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Sport

Délire post-réveillon : et si on rencontrait les derniers joueurs de jeu de paume ?

Une espèce en voie d’extinction très avancée, qui lutte pour la survie du sport préféré des rois de France.
Photo : International Real Tennis Professionnals Association

Un voiturier bichonne l’arrière-train d’une berline allemande, une serveuse déguisée en soubrette passe la porte à tambour d’un palace, une paire de stilettos nous frôlent le pied dans un soupir exaspéré… Aucun doute, nous sommes dans le 16e arrondissement de Paris. Un discret écriteau “Paume-squash”, dominé par un panneau croisant les raquettes des deux sports, indique l’entrée du dernier club de paume de la capitale.

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Sous une immense verrière, deux joueurs s’affrontent dans un camaïeu de blanc immaculé. Polo, chaussettes et short ivoire (donc), le premier lance à son partenaire : « C’est le meilleur point que j’ai joué depuis dix ans ! » Ces deux-là savent de quoi ils parlent : ils s'apprêtent à s'envoler pour l'Australie, où ils participeront à l’un des quatre tournois du Grand Chelem du jeu de paume. Le premier est Matthieu Sarlangue, meilleur joueur français de la discipline, classé 10e au niveau mondial. Son adversaire du jour est Rod Macnaughtan, ex-numéro 6 mondial (aujourd’hui 13e) et désormais entraîneur. Son accent prononcé trahit vite ses origines britanniques, où le jeu de paume est resté plus populaire qu’en France. « En Grande-Bretagne, il y a encore 35 terrains de jeu de Paume. À Paris, il y a eu un jusqu’à 250 mais aujourd’hui, nous sommes le dernier. »

Très technique et ultra physique

Discipline ancestrale, le jeu de paume partage des points communs avec d’autres sports de raquette. Ainsi, le tennis lui a repris le comptage des points – en jeu, et en set. C’est donc là qu’est né ce système incroyablement sophistiqué (et pas de l’esprit d’un pervers des maths, comme on l’a longtemps cru). Il faut dire que le jeu de paume se distingue par sa grande complexité. D’abord, les deux parties du terrain sont asymétriques. Ensuite, le court est surmonté de toits, et entouré de murs, sur lesquels la balle peut rebondir autant de fois que possible. Au sol, par contre, un seul rebond est autorisé. « Il y a également des cibles gagnantes », précise Rod Macnaugtan en montrant du doigt trois endroits : un espace bien précis du mur, la cloche et la grille. Lorsque la balle atterrit dans une de ces trois zones, le joueur remporte immédiatement l’échange. Résultat : « il y a de très nombreuses façons de marquer un point. C’est très tactique », poursuit-il.

Mais là où on n’a carrément rien compris, c’est quand on a demandé à Rod Macnaughtan à quoi servaient les lignes blanches tracées au sol. Elles « introduisent la "chasse" », nous a-t-il dit. Un terme qui désigne une situation bien précise : lorsque la balle effectue deux rebonds au sol, sans que le joueur n’ait pu la toucher. Le point n’est alors pas attribué : il est en suspens. Le joueur qui a perdu l’échange identifie l’impact du deuxième rebond grâce aux lignes et au chiffre qui s’y réfère. Les deux joueurs changent de côté et celui qui a concédé la chasse lors du dernier point ne peut envoyer la balle qu’entre la ligne où elle a effectué le second rebond et le fond du court. Vous suivez ? Nous, pas trop…

Ce qu’on en a retenu, c’est qu’au jeu de paume, il y a des centaines de façons d’obtenir un point. Et donc autant de techniques pour surprendre, et déstabiliser, son adversaire. « On n’a jamais l’impression d’avoir atteint son maximum parce qu’il y a toujours des choses à améliorer. C’est ça qui rend accro », résume Matthieu Sarlangue.

3 heures de jeu de paume = 5 heures de tennis

À force de se prendre la tête pour en comprendre les subtilités, on a failli oublier que le jeu de paume est aussi super physique : il se joue en trois sets gagnants, sans le moindre de temps de pause. « Quand on joue un match de trois heures, cela équivaut à environ cinq heures au tennis », précise Tim Batten, président du comité français du jeu de courte Paume, et capitaine de l’équipe de France de la Coupe Bathurst - l’équivalent de la coupe Davis au tennis.

À ce stade, une question s’impose : est-ce sa complexité qui a donné au jeu de paume sa réputation de sport élitiste ? Pas du tout. A l’origine, il était même pratiqué dans la rue. Un filet en travers de la chaussée, des portes et des toits pour faire rebondir la balle : et le jeu de paume est né. On y jouait avec la simple paume de la main – c’est d’ailleurs là d’où vient son nom. C’est en devenant le sport favori des rois de France que le jeu de paume a développé cette image de divertissement réservé aux grands de ce monde. Si Louis XIII avait préféré taper du pied dans un ballon rond… on jouerait peut-être au foot en polo blanc sous une verrière !
Pour Tim Batten, le président du comité français, cette image d’un sport snob et haut de gamme ne reflète pas la réalité. « Si on se base sur le prix du matériel, le golf est bien plus élitiste ! », grogne-t-il. Et d’ailleurs, après une étude comparative avec les clubs de tennis du quartier, on s’est rendu compte que le jeu de paume n’était pas forcément plus cher : un abonnement au tennis coûte ainsi 650 euros en moyenne pour un étudiant contre 420 pour le jeu de paume.
Mais reste que les aficionados apprécient la dimension « gentlemen » de leur sport : « Le jeu de paume a conservé une certaine classe. Cela fait même partie de la charte mondiale », note François, un habitué du court. Qui porte très élégamment la panoplie blanche du joueur de paume qui se respecte.