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Sports

Certains politiques préfèrent se battre plutôt que de débattre

Après le débat de ce mardi soir, une brève histoire de la baston entre politicards.
Reuters

Pour tenter de séduire les 40% d'électeurs français encore tentés par le vote blanc et tous les autres citoyens indécis, les candidats à l'élection présidentielle redoublent d'efforts rhétoriques depuis des semaines. Face à face devant les caméras lors du débat de mardi soir, ils se sont observés, se sont répondus, invectivés ou ignorés avec plus ou moins de talent. Avec en tête ce principe propre à la démocratie selon lequel l'affrontement des idées contradictoires permettra de désigner un vainqueur, que le combat est et ne peut qu'être intellectuel. Sur le papier, c'est convaincant. Dans les faits et dans l'histoire, la confrontation d'idées a parfois débouché sur des oppositions beaucoup plus directes et physiques.

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Car nos hommes politiques sont humains. Comme pour le reste de l'humanité, la puissance des mots ne leur suffit pas toujours pour exprimer l'ampleur de leurs désaccords ou de leurs inimitiés. Résultat, certains en viennent aux mains dans des affrontements qu'on peut diviser en deux catégories : les bagarres inopinées, imprévues et souvent catastrophiques en terme d'image pour les participants, et les bastons savamment programmées, mises en scène, et parfois même truquées pour donner prestige et stature aux combattants.

Dans un cas comme dans l'autre, pas besoin de remonter à la nuit des temps pour trouver trace de bagarres entre hommes politiques. Les élus n'hésitent pas à s'en mettre plein la tronche, et ce sur leur lieu de travail, à savoir, pour nombre d'entre eux, le Parlement. Dernièrement, les spécialistes en la matière sont ukrainiens, puisque la Douma, l'hémicycle situé à Kiev, a servi de ring à quatre reprises depuis 2010. Alors que la question de l'unité du pays se faisait déjà pressante à l'époque, le vote du maintien de la flotte russe en Crimée a provoqué une première bagarre générale. Principale victime du pugilat : le président de l'Assemblée, visé par des jets d'oeufs, obligé de se cacher derrière son parapluie.

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Le deuxième round se tient deux ans plus tard, toujours à la Douma, alors que les députés doivent voter un projet de loi sur l'instauration du russe comme deuxième langue officielle du pays. Rebelote en 2014, puis en 2016, dans deux bastons, toujours provoquées par des débats au sujet de la Russie. Les bagarres de députés ont d'ailleurs remporté un certain succès ces dernières années, puisqu'un site recensant les combats entre costumes cravates des différents parlements du monde a même vu le jour. On vous épargne donc la fastidieuse liste des derniers pugilats démocratiques planétaires, qui se sont tenus en Afrique du Sud, en Turquie, en République Démocratique du Congo ou encore en Géorgie.

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Si ces bastons générales sont fréquentes, le recours à la force physique en politique répond parfois à des logiques bien huilées de communication, ou de mise en scène de la virilité de tel ou tel candidat ou représentant de la nation. En France, Georges Clémenceau était un récidiviste en la matière, puisqu'il a pris part à douze duels au cours de sa carrière politique. Ces affrontements au pistolet, largement relayés par la presse de l'époque, ont contribué à construire l'image de force et de pugnacité du "Tigre".

En 1892, en plein scandale de Panama (une affaire politico-financière liée au financement des travaux de percée du canal par le Français Ferdinand de Lesseps, ndlr) Clémenceau est accusé de corruption par la droite boulangiste. Blanchi par la justice, le député du Var et futur président du Conseil tient à rétablir son honneur par lui-même en provoquant en duel Paul Déroulède, un fervent nationaliste qui était alors l'un de ses plus violents détracteurs. Les deux hommes se retrouvent pour leur duel en décembre 1892 à Saint-Ouen. Ils échangent six coups de feu, sans qu'aucun des deux ne touche l'autre, devant un public de 300 personnes déçues du résultat. Paul Déroulède aussi est un habitué, puisque douze ans plus tard, il ressortira son flingue face à une autre star de l'époque : Jean Jaurès, qu'il accuse de défendre une vision pervertie de l'histoire de France dans les colonnes de l'Humanité, notamment sur la vie de Jeanne d'Arc. Mais là encore, Pistol Paul fait un bide et les deux hommes s'en sortent sans dommages.

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Le dernier duel de politiques de ce niveau en France s'est tenu en 1967, lorsque Gaston Defferre, le maire historique de Marseille et futur ministre de l'Intérieur de Mitterrand, a défié, à l'épée cette fois-ci, René Ribière, alors député du Val d'Oise, dans un duel filmé.

Si Defferre et Ribière en sont arrivés là, c'est qu'ils s'étaient ouvertement chauffés lors d'une séance à l'Assemblée nationale où, lors d'un discours de Defferre, Ribière n'avait pas cessé de l'interrompre, jusqu'à ce que le socialiste lui dise : « Taisez-vous, abruti » et refuse de retirer l'insulte. A l'époque, l'affaire avait passionné la France, puisque le Général de Gaulle lui-même était intervenu pour tenter d'empêcher le combat, sans succès. Il s'était tenu en privé, à Neuilly-sur-Seine, sous l'arbitrage du député Jean de Lipkowski. Les règles prévoyaient un duel "au sang", c'est-à-dire un combat qui s'arrête à la moindre effusion d'hémoglobine. Après quatre minutes d'un combat très inégal, Gaston Defferre, excellent escrimeur, touche par deux fois René Ribière et remporte le duel. Ribière repart penaud, mais soulagé de s'en sortir sans trop de dommages. Il devait se marier le lendemain du combat.

Aujourd'hui encore, les politiques continuent de se mettre en scène dans des affrontements virils. Sans épée ni pistolet certes, mais avec le même sens du spectacle. L'un des exemples les plus parlants en la matière reste le combat de boxe opposant l'actuel Premier ministre canadien Justin Trudeau, alors député du Parti Libéral, à Patrick Brazeau, sénateur conservateur, en 2012.

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Les deux hommes ont accepté de combattre l'un contre l'autre à l'occasion d'un gala de bienfaisance censé permettre de financer la recherche contre le cancer. Brazeau, plus puissant et tonique, rentre dans le lard de son adversaire pendant la moitié du premier round. Puis, grâce à son allonge et sa technique, Justin Trudeau épuise son adversaire et l'emporte logiquement aux points. Logiquement, car son père, Pierre Trudeau, lui-même Premier ministre canadien dans les années 80, était un fan de boxe et avait initié son fils au Noble art. Trois ans plus tard, Justin Trudeau remporte les élections générales et est encore aujourd'hui le chef du gouvernement canadien.

La castagne est donc un outil de communication politique efficace, et Justin Trudeau n'est pas le seul à l'avoir compris. Si lui a pris des risques en s'exposant dans un combat contre un adversaire crédible, plusieurs politiciens américains, comme Mitt Romney ou Donald Trump, ont tourné les choses d'une toute autre façon. Ainsi, le mormon, alors candidat à la primaire républicaine, s'est offert une belle exposition médiatique en affrontant Evander Holyfield lors d'un match de charité en 2015.

Lui ne s'était pas encore découvert d'ambition présidentielle à l'époque, mais Donald Trump était monté sur le ring en 2007. Il avait choisi un sport à son image en participant à un combat de catch où on le voit se crêper la cravate avec un autre homme d'affaires et promoteur de combats de catch, Vince McMahon. Depuis des semaines, Vince se moquait de Trump et le descendait dans la presse. L'affaire s'est donc réglée lors de la merveilleuse "bataille des milliardaires" qui suit, en se terminant par la tonte en public de Mac Mahon par l'actuel président des Etats-Unis.

Une mise en scène soigneusement concertée qui enlève un peu de piment à ce clash à l'américaine. Fort heureusement, les Tchèques montrent un peu plus de sens du spectacle. Car oui, la baston politique la plus marquante et la plus magistralement menée nous vient de Prague. Elle se déroule en mai 2006, à 15 jours des élections législatives. A l'occasion d'un banal congrès de stomatologie, le leader de l'opposition de l'époque Miroslav Macek prend la parole en présence du ministre de la Santé, David Rath. Ce dernier, assis à ses côtés, avait déclaré dans la presse que Macek avait épousé sa femme pour profiter de la richesse de sa belle-famille, et Macek ne l'a pas digéré. Au micro, pourtant, il semble très calme, et demande au public de bien vouloir l'excuser car il a « quelque chose de personnel à terminer. » Il s'avance, et, sans un mot, met une beigne à Rath, qui se lève. Les deux hommes se chauffent ensuite et la scène tourne au pugilat devant une assistance médusée.

La preuve en image, que, comme le disait Hugo, « la vive force achève ce que l'idée a ébauché. »