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Sports

Un samedi après-midi de vrai football à Belgrade

J’ai découvert le Rekreativo 011, un club fondé par une bande de potes qui en avait ras-le-bol du football serbe, de ses vices et de ses dérives.

Avez-vous déjà rêvé de créer un club entre potes ? Probablement que oui, lors d'une soirée bien arrosée à la fin de laquelle vous vous étiez dits que si c'était vous qui gériez votre club de coeur, l'effectif serait plus talentueux, les maillots plus stylés et l'ambiance plus folle. Sauf que votre grand projet en est toujours resté au stade de la velléité éthylique alors qu'en Serbie, une bande d'amis du lycée est allée au bout du pari, et pas seulement sur Football Manager. Leur club, le Rekreativo 011, créé il y a 3 ans, joue actuellement tous les week-ends en ligue amateur de Belgrade, cinquième et dernier échelon du football serbe. Quoi de mieux donc que de passer un beau samedi après-midi de printemps en leur compagnie, en déplacement dans la banlieue de Belgrade ?

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Il y avait plusieurs jours que je souhaitais retrouver l'ambiance d'un terrain de foot. En voyage à petit budget dans les Balkans, et sans objectif fixe, nous étions arrivés moi et ma partenaire d'échappée en période footballistique creuse dans nos villes étapes, que ce soit à Salzbourg, Ljubljana ou Zagreb. Il faut dire que voyager en stop dans les Balkans impose en général de savoir prendre son temps. Bloqué la veille sur une aire d'autoroute croate à 100 kilomètres de la frontière et à 200 kilomètres de Belgrade, il a fallu commencer par attendre patiemment qu'un routier bulgare finisse sa pause obligatoire, dormir un peu dans une des Toyota qu'il transportait sur son plateau, pour finir par passer la frontière à 4 heures du matin, sous l'œil incrédule des douaniers serbes qui n'avaient pas dû voir deux jeunes Français passer par leur point de contrôle depuis plusieurs années, et finir par une arrivée à plusieurs kilomètres du centre de Belgrade au bout d'une ligne d'autobus, à 6 heures du matin.

Cette ville qui respire le foot nous a cependant offert immédiatement un petit cadeau de bienvenue : un fanion de l'OFK Belgrade abandonné à l'endroit même de notre arrivée. Contactés deux jours avant, les responsables du Rekreativo, que j'avais découvert par hasard sur Internet et dont la phrase "Against modern football" inscrite en gros sur la page d'accueil de leur site web, m'ont gentiment convié à un de leurs matches à l'extérieur.

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C'est donc après une bonne douche et deux heures de sommeil que je retrouve mes hôtes pour la journée, qui ont dépêché pour l'occasion la Volkswagen Polo présidentielle du club. A son bord l'équipe dirigeante, 25 ans de moyenne d'âge : Uroš, Boža et Sergio dit "Pelé". Ce dernier a d'ailleurs la voix cassée après des « années à chanter au sein des Grobari, les ultras du Partizan, mon occupation principale pendant pas mal d'années », plaisante-t-il. La conversation s'engage naturellement sur la création et la raison d'être de leur club. Tous potes de lycée et fous de football, que ce soit de l'Etoile Rouge ou du Partizan, ils se désolaient depuis plusieurs années de la tournure que prenait le football serbe et notamment le football de club. Corruption à tous les niveaux, violences incontrôlées, connivences avec les pouvoirs politiques et baisse générale du niveau du championnat les ont conduits à rêver d'un club qui tournerait avant tout autour de la passion du football, loin des préoccupations liées à l'argent roi.

Photo Footballski.

Les voici donc en 2013, novices en la matière, à essayer de dessiner les bases de ce qui sera leur club, en commençant par son nom. Admirant tous le football espagnol, ils hésitent alors entre Atlético et Rekreativo, avant d'opter pour ce dernier, agrémenté de 011, le code postal de Belgrade. Bien vite, cependant, les amis se trouvent confrontés à la réalité du football serbe, qui ne facilite pas la tâche pour des structures émergentes comme la leur. Un petit tournoi de futsal le premier hiver permet de réunir les premiers fonds et de superviser quelques joueurs. Il leur faut ensuite un an et demi pour trouver un terrain, déposer les statuts, instaurer des cotisations et être incorporé dans le championnat. Le rêve devient finalement réalité et en 2015 le club joue son premier match officiel, avec un groupe de 16 joueurs, oscillant plutôt entre 13 et 15 footballeurs pour la suite de la saison.

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Des souvenirs aujourd'hui teintés d'un brin de nostalgie après deux premières saisons finies à la 6e place. Cette année, le Rekreativo se trouve leader de son groupe, ce qui lui permettrait provisoirement de monter à l'échelon supérieur à la fin de l'actuel exercice. Mais pour le moment, le déplacement est plutôt champêtre, car il faut se rendre à Boljevci, une commune de Belgrade que les trois amis n'ont jamais visitée : « il n'y a aucune raison de venir ici, à part jouer au foot ! Tu dois être dans les 5 premiers Français à venir dans ce patelin ! », m'expliquent-ils, amusés par ma présence. Effectivement on sent que l'on est vraiment sorti de Belgrade. Preuve en sont les petits lotissements de maisons que nous traversons, passés du style classique en parpaings ou briques à un style typique de la région de Voïvodine, proche voisine de ce côté-là de la Save. Le tour vaut cependant le détour pour la découverte de Surčin, sorte de Neuilly-sur-Seine des Balkans : « C'est la commune la plus riche de Serbie, car elle est très connue et appréciée des criminels de tout genre qui aiment sa tranquillité ». Le terrain se rapproche, mais il manque un dernier élément pour rappeler à quel point le football peut verser dans l'irrationnel dans ce pays. Au détour d'une rue, planté au beau milieu d'une cour d'école de ce qui est désormais un village, se tient un des poteaux de but de la finale de C1 1991 remportée par l'Etoile Rouge. Un poteau en métal ramené on ne sait comment de Bari, en Italie, et planté là, fièrement, tel un totem, depuis 25 ans.

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Après une petite heure de trajet et un arrêt canette à l'épicerie locale nous voici donc devant le terrain qui a l'air étonnamment de bonne qualité. Un petit coin de campagne silencieux niché dans une des boucles de la Save, par une chaude journée d'avril. Les amis « des enfants du béton de Belgrade, plus habitués à jouer dans les bruits de la circulation qu'au milieu des champs » profitent également du décor. Le temps d'assister à une dizaine de minutes d'échauffement, il faut mettre en place les bâches qui arborent fièrement les couleurs du club. "Against modern football" s'étale sur un grand drap blanc, « La première bâche que l'on a faite, 5 minutes avant notre premier match, elle est vieille, mais on y est attaché », s'attendrit l'un des boss du Rekreativo. À côté de cela, le drapeau du club fait sur-mesure, et un Football=Love qui détonne avec le décorum affiché par l'équipe de du FK Posavac de Boljevci, en particulier ce drapeau mi-serbe mi-russe, qu'un des dix jeunes spectateurs fait voler énergiquement en ce début de match. « C'est plutôt habituel quand on arrive dans les campagnes. Généralement les gens n'ont même pas trop idée de la signification qu'il y a derrière ».

Photo Footballski.

Malgré la chaleur qui pèse en ce début du mois d'avril, les visiteurs ont décidé de faire plaisir à leurs dirigeants et à leur improbable spectateur étranger. Dès la 15e minute le numéro 11 envoie un patator des 30 mètres en pleine lucarne ! Superbe, pour celui qui était encore il y a peu, le président fondateur du club ! Le Rekreativo a largement la maîtrise technique et physique et double la mise sans forcer dix minutes plus tard sur un joli ballon en profondeur conclu d'un extérieur du droit. A peine le temps de discuter des projets du club sur le bord du terrain que le numéro 10, petit gabarit, et technique au-dessus de la moyenne, fait parler sa patte droite pour le but du 3-0 juste avant la mi-temps. Voir un joueur de sa qualité ici paraît un peu moins improbable quand on m'apprend qu'il a déjà joué en première ligue macédonienne.

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Photo Footballski.

La mi-temps donne enfin l'occasion d'approfondir un peu plus la raison d'être de ce club un peu particulier et notamment ce slogan "Against modern football" qu'ils affichent fièrement au bord du terrain. Abonnés pendant des années dans les virages des Delije ou des Grobari, respectivement l'Etoile Rouge et le Partizan, ces amis ont vu la déliquescence du football serbe, dévoré par la corruption et le pouvoir de l'argent dès les racines. Un membre du Rekreativo s'explique : « On sait tous comment ça fonctionne ici, la fédération ne redistribue rien de l'argent qu'elle prend. Les agents de joueurs sont omniprésents et font miroiter des sommes attractives aux parents de gamins qui n'ont parfois pas même 12 ans. Une fois que ces joueurs ont signé un contrat avec eux c'est fini, ils en font ce qu'ils veulent et le transfèrent à l'étranger dès qu'il a un peu de potentiel à 17/18 ans. Mais si vous ne voulez pas rentrer dans ce système, c'est pire, il vous faut payer pour jouer, pour que l'entraineur vous prenne ! Ce n'est pas le foot ça pour nous, les équipes que l'on aimait tant ne passent même plus les premiers tours de coupe d'Europe, mais elles ont surtout de moins en moins de valeur à nos yeux. »

En créant ce club, il a fallu donc repartir sur des bases saines et avant tout garder une mentalité de camaraderie. Mario le n°11 et ancien président est venu s'arrêter à nos côtés durant la pause : « La première chose que l'on a voulu mettre en place c'est que les joueurs payent leur cotisation à temps. Ça n'a l'air de rien, mais ça nous permet d'avoir des bases financières solides et de ne pas faire de favoritisme. Ici tout le monde a sa chance pour jouer, et c'est peut-être pour ça qu'on est leader jusqu'ici, on est une bande de potes qui s'amuse et qui boit des bières après le match tout simplement. » Pour appuyer cette volonté de retrouver le plaisir du jeu et du partage, différentes actions sociales sont également prévues comme des collectes pour la Croix Rouge. Si l'équipe monte en division supérieure, il leur faudra également créer une équipe de jeunes.

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En revanche, les incohérences de la fédération ne permettent pas de faire jouer d'étranger, comme un étudiant japonais qui en deux mois avait appris le serbo-croate et aurait pu être le leader technique de l'équipe, mais que la fédération ne permet pas de jouer pour une équipe amateur. « Pour le développement du football serbe », ironiquement Boža, qui est, lui, en charge de la sécurité (sic), un poste imposé par la fédération, pour des matches de niveau district…

Photo Footballski.

Malgré ces fantaisies, la bande de potes fait avec et rassemble des joueurs issus des tous les milieux, car si les fondateurs sont des amis de lycée et sont aujourd'hui économistes, hauts fonctionnaires ou étudiants en bac+5, on trouve aussi des ouvriers, des vendeurs, des chômeurs, tous déjà prêts à rentrer sur le terrain pour la deuxième mi-temps. Comme prévu les visiteurs dominent encore les débats, mais à partir de la 60e minute la chaleur a raison des deux équipes qui se contentent alors de jouer une attaque-défense qui ne profite à personne. Score final 3-0 et une première place consolidée, tout le monde peut avoir le sourire : « Tu as eu de la chance, une belle journée comme celle-là, 3 buts, un beau terrain, ça nous change des parties entre les immeubles où on n'entend que les voitures ! »

En repliant les bâches, "Pelé" me confie son écœurement face aux dérives du supporterisme en Serbie : « J'ai été des années membre des Grobari, et particulièrement de son groupe le plus actif Alcatraz, mais tout a changé maintenant, honnêtement on n'y trouve plus que des criminels, des dealers, une petite mafia qui a des liens très étroits avec la politique. La mort de Brice Taton a eu aussi un gros impact sur nous. Les politiques ont voulu s'en servir en dénonçant les groupes de supporters pour se redonner une image d'autorité et de respectabilité alors que depuis des années ils savent ce qui se passe dans ces tribunes. À partir de là on a commencé à se demander de quel côté on voulait être, maintenant je n'ai plus rien à aller faire là-bas. »

De quel côté sont-ils désormais ? Je vais rapidement le savoir quand Mario et les trois dirigeants s'avancent avec un cadeau chargé de symbolique, un exemplaire du premier maillot qu'ils se sont fabriqué, floqué du numéro 16, l'année où ils ont remporté leur premier trophée, la coupe de la municipalité de Belgrade, et signé par toute l'équipe. L'après-midi n'est cependant pas fini puisque le capitaine invite désormais toute l'équipe chez lui le temps de débriefer longuement le match autour de čevapi maison, bières fraiches et rakija, mais ça, c'est une autre histoire que la décence publique m'interdit de relater ici.

En débarquant à Belgrade, je cherchais simplement l'ambiance d'un terrain de foot, j'y ai trouvé l'accueil d'une bande de potes, liés par le simple plaisir de jouer ensemble un samedi après-midi. J'avais clairement trouvé plus que ce que je cherchais.

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