Au club de boxe antifa et solidaire de Marseille
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Au club de boxe antifa et solidaire de Marseille

Au club de boxe populaire de la cité phocéenne, on s'entraîne dans un esprit antifasciste et anticapitaliste. L'occasion de découvrir les principes d'autogestion et de partage des connaissances.

La Plaine. Ses bistrots, ses graffitis, ses petits dealers… et son club de boxe populaire. Dans ce gymnase du centre-ville de Marseille, transsexuels, migrants, femmes voilées et jeunes de quartiers boxent ensemble en dépit des différences. Fondé sur des principes anticapitalistes et antifascistes, le club prône une mixité permettant de combattre les idées d'extrême droite : « Ici, on apprend à se connaître au travers de l'effort fourni et non des préjugés », explique Hazem, l'un des fondateurs du club.

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Créé il y a trois ans par des militants antifascistes et des habitants du quartier, le club a depuis vu défiler des profils en tout genre. « Tu peux croiser de tout : des homos, des trans, des jeunes de quartier, des vieux, des enfants, des migrants, des étudiants, des chômeurs, précise Hazem. Les gens préfèrent venir ici car ils se sentent à l'aise. La plupart de nos adhérents sont des femmes. Certaines viennent voilées. Et contrairement aux idées reçues, c'est l'un des rares club où tu vois aussi peu de violence ».

A l'instar d'autres structures sportives, la boxe populaire remplit une fonction sociale incontournable dans le centre-ville. Pour autant, rares sont les clubs où la volonté de se mélanger est aussi poussée. Un succès qui pousse la majorité de ses adhérents à considérer le lieu comme un « club de quartier » plutôt qu'un « club d'antifas ».

Derrière ce mélange, c'est pourtant bien l'un des fondements de la lutte antifasciste qui est partagé. « La réponse à l'oppression par le collectif », glisse Hazem. Un principe présent chez les résistants au franquisme, dont beaucoup ont émigré en Provence. « Notre réponse à toute forme d'oppression, c'est le collectif, poursuit Hazem. Une personne est toujours vulnérable lorsqu'elle est isolée et sans défense. On est dans un quartier populaire. Ici, beaucoup de gens subissent les dysfonctionnements de la société quels qu'ils soient. Grâce à ce lieu, ils apprennent à ne plus subir. Cet apprentissage doit profiter à tous. Le collectif, ce n'est pas un truc de faible. C'est la volonté de construire un ensemble, en apportant chacun ses particularités. »

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Loin de se cantonner au discours, les entraîneurs gardent le souci du collectif jusque dans les exercices les plus individuels. Quand vient l'heure des abdos, tous les adhérent(e)s forment un rond en se tenant par les épaules. Au signal du coach, ils effectuent tous le même effort au même moment. Pour les sportifs, c'est l'occasion de se soutenir physiquement. Les moins forts sont poussés par les plus costauds, et chacun aide l'autre à progresser.

Visuellement, la scène ressemble à un nénuphar qui se déploie. Les rugissements de douleur en plus. Mais dans le cercle, il se passe quelque chose de plus profond. « L'effort commun permet de dépasser les ambitions individuelles », explique un entraîneur.

A Marseille dans les années 90, la lutte contre l'extrême droite fut l'une des plus violentes de France. Si le combat perdure, celui-ci s'est apaisé. Fini les cocktails molotov jetés contre des mairies FN. Aujourd'hui, les militants préfèrent lutter contre « le projet de société de l'extrême droite » par des initiatives citoyennes. L'objectif : travailler avec les habitants locaux pour construire « le quartier de demain » sans idées racistes ou communautaires. Un travail qui n'est pas nouveau dans la culture antifa. « Dans les luttes dites "antifascistes" on considère que l'extrême droite fonctionne sur les défauts de la société, explique Frédéric-Joël Guilledoux, auteur de Le Pen en Provence. Les militants décident donc de réparer ce qu'ils peuvent d'un côté, tout en combattant l'extrême droite de l'autre ».

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Pour le Marseillais Guilledoux, ce changement dans la lutte contre l'extrême droite peut notamment s'expliquer par l'évolution de la « menace FN ».

En 1995, Ibrahim Ali, 17 ans, est assassiné d'une balle dans le dos par des colleurs d'affiche du Front national. En réponse, le groupe antifasciste clandestin des Francs Tireurs Partisans (FTP) déclenche une série d'attentats. Ses militants, dont certains ont combattu au Nicaragua et au Salvador, seront emprisonnés à la fin des années 90. Dans le même temps, le FN va connaître une période de transition difficile avant d'être "dédiabolisé" par Marine le Pen. Pour les antifas, le visage de l'ennemi évolue : « On s'éloigne du profil type ancien combattant de la guerre d'Algérie capable de commettre des attentats » explique Frédéric-Joël Guilledoux. L'occasion pour les militants de réinventer de nouvelles formes de lutte.

« A partir des années 2 000, le danger incarné par FN va s'estomper faussement et réellement dans la région, explique celui qui est aussi journaliste d'investigation, spécialisé dans l'extrême droite. Faussement, car avec la scission avec le MNR, les voix d'extrême droite sont les mêmes, mais divisées par deux. Et réellement, avec les grandes manifestations contre Le Pen au second tour. La lutte dite "antifasciste" va alors perdre de sa spécificité dès lors que la majorité de la population est déjà dans la rue contre l'extrême droite. Voyant les militants du FTP en prison, on comprend aussi que la violence n'est pas forcément le meilleur moyen d'arriver à ses fins. »

Quoi de mieux pour lutter contre le racisme que d'inviter des migrants afghans à boxer avec des habitants du quartier ? C'est ce que le club de boxe populaire organise dès le début de l'année. Une façon de contrer les discours xénophobes sans passer par l'argumentaire politique. « Les discours ne servent rien, affirme Hazem. N'importe qui peut avoir le bon discours, la bonne façon de parler, le bon vocabulaire. Nos valeurs sont visibles dans nos actions. Les gens comprennent nos principes en observant notre fonctionnement. On peut très bien se dire tolérant sans vraiment l'être. Mais lorsqu'on regarde nos actes, il n'y a plus de doute possible. »

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Si le club se félicite de son combat contre les stéréotypes, sa plus grande fierté est ailleurs. Ici, on réalise un objectif historique des luttes anticapitalistes : l'autogestion. Hazem toujours : « A 10 euros , nos tarifs sont parmi les moins discriminants de Marseille. Les participants ne sont pas considérés comme des clients. Ils sont partie prenante du collectif et s'investissent chacun à leur échelle pour que le club perdure. »

En appliquant des principes anticapitalistes, la boxe populaire entend lutter contre les principes consuméristes liés au « business du sport ». Les entraîneurs sont bénévoles, la hiérarchie inexistante et les profits répartis. « Il n'y a ni compétition, ni patron, ni recherche de gains. Le club appartient aux adhérents. C'est toute sa beauté », justifie Hazem.

Aujourd'hui, c'est Roman l'Ukrainien qui entraîne les plus habitués. Yeux bleus perçants et biceps surdimensionnés, le militant antifasciste revient médaillé de Biélorussie. Il est assisté par Fawzi, un habitant du quartier. L'entraînement de Roman se base sur « tout ce que j'ai pu apprendre de meilleur aux quatre coins de l'Europe ». Des techniques qu'il transmet aux plus expérimentés qui deviendront les entraîneurs de demain. Un moyen de « partager les connaissances » pour que le club soit « autosuffisant ».

Preuve de son succès, le club de boxe populaire peut se vanter d'avoir formé un triple médaillé d'or en boxe sambo : Félix Bossion. A 19 ans, le boxeur qui se définit également comme un « militant antifa » est un inconditionnel de la boxe populaire. Lui qui l'a vue naître s'est par la suite spécialisé au Sambo Club Marseillais. Il reste malgré tout fidèle à son club d'origine qu'il considère comme « un endroit vraiment à part. J'aime y retourner car l'atmosphère est différente. Ce n'est que de l'entraide et du partage. Les entraîneurs savent ce qu'ils font. On travaille bien. A 10 euros, les cours sont aussi enrichissants qu'un club à 500 euros l'année ».

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Fidèle aux principes de « partage des techniques et des connaissances », Félix apprend autant qu'il enseigne. Un moyen pour lui de progresser tout en s'investissant pour que le club perdure. « Je reste disponible pour ceux qui ont besoin, indique l'intéressé. Quand je m'entraîne, je jette toujours un œil sur les autres. Cela même si les entraîneurs sont super compétents. C'est ça le principe : apprendre tout en partageant son expérience. »

Le Palestra Popolare Antogestita, un exemple pour les boxeurs du club de boxe populaire de Marseille.

Bien plus qu'un simple sport, la boxe populaire dépoussière de vieux concepts anticapitalistes dans un esprit non-violent. Dans ce domaine, le Palestra Popolare Antifa Boxe de Turin fait figure de modèle. Pour son petit frère de La Plaine, la route est encore longue pour arriver à son échelle. Les boxeurs marseillais n'en demeure pas moins ambitieux dans leur volonté de « faire bouger les choses » sans tomber dans le prosélytisme.

« Nous ne sommes pas là pour recruter des militants ou laver des cerveaux. Loin de là . Nous cherchons juste à montrer que la société peut fonctionner de manière différente. C'est valable dans le sport comme dans d'autres domaines. Un vieux monde se meurt alors qu'un nouveau cherche encore sa voix. Avec un esprit solidaire, on peut faire de grandes choses », conclut Hazem.