J’ai passé une journée entière avec les badauds de la Trump Tower
Toutes les photos et les GIF sont de Jason Bergman.

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reportage

J’ai passé une journée entière avec les badauds de la Trump Tower

Ce qu’on voit autour et à l’intérieur du nouveau Q.G. du Monde Libre.

J'ai dû attendre plusieurs minutes avant de pouvoir prendre une photo correcte de la Trump Tower – ce qui était plutôt logique au vu des centaines de personnes en train de prendre des clichés dans le coin. Des touristes japonais prenaient la pose de manière excessivement stoïque devant la façade sombre de la tour avant d'être dispersés par la police. Ils étaient remplacés sans attendre par d'autres individus tout aussi placides.

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Comme moi, ces étrangers étaient captivés par ce gigantesque phallus de verre scintillant qui est aujourd'hui le haut lieu de la puissance mondiale. La Trump Tower était déjà une destination qui attirait les foules avant que son propriétaire ne passe de star de la téléréalité à chef du Monde Libre. Lorsque l'élection américaine s'est dangereusement rapprochée, il est devenu impensable de passer à New York sans prendre son selfie devant la tour. Sur Madison Avenue, le flot des piétons est constant et intense depuis des mois, et l'intérêt décuplé pour ce lieu a charrié avec lui son armée de policiers, d'unités antiterroristes et d'agents des services secrets – le tout pour la modique somme d'un million de dollars par jour, selon la chaîne CNN.

Personnellement, je ne me suis pas pointée devant la tour pour prendre une photo. Je voulais juste savoir qui pouvait être intéressé par un tel endroit – le genre de personne qui ne se contente pas de faire en vitesse l'Empire State Building, la statue de la Liberté et le mémorial du 11 septembre. On parle de touristes qui passent plusieurs heures à attendre pour espérer apercevoir quelques mèches de Donald Trump – et, qui sait, entrapercevoir l'autre leader du Monde Libre, à savoir Kanye West. J'ai logiquement voulu en savoir plus sur tous ces fans absolus, ces opposants viscéraux et ces addicts aux médias qui sont aujourd'hui des habitués de la Trump Tower.

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Légalement, tout le monde peut visiter la Trump Tower. Sous ses airs de bunker – avec ses dizaines de barrières et de policiers à l'entrée – la tour n'est pas fermée au public. Bon, les militaires présents veulent quand même vous faire croire que seules certaines personnes peuvent y accéder, ce qui n'est pas vrai. Si ma carte de presse m'a donné une excuse pour rentrer facilement, un couple juste derrière moi a lui aussi pu y accéder en expliquant vouloir prendre un chocolat chaud au Starbucks situé à l'intérieur. Kit et Margaret – c'est leurs noms – viennent de Virginie. Ils ne se sont pas attardés plus que ça sur les lieux. S'ils avaient toujours considéré New York comme une ville à visiter régulièrement, celle-ci est devenue bien trop agitée au cours des dernières années, selon eux. C'est en croisant la plus grande star de Times Square, le Naked Cowboy – dont le nom en dit long sur sa performance – qu'ils ont compris que la ville était définitivement trop chaotique pour eux. Après les avoir laissés, j'ai suivi le cow-boy jusqu'à l'un des restaurants de la tour – là, ce quadragénaire s'est mis à siroter tranquillement une vodka orange.

Pour ceux qui ne connaissent pas très bien New York, le Naked Cowboy, alias Robert Burck, est le type qui se tient droit comme un piquet dans le cœur de Manhattan depuis 1988, avec un slip et une guitare. Depuis 73 jours, il se ramène chaque matin devant la Trump Tower aux alentours de 11 heures du matin. Il affirme vouloir rencontrer des personnalités influentes – comme des sénateurs – mais je suis à peu près sûre qu'il aime tout simplement picoler dans un bar resplendissant.

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Voici comment se déroulent désormais ses journées : il prend un verre au restaurant Trump Grill de la Trump Tower, puis il se rend ensuite au Trump Bar – qui, paraît-il, dispose de bien meilleurs fauteuils. Après en avoir suffisamment profité, il prend sa bite et sa guitare pour se positionner face à la foule qui se tient devant la Trump Tower avant de retourner vers Times Square aux environs 15 heures. Burck adore Donald Trump. Le magnat lui rappelle son père, m'a-t-il confié. Son paternel était pompier volontaire et change aujourd'hui les couches de sa mère – âgée de 98 ans. « C'est l'Américain blanc et fort », me dit Burck en parlant de Trump. « Non pas qu'il ait besoin d'être blanc ou d'être un homme. C'est un gagnant, voilà tout »

Après des années à abîmer son corps en jouant de la musique dans la rue, Burck attire toujours les admiratrices – à l'image de Tracie, qui a demandé un autographe au cow-boy alors que je discutais avec ce dernier. Tracie m'a expliqué qu'elle vivait en Géorgie mais que son mari, consultant, bossait à New York. C'est pour le voir qu'elle traînait par là, et elle n'a pas manqué de profiter de la présence du Naked Cowboy – qui était tout heureux de flirter, même s'il m'a avoué plus tard qu'il était marié à « une clandestine née au Mexique », pour reprendre ses termes. Avant de me quitter, il m'a montré une photo de son épouse, pour me prouver qu'elle n'était pas grosse.

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Après cela, je suis retournée vers les escalators pour descendre dans le hall. Là, des dizaines de journalistes et de curieux attendaient patiemment face aux ascenseurs dorés. Dans le coin des curieux, il y avait Pier, un homme qui se foutait de la gueule des manifestants et déclarait à haute voix qu'Hillary Clinton était « la merde la plus corrompue au monde ».

Ce septuagénaire, dont la coupe de cheveux me faisait penser à Francis Lalanne, portait un tee-shirt à l'effigie de Donald Trump. Sa voix de routier laissait entendre qu'il fumait trois paquets par jour. Il m'a confié que, depuis l'élection, il prenait tous les jours sa vieille moto et traversait le New Jersey pour apercevoir Donald Trump – et, pourquoi pas, discuter avec lui. Ce chef de chantier à la retraite, qui marche aujourd'hui à l'aide d'une canne, espère que le fameux mur à la frontière mexicaine sera rapidement construit, et se vante de parler italien, français, espagnol et même arabe.

Pier désirait me montrer une photo de ses enfants, qu'il considère comme « magnifiques ». Après avoir tenté de retrouver leur page Facebook sur son téléphone, il m'a demandé d'échanger nos numéros pour pouvoir me recontacter dans le cadre de la rédaction d'un scénario ayant comme sujet principal sa vie. Je l'ai abandonné tandis qu'il tapait frénétiquement sur son clavier.

Après cet échange, je me suis rendue au Trump Bar. On m'a alors expliqué qu'il était sur le point de fermer, comme l'ensemble des commerces de la tour. En effet, un événement privé allait avoir lieu dans les heures à venir, et aucun badaud n'y était admis.

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Au final, la seule zone encore ouverte était la salle de presse – un zoo humain rempli de collègues acharnés, en train de détruire leur clavier tout en buvant des centaines de cafés. À cet instant précis, l'objectif de chacun était d'obtenir une ou deux phrases de Satya Nadella de Microsoft et Sheryl Sandberg de Facebook. Ces deux pontes des nouvelles technologies étaient sur le point de rencontrer Donald Trump, qui avait convié de nombreux dirigeants de la Silicon Valley. Évidemment, personne n'a daigné répondre.

J'ai finalement quitté les lieux et me suis précipitée dans la rue. Deux conservateurs isolés tenaient un drapeau américain décoré d'autocollants Trump. L'un des deux gars était occupé à expliquer à un mec gay pourquoi il préférait Trump à Clinton. La nuit est rapidement arrivée, accompagnée d'un froid glacial.

Sans trop savoir pourquoi, je me suis dirigée vers un célèbre magasin du coin – vous savez, celui où le parfum est beaucoup trop fort et les vendeurs beaucoup trop musculeux. J'y ai croisé David, un mec de 23 ans qui bosse dans une société qui investit dans les start-up. Sa grand-mère – qui supporte Trump – avait travaillé sur la Cinquième Avenue toute sa vie. David, lui, venait de Virginie – il était toujours inscrit sur les listes électorales de cet État, d'ailleurs. Selon lui, ce qui est important en politique, c'est la sympathie véhiculée par un candidat – si sa tête revient aux gens, en fait. David m'a affirmé qu'il était capable de vendre n'importe quoi à n'importe qui. Par exemple, il lui arrive de prendre un accent sudiste pour se mettre certaines personnes dans la poche – alors qu'il est un pur produit du Nord-Est. Comme il a étudié la finance et la science politique à l'Université, il aime penser qu'il en sait un peu plus sur ce genre de chose que le citoyen moyen.

« Si Donald Trump a pu devenir président, n'importe qui peut le faire, m'a-t-il confié. Tout ce qu'il a fait, c'est sourire et dire des choses creuses. » Après ces quelques mots, David a sorti son téléphone pour prendre une photo de la tour, avant de la partager Snapchat.

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