business de restauration qui marche très bien. Je lui ai dit ça pour lui, ce serait une perte de temps et d'argent de commencer à travailler dans l'industrie du muay-thaï. Pour faire grandir une salle de boxe, il faut y dédier énormément de temps, donner énormément de soi. Et c'est un travail de longue haleine.

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Il en va de même pour le travail de promoteur. Si l'on veut promouvoir un bon combat, il faut connaître de bons boxeurs. Et c'est pas comme si ça pouvait s'acheter. Ce n'est pas comme ça que ça marche. On ne peut pas juste demander comme ça à un boxeur de combattre. Ils ont de la fierté, de l'indépendance. Ils peuvent décider par eux-même s'ils veulent ou non combattre à ton événement. Les promoteurs ont leurs propres boxeurs avec lesquels ils travaillent et un nouveau promoteur devra passer par d'autres promoteurs pour avoir leurs boxeurs.

Vous avez passé des années à vous forger un nom dans le muay-thaï. Qui voyez-vous reprendre votre travail après vous ?
Personne.

Pas même votre fils ?
Non. Mon fils n'est pas comme moi. Il n'aime pas la boxe comme je l'aime. Il aime beaucoup regarder, mais pas pratiquer. Aujourd'hui je continue de gérer la salle surtout pour mon propre plaisir. J'ai plus de 70 ans mais ça m'ennuierait à mourir de devoir rester chez moi toute la journée à ne rien faire.