Débrouille et bons tuyaux : comment le Petit Poucet de la Ligue 2 a géré son mercato

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Débrouille et bons tuyaux : comment le Petit Poucet de la Ligue 2 a géré son mercato

Bourg-Péronnas s'est maintenu avec brio la saison dernière en Ligue 2. A l'attaque de ce nouvel exercice, le club au budget limité a dû se renforcer. En se creusant la tête.

Lundi 1er février 2016, alors que les dernières heures du mercato s'égrènent et que les transferts de dernière minute s'enchaînent, les dirigeants de Bourg-Péronnas peuvent enfin souffler. Le club vient d'officialiser la vente de son attaquant vedette Pape Sané à Caen contre quelques centaines de milliers d'euros assortis d'un intéressement à la revente. Le premier transfert de l'histoire du club. En prime, l'international sénégalais, déjà auteur de dix buts en championnat, restera en Bresse jusqu'à la fin de saison sous forme de prêt. Une transaction qui symbolise la montée en puissance d'un club pas tout à fait programmé pour monter si haut, si vite.

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Car si Bourg-en-Bresse est une ville sportive, elle compte traditionnellement sur les exploits de ses rugbymen ou de ses basketteurs pour faire parler d'elle : les premiers oscillent entre Fédérale 1 et Pro D2, les seconds entre Pro A et Pro B. Toutefois, à l'issue de l'exercice 2014-2015, les footeux locaux de Bourg-Péronnas se sont offerts une entrée remarquée dans le paysage du sport professionnel bressan, accédant pour la première fois de leur histoire au deuxième échelon national, la Ligue 2. L'année qui suit, alors que les observateurs lui prédisent une saison galère - France Football les pronostique derniers avec zéro victoire -, le club de l'Ain, rebaptisé Football Bourg-en-Bresse Péronnas 01 (FBBP 01) pour satisfaire les financeurs, obtient une jolie onzième place en championnat. Cerise sur le gâteau, les Bleus atteignent les 8es de finale des deux coupes en s'offrant le scalp de deux pensionnaires de Ligue 1 (Nantes en Coupe de la Ligue, Rennes en Coupe de France). La France du foot découvre alors une équipe séduisante, dont les carences défensives (avant dernière défense de L2 avec 59 buts encaissés) sont compensées par une attaque prolifique (47 buts, 6e attaque).

A l'issue de cet exercice réussi, outre Sané, plusieurs joueurs cadres en fin de contrat se sont envolés cet été vers des cieux plus prestigieux, ou plus rémunérateurs (Dembelé à Niort, Traoré à Auxerre, Alphonse et Ogier à Sochaux…). Qu'à cela ne tienne, la dynamique du club est excellente et les dirigeants font confiance au nez particulièrement creux de leur coach, sorti de nulle part pour faire passer l'équipe du CFA2 à la L2 en sept saisons. Alors qu'il tenait encore les rênes de l'entreprise de peinture familiale il y a deux ans, Hervé Della Maggiore côtoie désormais l'adjoint de Zidane (David Bettoni) et Mickaël Landreau dans le cadre du diplôme d'entraîneur professionnel de football (DEPF) qu'ils préparent ensemble. Cette charge de travail supplémentaire couplée aux exigences du professionnalisme oblige cependant l'homme à tout faire du FBBP à déléguer quelques-unes de ses compétences. Ainsi, une véritable cellule de recrutement se met en place autour du technicien, et un centre de formation devrait voir le jour d'ici l'été prochain, si le maintien est acquis.

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Après avoir vendu l'entreprise de peinture familiale, Hervé Della Maggiore se forme en vue de passer le diplôme d'entraîneur professionnel. Son parcours détonne dans une promo où il côtoie Bettoni (l'adjoint de Zidane) et Landreau.

« Depuis plusieurs années, Hervé [Della Maggiore] et le club bâtissent leurs succès à partir de la qualité du recrutement, relate Vincent Poupon, intronisé manager général du club en mars dernier après quelques années de collaboration ponctuelle. Jusqu'ici, ce département était orchestré en quasi totalité par l'entraîneur. Mais sur le marché des transferts, les sollicitations sont exponentielles entre National et Ligue 2. La structuration de ce secteur constitue donc une étape indispensable dans le développement du club. »

Bien sûr, le coach reste la clé de voûte de l'édifice. Mais outre l'arrivée de Vincent Poupon, en charge des négociations contractuelles, les prérogatives de l'entraîneur adjoint Freddy Morel ont été élargies. Il vient de se voir confier l'utilisation du logiciel de suivi/recrutement Instat, joujou sophistiqué acquis pour près de 15 000 € « en ayant bien négocié ». Il explique : « La base de données est immense. On peut trouver des joueurs dans un nombre incalculable de championnats en tapant directement leur nom, ou en recherchant un profil à partir de statistiques. Cet outil permet également de réaliser un suivi des performances des joueurs du club. » Pour chaque match, chaque touche de balle de chaque joueur est séquencée, archivée et mise à disposition en vidéo. Une mine d'information nécessaire pour tout club pro, qui plaît forcément à ce fan de Football Manager. « Dans la version la plus complète, on peut connaître toutes les combinaisons de coups de pieds arrêtés, qui les tire… ça peut aussi être vicieux, nuance-t-il. A ce niveau, tout le monde dispose de ce type de logiciel. Après, nous étions les seuls à ne pas en être équipés l'an dernier et cela ne nous a pas empêché de faire une bonne saison. »

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L'entraîneur adjoint Freddy Morel, ravi de pouvoir compter sur son nouveau joujou, le logiciel Instat.

Freddy Morel a également pour mission de coordonner l'activité des deux « scouts » du club. L'un collabore également avec un club de L1 et fournit des rapports sur les joueurs observés à l'échelle nationale. Le second est l'ex-capitaine Yannick Goyon, fraîchement retraité, qui partagera son temps entre suivi des joueurs de « la grande région Rhône-Alpes, jusqu'à la Suisse » et entraînement des jeunes. Il participera ainsi au projet d'asseoir l'identité du club en attirant un maximum de talents locaux.

Face aux contraintes économiques qui pèsent sur le FBBP – plus petit budget de L2 l'an dernier avec 5 millions d'euros, 18e avec 6,5 millions cette année -, le club ne change pas une politique qui fonctionne en piochant parmi les joueurs libres aux échelons inférieurs. Ainsi, plusieurs valeurs sûres de National ont rallié la Bresse cet été, comme Sébastien Chéré (29 ans, Colmar), Antoine Ponroy (30 ans, Orléans), Wilfried Louisy-Daniel et Guillaume Heinry (30 et 26 ans, Chambly) ou Thomas Gamiette (30 ans, rétrogradé de L2 avec le Paris FC). Issus du même championnat, les jeunes latéraux Quentin Martin (20 ans, Béziers) et Ange Digbeu (24 ans, Fréjus-Saint-Raphaël) ont également signé au FBBP. En parallèle, les tauliers Clévid Dikamona (Dag & Red, D4 anglaise) et Bruce Abdoulaye (Grenoble, CFA) ont été engagés pour solidifier l'arrière garde. Le premier, mis à l'essai une première fois trois ans plus tôt, n'avait pas convaincu l'entraineur. Toujours suivi, il a finalement été pris cette année après visionnage de ses prestations en League Two : « Au départ, Clévid manquait de rigueur. Son passage en Angleterre l'a beaucoup fait progresser, notamment dans la relance ». Par ailleurs, les « Olympiens » Fabri (22 ans, OM) et Del Castillo (20 ans, OL) sont arrivés en prêt – le premier pour la deuxième saison consécutive.

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Mis à l'essai une première fois sans succès il y a trois ans, Clévid Dikamona a gagné en rigueur avec son passage en Angleterre selon son coach. Crédit : Julien Veyre

Enfin, le staff burgien s'est offert deux jolis coups. Le premier en signant définitivement l'attaquant de poche Julien Bègue, prêté l'an dernier, après résiliation de son contrat avec Guingamp. Le second en engageant le très prometteur milieu offensif Kevin Hoggas (Evian) au nez et à la barbe de clubs autrement plus prestigieux (Lens, Ajaccio, Troyes, Le Havre, voire quelques écuries de L1). Les efforts des actionnaires (passage de la masse salariale d'1,2 à 2 millions d'euros), l'image positive de l'équipe et la persuasion du coach ont su faire la différence. « Au vu de la concurrence, j'étais le premier à douter de notre capacité à recruter ce gamin, rappelle HDM. Je l'ai appelé trois fois en personne pour lui présenter nos arguments. Finalement, c'est super valorisant qu'il ait opté pour notre club, et je trouve son choix très cohérent : il sait qu'il aura sa chance, adhère à notre philosophie joueuse et reste dans un contexte qu'il connaît bien [l'Ain et la Haute-Savoie sont frontaliers]. »

Si divers soient les profils des joueurs recrutés par le FBBP, deux caractéristiques reviennent souvent : l'intelligence et la polyvalence. Deux éléments liés selon le coach : « Un joueur polyvalent va disposer d'une intelligence tactique supérieure qui peut compenser ses lacunes techniques ou physiques s'il en a ». Il cite l'exemple de Guillaume Heinry, formé arrière central/latéral à Rennes avant de devenir milieu récupérateur, puis dix, attaquant de pointe, voire ailier dans ses clubs successifs. Un Mathieu Bodmer inversé. « Pas besoin de l'observer deux heures, tu vois tout de suite à sa manière de se déplacer que c'est un joueur intelligent. Dans le replacement, ça te pète aux yeux. »

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Formé défenseur central, Guillaume Heinry évolue désormais n°10 ou attaquant. Crédit : Julien Veyre

Autre aspect important dans la construction de l'effectif : l'entretien de relations de confiance. Le cas de Pape Sané l'a illustré par le passé (il a accepté de signer sachant qu'il aurait un bon de sortie l'année suivante), celui de Sébastien Chéré cet été confirme cette volonté. En effet, Della Maggiore suit le petit milieu depuis plusieurs années et avait tenté une première offensive lors du dernier mercato hivernal. A la peine dans la course au maintien, Colmar s'oppose fermement au départ de son capitaine en cours de saison. L'entraîneur des Bleus promet alors au joueur de revenir vers lui à l'été. Coup dur, le joueur se rompt les croisés le 25 mars face à Boulogne. Six mois d'indisponibilité et un avenir à écrire en pointillé. Touché, HDM s'interroge - « Nous avons pour habitude d'honorer nos promesses, mais il ne faudrait pas mette le club en péril en engageant un joueur inapte » - mais décide finalement de signer le Spinalien d'origine : « Il rendra service à son retour ». A coup sûr, Chéré aura des envies de renvoi d'ascenseur.

S'il se montre attentif à l'état d'esprit de ses troupes, Della Maggiore l'alchimiste veille également à recruter des joueurs au caractère bien trempé, à l'image de son inamovible n°6 Jimmy Nirlo, également passé par le Stade Rennais. « Si tu ne prends que des Oui-Oui, tu ne vas pas loin ! »

Cet appétit de joueurs confirmés s'accompagne d'un léger désagrément. Avec 26,6 ans de moyenne d'âge, Bourg-en-Bresse figure sur le podium des effectifs les plus âgés de L2. Pour franchir un palier supplémentaire, le club devra régulièrement réitérer de jolies ventes… et aussi fiables soient-ils, les trentenaires se monnaient très peu sur le marché des transferts. Vincent Poupon justifie l'orientation prise par le club : « La priorité est de se stabiliser en Ligue 2 et notre recrutement va dans ce sens. Ca nous fera une belle jambe d'avoir un effectif rempli de jeunes à potentiel si nous descendons ! »

Venu de Jura Sud, Vincent Poupon a intégré à temps plein l'organigramme du club au poste de manager général. Il s'occupe notamment de négocier les contrats en respectant la fourchette salariale indiquée par le coach.

Toutefois, un progrès de taille a été effectué lors de ce mercato avec la généralisation des contrats pluriannuels (conditionnés au maintien la plupart du temps). « C'est frustrant de former un joueur sans en toucher les bénéfices, comme ça a été le cas pour Julio Tavares il y a quelques années. Je l'ai repéré en district alors que j'entraînais Luenaz et qu'il évoluait à Montréal-la-Cluse, se souvient l'entraîneur bressan. Aujourd'hui, il est en L1 avec Dijon [il vient d'inscrire son premier but dans l'élite samedi 27 août face à l'OL]. De la même manière, cet été, des joueurs comme Dembelé ou Traoré auraient pu être vendus si nous avions été en mesure de leur proposer un contrat de deux ans… » Le nouveau manager acquiesce, précisant qu'« au moment de la montée, le club ne savait pas où il allait, d'où la volonté de ne prendre aucun risque ».

Dans un club où le sportif est allé plus vite que tout le reste, la mission des co-présidents – Gilles Garnier, à la tête du club depuis 2006, partage depuis cet été son siège avec Patrick Martelucci - est désormais de mettre toute la structure à niveau. Si le club se maintient, le budget devrait passer à 8 millions d'euros la saison prochaine, se rapprochant ainsi de la moyenne basse en L2. La cellule de recrutement est appelée à poursuivre sa mue afin de décharger Freddy Morel de certaines tâches.

Cette année, un premier élément de reconnaissance est arrivé pour les dirigeants : le partenariat avec l'OL, officialisé le 19 mars dernier. « La convention signée avec Lyon vient légitimer notre travail, se satisfait Vincent Poupon. Outre le prêt de bons jeunes joueurs comme Del Castillo cette année, elle va nous permettre de nous inspirer de ce qui se fait là-bas au moment de bâtir notre centre de formation. Cette étape importante pour le club débutera au 1er juillet 2017, si tout va bien… » Après cinq journées, le FBBP est lanterne rouge (2 nuls, 3 défaites). Mais gageons que le sérieux, le talent et l'insolente réussite d'HDM et ses ouailles leur permettront de rapidement remettre la machine en route.