Grenoble-Red Star : l'amour est dans le kop
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Grenoble-Red Star : l'amour est dans le kop

La récente rencontre entre les deux clubs a permis aux supporters de se déclarer mutuellement leur flamme. Une relation exceptionnelle dans le petit monde ultra.

VICE et le Red Star se sont associés pour suivre la saison des Vert et Blanc de Saint-Ouen sur et hors des terrains, auprès des joueurs, du staff, des supporters et de tous ceux qui gravitent autour de ce club historique du foot français. Aujourd'hui, on vous parle de l'amitié entre les ultras audoniens et grenoblois, qui perdure depuis plusieurs années.

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L'été a rendu les clés bien tôt cette année. Il pleut sur Grenoble. Sans arrêt. Pas une franche averse, pire, le genre de précipitation sournoise qui trempe les os. Quelque part, c'est à ce type d'intempéries que le connaisseur reconnaît les « vrai(e)s ». Ceux qui, à l'instar des supporters du Red Star, viennent d'enquiller huit heures en bus pour débarquer à l'heure du petit-déjeuner sur Grenoble, et repartiront le soir même à 22 heures. Ils semblent complètement indifférents au ciel qui s'assombrit au-dessus d'eux avec l'assurance des vieux briscards napoléoniens. « Les déplacements, c'est ce qui forge un groupe, rien ne remplace cela », peut philosopher Darch, membre du Collectif Red Star Fans. Impossible de le contredire. Il faut s'aimer pour rester aussi longtemps ensemble pour passer un peu plus de 90 minutes dans un stade anonyme du National.

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Bref, pour en revenir à la vérité du terrain comme dissertent les plateaux télé, en ce 9 septembre pluvieux, l'étoile rouge vient défier Grenoble (on vous épargne l'étoile des neiges), l'un de ses principaux rivaux dans ce début de championnat de National. Avec au bout, l'espoir de décrocher le Graal, l'objectif d'une remontée en Ligue 2 pour de nouveau s'asseoir à la table des hautes instances de l'élite professionnelle de notre foot hexagonal. Les deux pensionnaires de la troisième division en rêvent. Ils ont connu l'ivresse des multiplex et veulent renaître véritablement après une traversée plus ou moins longue dans les limbes des divisions inférieures et « régionalisées ». Pour eux, ce championnat a des airs de purgatoire.

La banderole ornée d'un laurier, symbole de l'amitié entre les supporters des deux clubs

Cette saison, les deux équipes se tirent donc la bourre pour attraper les deux précieux sésames. Côté Red Star, la relégation fut un paradoxe de douleur sportive et de joie de se lover de nouveau dans son antre sacré qu'est Bauer. Le club a cette chance de pouvoir survivre à toute difficulté sportive, car il reste toujours un nom, une valeur, un patrimoine, qui rassemblent et fédèrent. En face, à Grenoble, on continue de croire au destin du foot dans une ville de rugby, avec qui il faut bien partager la pelouse du stade des Alpes. L'enthousiasme n'est, avouons-le, pas aussi fort dans les rues de la cité iséroise. Au marché de l'Estacade, le boucher lâche paisiblement : « Je ne savais pas qu'il y avait match », avant de sortir son portable et de dire : « Je vais mettre une pièce sur le Red Star. De toute façon, ici, les gens sont soit pour le PSG soit pour l'OM. »

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« On a beaucoup de points communs la même approche du foot, des valeurs comme l'antiracisme, le souci de soutenir nos couleurs de la même manière » – le président des Red Kaos, groupe de supporters du Grenoble Foot 38

Souhaitons-lui d'avoir misé sur le nul finalement, car la confrontation ne répondra malheureusement pas à l'enjeu. Un morbide 0-0 qui, s'il fait les affaires des deux protagonistes, n'a guère fourni l'occasion au courageux public venu affronter le climat de réveiller une enceinte quelque peu surdimensionnée pour une si petite affluence. De fait, un seul moment fort viendra finalement ponctuer la rencontre. Et c'est du côté des gradins que descendra l'émotion sur la pelouse. Les Red Stars Fans et les Red Kaos ont décidé de célébrer comme il se doit leur longue et décennale amitié, non seulement par des tifos et des chants associant les deux groupes, mais aussi en faisant parcourir le terrain à une magnifique banderole ornée du classique laurier, portée en commun, et qui ira d'un kop à l'autre, soulevant bien plus l'enthousiasme que les rares actions égrainées péniblement durant le temps réglementaire.

Pour les néophytes qui ne seraient pas habitués à l'univers des tribunes, un tel moment s'avère fort rare, voire unique. Il peut arriver parfois de rendre hommage à un supporter adverse, une figure iconique, comme le légendaire Depé de Marseille, honoré dans les travées du Parc des Princes. Par ailleurs, les jumelages entre groupes ultras n'ont rien d'exceptionnel, mais concernent généralement des kops issus de deux pays différents [la Horda du FC Metz avec les Allemands de Kaiserlauten ou les commandos ultras de l'OM avec l'AEK et son Original 21, ndlr]. C'est plus simple, moins risqué, et cela évite de trop éprouver la fraternité prolétarienne en cas de rencontres trop fréquentes. Ces connexions sont en général surtout l'occasion pour les ultras français de se déplacer chez leurs amis – une sorte d'Airbnb avec écharpe avant l'heure – pour de grosses rencontres ou les derbies « de feu » qui restent quand même assez rares par chez nous.

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Le match s'est soldé par un résultat nul et vierge

L'amitié entre les supporters du Red Star et de Grenoble dépasse largement ce cadre. Il est quasi impossible d'imaginer, n'importe où en Europe, deux groupes ultras réalisant un cortège commun, fumis et couleurs mélangés, pour se rendre ensemble avant le match devant le stade. Et encore moins les ultras du cru recevant leurs homologues à la descente du car pour les croissants et, peut-être, la bière du matin. Le plus touchant fut peut-être l'humour avec lequel les deux kops ont joué de l'incongruité de la situation, s'amusant tout au long de la rencontre à se chambrer pour donner le change. De quoi égayer ensuite les réseaux sociaux. Du côté du Red Star, on a entendu un impitoyable « vous avez les couleurs du Paris FC » – auquel les piques grenobloises ont répondu sur le côté un peu trop « hype » du Red Star.

Cette proximité se révèle si forte qu'elle imprègne les rares cercles footballistiques de la ville. À simple titre d'illustration, les joueurs Red Star effectuaient leur petite marche d'avant-match du côté de la gare quand un chauffeur de bus stoppa son véhicule, sortit la tête et enchaîna : « On va vous battre, mais en fait l'important c'est qu'on monte tous les deux, on est trop amis pour se fâcher. » On a connu des réceptions plus douloureuses pour des équipes visiteuses.

D'autant plus que cet internationalisme footballistique dans un seul pays doit tout au hasard. « Tout a commencé quand un Grenoblois en exil à Paris est venu au Red Star pour nous aider alors que nous lancions un peu sérieusement les choses autour du club, raconte Darch. C'est ainsi qu'on est rentré en contact. Cette fraternité ne s'est jamais démentie, certains sont devenus très amis. Cela va au-delà du foot. » « On a beaucoup de points communs, prolonge le président des Red Kaos. La même approche du foot, des valeurs comme l'antiracisme, le souci de soutenir nos couleurs de la même manière. Nos clubs ont traversé des itinéraires assez similaires sportivement, nous sommes proches, et même si dans les prochaines 90 minutes ce sera chacun derrière son équipe, on se retrouve après. »

Le Red Star est toujours invaincu cette saison

Il faut dire que cette belle discussion se déroule au bar du stade, ou les deux kops éclusent les pintes de blonde en attendant que le match débute. Une foule paisible mélangeant skins au tee-shirt de Cock Sparrer, ultras en Stone Island, et maman devant sa poussette recouverte d'une écharpe grenobloise. Les clients du buffet asiatique à volonté au fond doivent se demander ce qu'il se passe.

Pour respecter malgré tout les rituels, les deux « firms » vont simuler un petit fight avec pétards et fumis, insultes à deux balles et beaucoup de poses guerrières. Avant de se séparer sur un somptueux : « Bon, soyez sage le Red Star. »