FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Rétro : Comment Pierre Garonnaire et l'AS Saint-Etienne ont inventé le métier de recruteur

Dès les années 1950, le directeur sportif des Verts a mis au point le recrutement tel qu'on le connaît aujourd'hui.

Sur le terrain du Hampden Park en ce soir de mai 1976 à Glasgow, il y a bien sûr les poteaux carrés. Il y a le Bayern Munich. Mais il y a aussi onze Verts en face. Leur présence, ensemble, sur le terrain ce soir-là, les Stéphanois la doivent à un homme, qui est venu les chercher un à un pour les faire signer à Saint-Etienne.

De Curkovic à Rocheteau, en passant par Piazza ou les frères Revelli, les onze Stéphanois de la fameuse finale de Glasgow ont tous été recrutés par le directeur sportif de l'époque, Pierre Garonnaire.

Publicité

Ivan Curkovic, il est allé le chercher en 1972 au Partizan Belgrade. Fin spécialiste du football yougoslave, il avait déjà recruté le défenseur Valdimir Durkovic quelques années auparavant. Garonnaire ramène Piazza d'un voyage à Buenos Aires, après l'avoir trouvé dans un petit club de banlieue grâce à un fixeur originaire de Saint-Etienne. Piazza était ailier droit en Argentine, il deviendra une référence en Europe dans les années 1970 au poste de défenseur central. Sur le chemin du retour de Buenos Aires, il récupère Gérard Janvion en Martinique. Jean-Michel Larqué, il le repère à Colombes, lors d'un concours de juniors. Rocheteau, il va le chercher à La Rochelle, après, là aussi, un concours de jeunes footballeurs. Rocheteau se classe onzième, Garonnaire note simplement dans son carnet : « Dribble exceptionnel ». Il deviendra l'attaquant vedette de l'équipe de France dans les années 1980.

Bref, toute une équipe minutieusement assemblée par un homme de l'ombre, et entraînée par Robert Herbin, lui aussi une trouvaille de Pierre Garonnaire du côté de Nice, une quinzaine d'années auparavant. Car Garonnaire a commencé ce travail, avec la rigueur qui le caractérisait, en 1952.

Après une honnête carrière de joueur au poste d'arrière droit, dur sur l'homme (à Saint-Etienne déjà), Pierre Garonnaire se reconvertit dans la maroquinerie à la fin des années 1940. Il tient une boutique dans le centre-ville de la préfecture de la Loire jusqu'en 1950. C'est à ce moment-là qu'il revient dans son club de toujours, l'ASSE. Son grand ami Jean Snella, avec qui il a joué, est de retour pour entraîner l'équipe première. Il demande à Pierre Garonnaire de commencer à recruter des jeunes pour le centre de formation. Les deux viennent d'inventer le métier de recruteur. Ce moment-là, Pierre Garonnaire s'en souvenait en ces termes dans un portrait fait par Libération en 1995 : « En 1949, Jean Snella m'a dit : dans le foot, il y a quelque chose qui ne va pas, les clubs courent après les joueurs, on les achète de façon anarchique. Il faudrait faire un truc différent ici. »

Publicité

Ce truc différent, c'est un travail d'orfèvre en termes d'observation et de recrutement. A cette époque, seuls les jeunes de la région viennent jouer pour Saint-Etienne. Pierre Garonnaire commence à se créer un réseau d'observateurs à travers la France (des amis du milieu, des anciens coéquipiers…), à sillonner le pays à la recherche des futurs talents, à aller observer les stages de Georges Boulogne, qui entraîne alors les équipes de France de jeunes. Toujours dans Libération, Garonaire se souvenait : « Les joueurs devaient trouver bizarre et inhabituel cet espion qui assistait aux entraînements. En plus, Georges Boulogne m'impressionnait énormément. C'était quelqu'un de très distant. Un jour, il s'est approché de moi et m'a dit: "Pourquoi voudriez-vous que je vous ignore, alors que vous êtes la seule personne qui s'intéresse à ce que je fais ?" »

A lire aussi : Rétro : Miki Dora, escroc notoire et surfeur d'exception

Alors qu'aujourd'hui, les recruteurs pullulent autour des mains courantes de chaque compétition de juniors, Pierre Garonnaire est à l'époque le premier à essayer de repérer des jeunes prometteurs à travers la France. C'est comme ça qu'il récupère Robert Herbin en 1957 ou Claude Abbes en 1952, futur gardien de l'équipe de France et héros de la Coupe du monde 1958. Sur ce métier de recruteur, il dira en 1978 : « Je bénéficie en France de la présence de 5 ou 6 très bons indicateurs. (…) Je suis averti si un excellent joueur pointe l'oreille dans l'un des coins de France. (…) Si je le choisis c'est qu'il possède déjà du talent. Ce qui importe en dehors de cet aspect, c'est qu'il soit intelligent, qu'il ait été élevé dans un environnement favorable au football où l'on exige effort et discipline. » Son but : convaincre les parents, les agents n'existant évidemment pas à l'époque. Son critère principal était de recruter des jeunes bien éduqués. « Il ne fallait pas oublier que l'identité du club était à la base ouvrier, métallurgique, explique Philippe Gastal. Il fallait des hommes sérieux, qui n'étaient pas là pour amuser la galerie. »

Publicité

Mais ce n'est pas tout : Garonnaire est aussi chargé de recruter des joueurs plus confirmés. C'est comme cela qu'il prospecte dans sa filière yougoslave ou qu'il active ses réseaux sud-américains. Le premier « recruteur globe-trotter » comme l'appelle Philippe Gastal.

En 1967, le club lui fait signer son premier contrat. Garonnaire effectuait ainsi son travail de manière bénévole depuis une quinzaine d'années. En tant que directeur sportif, il s'occupe de tout, toujours rigoureusement : il réserve les hôtels quand le club part en déplacement, part observer les futurs adversaires et met même en place les premières séances vidéos. Avec Herbin, l'entente est parfaite. 1976 aurait dû venir couronner quinze ans de construction d'un club français à l'ambition européenne grâce à la présence du président à la pipe Roger Rocher, du chef d'orchestre de l'ombre Pierre Garonnaire, et des entraîneurs Jean Snella, Albert Batteux et Robert Herbin. Finalement, la belle machine verte viendra s'écraser contre les poteaux carrés de Glasgow.

Il restera tout de même les dix titres remportés entre 1957 et 1981, tous conquis quand Garonnaire était au club. Le directeur sportif quittera l'ASSE, comme beaucoup d'historiques de l'époque, en 1982, après la fameuse affaire de la caisse noire.

Le 1er avril de cette année-là, le président historique Roger Rocher est accusé d'avoir orchestré le détournement de 20 millions de francs par le biais d'une double billetterie, de notes de frais fallacieuses, de marges sur les transferts… Le tout, dans le but de conserver les meilleurs joueurs stéphanois.

Publicité

Garonnaire et Herbin s'opposent à leur président. Rocher, lui, rejette la faute sur son directeur sportif. Il l'accuse directement d'être à l'origine des révélations. Selon lui, Garonnaire s'est vengé car il voulait le remplacer par Ivan Curkovic. Dans un reportage de Téléfoot, on entend ainsi Roger Rocher dire : « Je n'accuse pas Robert Herbin, je ne peux pas cracher dans la soupe. C'est le meilleur entraîneur qui existe en France. Depuis deux ans, les choses se sont dégradées, et l'homme que je rends responsable de cette dégradation, c'est Pierre Garonnaire. »

En vérité, le divorce entre le trio a commencé quelques années avant. En 1979, Roger Rocher décide du recrutement de Michel Platini et Johnny Rep, des stars confirmées. Il prétexte d'un trou d'air dans la formation en 1977-78. Garonnaire et Herbin voient cela d'un mauvais œil. Si Garonnaire, à cause de son rôle de directeur sportif, est obligé de participer aux négociations pour la signature des deux joueurs, il regrette, comme son entraîneur, le recrutement de ces deux vedettes alors que l'ASSE a toujours privilégié les jeunes joueurs et la formation. Deux clans commencent alors à a se former avec Rocher d'un côté, et Herbin et Garonnaire de l'autre. Jusqu'à ce que le scandale n'éclate. « Tant que ce trio marchait à plein régime et tirait dans le même sens, l'ASSE était en pleine réussite », raconte Philippe Gastal.

Le club ne se remettra jamais totalement de cette affaire qui voit Roger Rocher être condamné en 1991 à 18 mois de prison dont quatre fermes et 800 000 francs d'amende. Il effectuera ses quatre mois de prison puis sera gracié par François Mitterrand.

Le club, pendant ce temps-là, est descendu en deuxième division en 1983-84 après le départ de ses meilleurs éléments. Garonnaire, lui, reviendra assurer un rôle de recruteur de luxe chez les Verts, de manière épisodique à la fin des années 1980, avant de se consacrer au métier d'agent de joueurs, à plus de 70 ans (il sera notamment l'agent de Fabien Barthez lors de son premier passage à l'OM). Comme il fut l'un des premiers recruteurs au monde, il sera aussi l'un des premiers à comprendre le futur rôle incontournable des agents.

Il décédera le 8 juillet 1998 à 82 ans, quatre jours avant la finale de la Coupe du monde. « Il aura traversé 40 ans de l'histoire des Verts, raconte Philippe Gastal. Qui ne se rappelle pas de Pierre Garonnaire à Saint-Etienne ? Visionnaire, perspicace, il a profondément marqué l'histoire du club. Mais sa plus grande fierté, ça restera d'avoir été à l'origine du recrutement de tous les joueurs présents sur la pelouse de Glasgow, le 12 mai 1976. »