Scientifiquement, comment peut-on mourir de peur ?
Photo: Malcolm Lidbury/Wikimedia Commons

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Scientifiquement, comment peut-on mourir de peur ?

La mort psychogénique est un phénomène rare, mais bien réel.
Rachel Pick
New York, US

En 1977, dans une bourgade paisible de la banlieue de Washington, une famille était en train de regarder la télé quand l'aile d'un avion s'est écrasée sur leur maison. Dennis Clarke, sa femme et leurs quatre enfants parvinrent à s'en tirer sans la moindre blessure, mais leur maison fut totalement détruite. En revanche, tous les passagers de l'avion périrent dans l'accident, et ils ne furent pas les seuls : la dame qui vivait en face de chez les Clarke fut retrouvée morte sur le perron de sa maison. Elle avait été témoin du crash, et avait vu le kérosène en flammes lui foncer dessus comme une rivière de feu. Celui-ci ne l'a finalement jamais atteinte, mais elle est tout de même tombée raide morte. « Si quelqu'un est déjà littéralement mort de peur, c'est bien elle », m'a avoué Clarke.

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La mort de peur est un phénomène qui a d'abord été observé par des anthropologues dans des sociétés où les tabous ont beaucoup de poids et où les gens croient aux sortilèges et aux malédictions. Les individus qui avaient été maudits où qui avaient brisé un tabou en tiraient une telle angoisse qu'ils finissaient par en mourir. Quand le physiologiste Walter Cannon a attiré l'attention de la communauté médicale sur ce sujet, il baptisé le phénomène « mort vaudou » - un terme qui est resté depuis. « C'est la puissance terrible de l'imagination, qui engendre une terreur absolue », écrivait Cannon.

Évidemment, la cause réelle de la mort « vaudou » (ou mort psychogénique, le terme que j'emploierai personnellement) est un peu plus scientifique que ça. Pour me faire expliquer tout cela par un expert, j'ai appelé Gregory Davis, médecin légiste depuis 22 ans dans l'Alabama.

En réalité, le coupable est une hormone que nous connaissons bien : l'adrénaline. « L'adrénaline joue un rôle-clé dans le corps lorsque nous nous trouvons dans une situation représentant un danger et qu'il faut choisir entre la fuite et l'affrontement, m'explique Davis. Elle est censée nous faire réagir plus vite, évidemment, mais parfois – c'est assez rare, mais parfois elle fait des dégâts sur les cellules des muscles du cœur. » Et cela, poursuit Davis, peut entraîner des troubles du rythme cardiaque et donc la mort.

Une championne de bridge assez âgée avait hérité d'une main statistiquement incroyable, du genre de celles qu'on ne voit qu'une fois dans sa vie, et elle était morte d'excitation avant même d'avoir pu jouer

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En gros : quand vous vous trouvez dans une situation de crise, votre système nerveux sympathique libère de grandes quantités d'adrénaline dans votre corps, et il arrive parfois que ce réflexe hérité de milliers d'années d'évolution ait des conséquences tragiques. Mais la plupart du temps, cela nous sauve du danger, comme quand les Clarke ont réalisé que leur maison était en train de s'effondrer. Dans ce cas précis, la famille a survécu parce que leur instinct les a sauvés.

Quand je l'ai eu au téléphone, Dennis Clarke m'a raconté que la vapeur de kérosène qui s'était échappée de l'avion avait fait naître de petites flammes qu'il a vues danser dans son salon. « Le premier truc que je me suis dit, c'est "Wow, c'est vraiment beau". Puis rapidement, je me suis dit "Attends, c'est pas bon". Alors je me suis sauvé immédiatement. » Les Clarke ont traversé leur dressing pour passer dans le garage, mais le crash avait coupé l'électricité et la porte du garage refusait de s'ouvrir. « J'ai donné un grand coup dedans, et elle a fini par s'ouvrir », raconte Dennis. L'adrénaline l'a poussé à agir sans trop réfléchir, et a ainsi contribué à sauver la famille.

Les chercheurs ont remarqué que la mort psychogénique survenait surtout quand ni la fuite, ni l'affrontement n'étaient des options crédibles – elle est souvent associée au sentiment d'être piégé, que ce soit par des circonstances tangibles et physiques ou par une forme de conviction mentale inébranlable. Historiquement, les prisonniers de guerre y sont souvent sujets. Davis m'a aussi raconté l'histoire d'un cambrioleur qui avait été retrouvé caché dans un placard, et qui était tombé raide mort avant même que les officiers de police ne l'aient touché. « Il était de toute évidence terrifié à l'idée de se faire attraper, et quand c'est finalement arrivé, c'était trop pour lui. » Le cambrioleur était coincé, et son cœur a court-circuité.

La peur n'est pas la seule émotion capable d'entraîner la mort psychogénique, même si c'est certainement la plus commune. « Ça peut être n'importe quelle émotion forte », m'a expliqué Davis. Ça m'a rappelé quelque chose, à savoir une histoire sur laquelle j'étais tombée quelques mois plus tôt : une championne de bridge assez âgée avait hérité d'une main statistiquement incroyable, du genre de celles qu'on ne voit qu'une fois dans sa vie, et elle était morte d'excitation avant même d'avoir pu jouer. Même son fils, en plein deuil, avait déclaré qu'il était heureux qu'elle soit morte ainsi, et ses amis avaient estimé qu'elle avait connu « la mort parfaite pour une joueuse de bridge. » La mort psychogénique n'est donc pas seulement une affaire de terreur, mais plutôt la conséquence d'un trop-plein d'émotions.

Le Dr. Martin Samuels, plus grand expert vivant de la mort psychogénique, recense toutes ces histoires de morts étranges. Comme il le racontait à Scientific American en 2009 : « Il y a des gens qui sont morts pendant un rapport sexuel, ou en pleine passion religieuse. Il y a l'histoire fabuleuse d'un golfeur qui a réussi un trou en un, s'est tourné vers son partenaire et lui a dit : "Je peux mourir maintenant". Et il est mort une seconde après. Une étude menée en Allemagne a montré qu'il y avait une forte hausse du nombre de morts par crise cardiaque les jours où l'équipe de foot d'Allemagne joue pendant la Coupe du monde. »

Pas la peine toutefois de trop vous inquiéter : les cas de mort psychogénique sont extrêmement rares. En plus de 20 ans de carrière comme médecin légiste, Davis affirme n'avoir eu affaire qu'à un seul cas où il a conclu que la peur était la cause du décès, et il ne pense pas retomber sur un tel cas avant la fin de sa carrière (malheureusement, il n'a pas pu donner de détails sur le cas en question, puisque celui-ci va faire l'objet d'un procès).

Ne commencez pas non plus à éviter les films d'horreur de peur d'y laisser votre peau. Dans une interview donnée à NPR, Samuels souligne que « ce dont les gens pensent être effrayés n'a en réalité aucun lien avec la réaction réelle du système nerveux… À vrai dire, il n'y a pas vraiment de lien entre ce dont les gens disent avoir peur, et ce qui les terrifie vraiment et détraque leur système nerveux. » En général, ce sont plutôt des choses auxquelles vous ne vous attendez pas du tout. Comme voir un avion s'écraser sur la maison de votre voisin.