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Quand le catch français vivait ses heures de gloire

Entre les années 1920 et les années 1970, le public français s'est passionné pour le catch. Retour sur l'âge d'or de "l'ignoble art" dans l'Hexagone.

Dans "Le monde où l'on catche", un des chapitres de son ouvrage-référence Mythologies, Roland Barthes s'intéresse à la popularité du catch, ce "spectacle excessif" qui remplit en ce temps-là les gymnases et les cases horaires de l'ORTF. C'est l'exubérance sémiotique du catch qui semble le fasciner alors, ces "personnages de la Comédie italienne qui affichent par avance, dans leur costume et leurs attitudes, le contenu futur de leur rôle".

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Que Roland Barthes s'intéresse au catch à l'époque, en 1957, n'est pas anodin : il s'agissait d'un divertissement populaire répandu sur tout le territoire français, que ce soit grâce à la télévision ou dans diverses salles de spectacle, à Paris et en province. Les années 1950 et 1960 sont le point d'orgue de ce spectacle sportif : Roger Couderc au commentaire, L'Ange Blanc, le bourreau de Béthune ou Roger Delaporte sur le ring, le catch est partout. Les spectateurs savent qu'ils assistent là à des combats parfaitement orchestrés mais passent outre, tout l'intérêt est d'observer le ballet viril entre les corps charpentés de ces "Michel-Ange" du ring.

Cette époque, c'est l'âge d'or du catch, la période que décrit Christian-Louis Eclimont, auteur de romans et d'ouvrages sur le cyclisme ou la chanson française. Dans Catch - L'âge d'or 1920-1975 aux Editions Huginn & Muninn, il revient sur la discipline qui a vu naître des héros masqués ou des salopards que le public adorait détester, sur ce souvenir cathodique des samedis soirs à regarder Chéri-Bibi asséner des manchettes à René Ben Chemoul en direct de l'Elysée Montmartre, sur ce spectacle des années "Série noire et films d'Audiard" qui a enfanté de futures vedettes du cinéma comme Lino Ventura ou André the Giant.

Elégamment mis en page et illustré des précieuses archives du collectionneur Jean-Marie Donat, L'âge d'or du catch donne à voir, avec une nostalgie plaisante, une époque révolue où le combat chorégraphié faisait se déplacer les foules. On est allé poser quelques questions à Christian-Louis Eclimont pour en savoir un peu plus sur le catch français de ces années-là.

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VICE Sports : Comment le catch est-il apparu en France ?
Christian-Louis Eclimont : Au début en réalité, c'est l'extension des sports d'exhibition forains du 19e siècle. Le catch est, lui, né aux Etats-Unis, à la fin du 19e siècle. Aux USA, le catch doit sa renommée dans les années 1920 au Gold Dust Trio, trois anciens catcheurs qui ont monté le circuit. C'était un peu mafieux et truqué, mais c'était inhérent à ce genre de manifestation. En fait, vu que la lutte amateure ne payait pas, le catch est arrivé.

Dans les années 1930, trois héros français, Henri Deglane, ancien catcheur, Raoul Paoli, un type hallucinant avec des titres olympiques dans plusieurs disciplines, et Charles Rigoulot, qui passait à l'époque pour "l'homme le plus fort du monde", vont esquisser un circuit de catch en France. S'il fallait donner une date de naissance au catch en France, ce serait donc autour des années 1930.

D'où venaient ces catcheurs français ? On voit que ce sont souvent des profils de sportifs, parfois dans plusieurs disciplines d'ailleurs. Est-ce que c'était toujours le cas ?
A partir des années 1930, on peut dire que tous les catcheurs français viennent de la lutte. Certains viendront du judo, plus tard. Mais, il s'agissait surtout de lutteurs d'un excellent niveau qui ne gagnaient pas leur vie en pratiquant ce sport exigeant. Ils ont donc tous bifurqué vers le catch. A partir de 1930, tous ces catcheurs sont des sportifs accomplis. On n'est plus dans la culture d'Apollon de foires du 19e siècle.

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Est-ce que c'était un spectacle sportif qui s'est développé partout ou était-ce majoritairement parisien ?
C'était forcément national dès lors qu'il y a eu l'implantation du parc télé. Il y a bien eu des galas de catch partout en France jusque dans les années 1975-1980.

Très vite, on voit que les catcheurs français adoptent des personnages bien marqués, un peu comme les catcheurs actuels, même s'il y a aussi de grands noms du catch avec des noms de ring assez traditionnels…
Il y a eu plusieurs vagues en fait. Chez les catcheurs tels que "Mustapha Shikhane l'extraordinaire champion turc", "M'Boaba le redoutable champion congolais" ou le boucher de Budapest, il y avait un certain bluff avec, parfois, l'utilisation de superlatifs dans leur nom. Alors que d'un autre côté, si on pense à Roger Delaporte, Walter Bordes ou André Bollet, c'est vrai qu'on retombe dans une certaine normalité. Mais, disons qu'il y avait plusieurs entrées dans le catch : un aspect plus totémique et un aspect plus normal.

Tout ça découle de la scénarisation très manichéenne que l'on trouve dans le catch : le bien à l'assaut du mal. On est dans la substance du super héros avec une scénarisation extrêmement puérile mais qui fonctionnait bien à cette époque-là, parce que Mai 68 n'était pas encore passé, et que le culte du mâle super costaud était encore très efficient. Ça s'est effrité par la suite.

Est-ce que cette ambiguité entre spectacle et sport a toujours été présente au sein du catch français ? Ou est-ce qu'on le voyait comme un sport à part entière à une époque ?
Ça a toujours été entre les deux, entre le spectacle et le sport. L'aspect sportif était consigné dans la notion de fédération de catch professionnel, mais tout ça était très éclaté. C'était un sport-spectacle, inexorablement. On le trouve dans les pages sport des Echos à l'époque, mais ce n'est pas pris au sérieux en tant que tel. Ça a toujours été un sport-divertissement.

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Comme on peut le lire dans le livre, la France a même diffusé du catch à la télévision avant les Etats-Unis, ce qui semble absurde au vu de la différence de popularité de la discipline entre les deux pays aujourd'hui.
Oui, sur le plan cathodique, c'est le seul aspect où la France a devancé les Etats-Unis. Ça a été diffusé tout simplement parce que ça plaisait, c'était la culture baston, la culture Clochemerle, le mythe de l'homme le plus fort du monde. C'était diffusé à la télé le mercredi ou le samedi, deux fois dans la semaine parfois. Les gens étaient sensibles à ce spectacle qui était plein de rebondissements. Les matches étaient extrêmement scénarisés, montés comme des pièces de théâtre. On se souciait peu de savoir s'il s'agissait d'un sport avec des règles précises. Roger Delaporte avait eu un mot assez formidable : il appelait le catch "l'ignoble art". On voit donc très bien la part de cirque derrière tout ça, mais un cirque où les athlètes font le boulot.

A quel moment le catch français a disparu, en tout cas sous cette forme-là ?
Dans l'imaginaire collectif, le mythe de l'homme fort qui baffe tous azimuts a décliné après 1968. La société avait profondément muté, et les moyens de divertissement se multipliaient. Et ce catch-là, celui dont je parle dans le livre, s'est donc éteint vers les années 1975-1980. Après, il y a eu une renaissance avec un barnum heavy metal qui m'intéresse moins. Je voulais garder, avec ce livre, un souvenir de gamin de cet âge d'or-là, quand tout le monde suivait les matches à la télévision.