​On est allé aux championnats de France de bras de fer
Barthélémy Gaillard

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Sports

​On est allé aux championnats de France de bras de fer

Le 7 mai dernier, une centaine de passionnés venus des quatre coins de la France se sont réunis à Obernai, en Alsace, pour participer au championnat national de bras de fer.

Un cochon à la broche, des ballons de baudruche et un karaoké où des touristes allemands massacrent du Christophe. A première vue, Obernai est un de ces nombreux bourgs touristiques d'Alsace, un paradis fait de villages vacances pour préretraités de la Ruhr où tout semble irrémédiablement correct et policé. Mais aujourd'hui, la ville accueille un public un peu plus rock'n'roll, venu participer aux championnats de France de bras de fer : une centaine de ferristes, venus de Vitrolles, de Corrèze ou des Cévennes, se salue virilement dans le gymnase municipal au son de Highway To Hell d'ACDC.

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Ferriste, c'est le nom donné aux pratiquants du bras de fer sportif, une discipline bien plus codifiée que les affrontements de comptoir qu'on pourrait imaginer. Les combats se déroulent sur une table aux dimensions réglementaires, sous l'œil attentif de deux arbitres, et sont parfois même filmés par des petites caméras. L'affrontement est si intense qu'il dure rarement plus d'une minute, et peut être "plié" par l'un des combattants en une demi-seconde seulement.

Mais pour l'instant, il n'est pas encore l'heure d'en découdre. Les compétiteurs en sont au round d'observation : le four à flammekueches tourne à plein régime et chacun évoque ses souvenirs de l'année dernière en jaugeant discrètement ses adversaires un verre à la main. Parmi eux, Alain Lanique, 1 mètre 70 pour 140 kilos bien tassés, tend sa large paluche à tous les groupes qu'il croise. Alain, c'est deux yeux bleus brillants au milieu d'une barbe aussi blanche que fournie, un ancien au look et à la gouaille de patriarche. Alain affiche 68 ans au compteur, dont 20 passés à faire bosser ses bras dans toute l'Europe, une carrière qui lui vaut le respect de ses cadets. Cet ancien champion du monde vétéran, aujourd'hui président d'honneur de la fédération, semble apprécier la cuvée 2016 du championnat : « C'est bien, la salle est belle, l'installation sérieuse. Et il y a du public, c'est une bonne année », glisse-t-il entre deux checks façon Eminem dans 8 mile.

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Tout le monde est là, ou presque, puisque les sept clubs français sont représentés : des "Lynx d'Alsace", le Barça du bras de fer français, qui jouent à domicile cette année, jusqu'aux "Ferristes du Rocher" de Vitrolles. Sébastien Kampf, lui, arbore les couleurs d'Over The Top, le Petit Poucet de la compétition en termes d'effectif : « On représente toute la Corrèze, mais on est seulement quatre membres dans le club », glisse-t-il entre deux gorgées de boisson énergisante. A 45 ans, Sébastien est un habitué de ces rendez-vous de ferristes. Un amateur loin des canons de l'athlète confirmé. Il bombe son ventre bien rond pour en témoigner, pourtant prêt à pas mal de sacrifices pour exercer sa passion : « Je ne suis pas un sportif de haut-niveau. Le seul truc de haut-niveau hier soir, c'était mon alcoolémie ! Mais je bouge dans toute la France et même à l'étranger pour tirer, c'est l'avantage de participer à un sport où on n'est pas nombreux. On joue tous en Ligue 1 en quelque sorte. »

Et comme la Ligue 1, le championnat de France de bras de fer a su recruter à l'étranger. Alain Lanique, lancé dans sa tournée des grands-ducs, s'arrête devant un groupe de costauds : des membres de son club de Vélizy, en région parisienne, à l'accent bien moins terroir que Sébastien. Car Sergueï, Aleksandr et les autres sont tous originaires des pays de l'Est. « C'est normal de retrouver beaucoup de Slaves ou de Roumains ici. Dans leurs pays, le bras de fer est beaucoup plus populaire qu'en France », explique Alain Lanique. Autour d'une kvas, une bière slave très douce, Sergueï, 35 ans, évoque son amour pour ce sport, sa petite madeleine de Biélorussie. Lorsqu'il évoque des souvenirs de son pays natal, le colosse de 120 kilos se transforme en nounours attendri : « Mon père était camionneur, il battait tout le monde uniquement sur sa génétique. Le bras de fer pour moi, ça vient du coeur, j'ai toujours eu envie d'en faire. J'ai commencé à la fac à Minsk, quatre ans après j'étais champion national. A chaque fois que je monte sur la table pour tirer, je me sens un peu à la maison. »

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Sergueï, 35 ans, Biélorusse.

Sergueï a quitté "la maison" pour venir étudier en France. Il est doctorant en physique nucléaire, pas vraiment le genre de profil qu'on calque d'instinct sur les passionnés de bras de fer. Mais Sergueï balaye ces clichés d'un revers de main musclée : « On nous prend toujours pour des cons quand on dit qu'on est ferristes, mais c'est loin d'être le cas. C'est un sport qui nécessite beaucoup plus de technique et de tactique qu'on ne le croit. » En Europe orientale, les ferristes sont des sportifs reconnus, sponsorisés et bien payés, au statut respectable et respecté par Sergueï : « Chez moi, et dans tous les anciens pays soviétiques, le gouvernement donne de l'argent aux ferristes qui remportent des médailles aux championnats du monde même si ce n'est pas un sport olympique ! » Parmi la communauté immigrée des ferristes de Vélizy, certains pensent même à retourner au pays tenter leur chance dans le championnat local. S'ils sont absents aujourd'hui, Dimitri et Ion Podac, deux Roumains de 23 ans venus chercher du travail en région parisienne, songent à rentrer à Bucarest tenter leur chance en tant que professionnels. Entre un salaire au noir sur les chantiers français et les prize money des compétitions de bras de fer en Roumanie, le calcul est vite fait.

En pleine nostalgie slavophile, Sergueï et ses potes sirotent leur kvas devant les premiers combats des poids légers. Vient bientôt le tour de Sébastien, survolté par sa triple dose d'energy drink. Sautillements à la Nadal, cris rauques, Seb enfile un manchon en tricot orange façon Allen Iverson corrézien avant de monter sur scène sous l'oeil amusé de Grégory Schneider, le président de la fédération française de bras de fer. Il aime à rappeler qu'il est « commissaire aux comptes et expert-comptable dans la vie » pour montrer que « tout le spectre social est représenté parmi les ferristes » : « C'est ça qui est beau dans notre sport, ici, impossible de dire qui fait quel métier. Alors qu'il y a un linguiste maître de conférences à l'université d'Amiens et un ferrailleur côte à côte dans la salle ! »

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Hubert, 23 ans, talent brut du bras de fer.

Dans ce fourmillement de marcels, de tatouages et de survets, difficile de savoir qui est qui. Mais quelques minutes plus tard, Hubert déboule avec son collier de barbe et ses bras puissants. Hubert a 23 ans, est aussi ferrailleur. Lui a découvert le bras de fer très jeune : « Je suis gitan et, chez nous, le bras de fer ça plaît à tout le monde, c'est très populaire. » Hubert a commencé à en faire sérieusement il y a un an seulement avec ses amis d'Haguenau, au nord de Strasbourg : « C'était comme si une deuxième vie commençait pour moi. Dès que je venais aux entraînements, je ne pensais plus aux problèmes de la maison. Si je n'avais pas eu le bras de fer, je n'aurais pas eu grand chose dans ma vie », souffle-t-il entre deux entraînements musclés.

Tout le contraire de Grégory Schneider, qui doit concilier une vie de famille, son boulot très prenant et les entraînements : « Quand j'étais très sérieux sur le bras de fer, je travaillais 13 heures par jour et je m'entraînais la nuit. C'est le problème quand ton sport est peu médiatisé et financé, personne n'est là pour t'aider. » Aujourd'hui, Grégory fait toujours partie des meilleurs français. Il participe à des vendettas, des séries de combats courts et spectaculaires, avec les autres têtes d'affiche tricolores pour faire connaître son sport sur Eurosport 2. Un petit succès pour lui et pour son sport, insuffisant pour crever le plafond de verre médiatique: « En France, on ne valorise que les sports collectifs ou les sports d'adresse, pas du tout les sports de force. Nous, on est 250 membres à la fédé, et en Russie, il y a 20 000 concurrents aux championnats nationaux ! C'est culturel, nos difficultés à nous professionnaliser viennent de là. C'est dommage, parce qu'on a du potentiel. Avec nos effectifs ridicules, on est dans les 20 meilleures nations mondiales. »

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Alors que les meilleurs Américains, Russes ou Polonais vivent de leur biceps, aucun Français ne peut en dire autant. Attablé devant son déjeuner, Aymeric Pradines est le meilleur ferriste français du moment, l'un des meilleurs au monde dans sa catégorie des moins de 100 kilos. Un physique à la 300, surmonté d'une chignon de samouraï, qui écume les tournois du monde entier, tout en exerçant sa deuxième passion en tant que kiné : « En France, tout le monde connaît le bras de fer sans vraiment le connaître, c'est à la fois l'avantage et l'inconvénient », déplore-t-il.

Le combat se termine quand la main d'un des deux adversaires touche le coussinet.

L'autre faiblesse du bras de fer dans un pays en pointe dans la lutte contre le dopage comme la France, c'est que la discipline charrie son lot de piquouzes et d'athlètes "chargés". La fédération internationale a beau instaurer des contrôles lors des championnats du monde, elle est concurrencée par plusieurs ligues privées qui proposent des tournois avec des prize money élevés, où aucune surveillance n'est exercée. Aymeric Pradines: « Du coup, beaucoup d'Américains chargés ne viennent jamais aux championnats du monde et participent uniquement à ces compétitions privées, ça ne rend pas notre sport très lisible et équitable. »

Aux côtés d'Aymeric, Frédéric boit les paroles du champion entre deux parts de tarte à l'oignon. A mi-chemin entre François Damiens et le professeur Tournesol, ce Belge est le représentant de l'agence mondiale anti-dopage. Un homme bien placé pour parler stéroïdes et autres produits interdits, pourtant répandus dans le monde des ferristes : « Je suis venu en spectateur, je ne fais pas de tests ici. Mais aux derniers championnats du monde que j'ai suivis, sur 120 contrôles, on en a eu 10 positifs. C'est deux fois moins que la dernière édition, mais c'est encore énorme ! » Frédéric interrompt soudainement son laïus. C'est l'heure pour les "gros" d'engager le combat et pour Alain Lanique de monter sur scène.

Alain Lanique contre Grégory Schneider, le Clasico du bras de fer français.

Airs christiques, calme olympien, Alain joue de son aura pour impressionner l'adversaire. A bientôt 70 ans, il n'a plus d'explosivité et doit compter sur sa puissance pure pour l'emporter. Les combats durent donc plus longtemps avec lui, au moins 20 secondes en moyenne. Son adversaire crie pour s'encourager en plein effort, mais Alain remporte ce combat tel Santiago le pêcheur du Vieil homme et la mer de Hemingway. Dans la foulée, il affronte Gregory Schneider pour ce qui est le Clasico du championnat de France. En bord de table, Madame Lanique, inquiète pour la santé de son mari, murmure : « Vivement que ça se termine ! » Mais en même temps, elle ne peut s'empêcher de s'enthousiasmer pour son « Alain », de 20 ans l'aîné de son opposant, qui tient la comparaison face à Schneider. Elle s'inquiète, crie : « Il a le poignet trop ouvert là, il va lâcher! ». Belle résistance du vétéran, qui craque finalement.

La compétition touche à sa fin, et à défaut de gagner le moindre centime, les compétiteurs se contenteront d'un trophée et de la promesse d'une belle troisième mi-temps. Car si le bras de fer n'est pas encore professionnalisé, l'essentiel est là : éliminé depuis bien longtemps, entre deux canettes à la taurine, Sébastien "Iverson" Kampf continue à encourager les autres et à hurler à pleins poumons. Au bras de fer et en NBA, on n'a pas le même salaire, mais la passion est la même.

Toutes les photos sont de l'auteur.