​Vitor Baptista est le plus grand gâchis du football portugais

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Joueur maudit

​Vitor Baptista est le plus grand gâchis du football portugais

Dans la mémoire collective, il ne fait pas partie des grands joueurs. Pourtant, on le surnommait « le plus grand » dans les années 70, à la même époque qu'un certain Eusebio.

Nous sommes en 2031. Zlatan Ibrahimovic a 46 ans. Il ne lui reste plus que quatre ans à vivre et presque autant de dents. Ces quatre ans, il va les passer dans un taudis, en colocation avec quelques toxicos locaux. Méconnaissable, ruiné, et gravement malade il est désormais balayeur dans un cimetière en attendant la grande faucheuse. Impossible ? C'est pourtant ce qui est arrivé au grand et beau Vitor Baptista. Le Zlatan portugais des seventies.

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« C'était un joueur génial : irrévérencieux, puissant physiquement et doué techniquement. Il avait tout pour être un extraordinaire attaquant de niveau mondial, atteste Artur José Pereira, historien du football portugais. Sur plusieurs points, il ressemblait à Zlatan, même au niveau technique il était à peu près au même niveau. Mais cependant, Vitor montrait une grande inconstance émotionnelle. C'est ce qui a fait qu'il n'a pas pu se maintenir au plus haut niveau national et devenir un joueur de trempe internationale. Malgré tout , avec cette qualité indiscutable d'un côté, et cette irrévérence de l'autre, Vitor Baptista est devenu un personnage marquant du football portugais. »

Le plus grand, ou presque

Dictature salazariste oblige, celui que l'on nommait O Maior (« Le plus grand » en VF) est né en 1948 dans la misère. Dans une petite baraque de Setúbal faite de tôle et de bois, où l'on ne compte que deux petites pièces, Vitor grandit avec ses deux frères et ses parents. Pour passer le temps, il taquine le ballon dans la rue avec ses amis et vole des fruits pour faire passer un peu la faim. « Mais on ne se faisait jamais attraper », claironnait encore fièrement Pedro Romeu, son ami d'enfance, au journal Expresso.

A 13 ans, il commence à travailler dans une épicerie et n'ose pas encore s'imaginer footballeur pro. Ce n'est que deux ans plus tard, dans un tournoi de futsal que le rêve prend forme. Second meilleur buteur du tournoi, il se fait repérer par le grand club local, le Vitoria de Setúbal. « Il était très vaniteux mais il était bon ! Depuis tout petit il était au-dessus du lot! Il avait une grosse frappe des deux pieds, un très bon jeu de tête, et il dégageait une telle puissance dans la surface de réparation… », confirme Pedro Romeu. Une fois passé pro, il gagne la coupe du Portugal en 1967 et un aller simple pour le grand Benfica en 1971. Celui d'Eusebio. Le club lisboète débourse alors 3 000 contos (environ 15 000 euros) plus trois joueurs pour le signer. Soit le plus gros transfert de l'époque.

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Une source intarissable de mythes

Avec Vitor Baptista, chemise ouverte et chaînes en or qui brillent sont de rigueur quotidiennement. Une hérésie à l'époque de l'austère « Estado Novo ». Bien que la dictature de Salazar touche presque à sa fin, une telle extravagance est alors très mal perçue : « A cette époque, un certain libéralisme social commençait à s'installer. Même si son n'était pas conseillé, il n'était pas censuré non plus. Cependant, dans un pays rétrograde, profondément lié à ses vieilles traditions, gouverné par un régime catholique et obsolète, le style de Vitor Baptista était scandaleux et excentrique, inacceptable d'un point de vue social », précise Artur.

Mais la star des seventies se fiche pas mal des conventions : « Même pour la présentation de l'équipe il apparaissait comme ça. Naturellement beau, mais avec un style complètement hors du temps. Ce n'était pas normal à l'époque, mais il n'avait aucun complexe », se rappelle Valentim Loureiro, ex-président du Boavista FC. De toute façon, le garçon enfile les buts avec le club de la capitale (64 en 150 matches) et ses excentricités lui sont alors facilement pardonnées. Comme ce 12 février 1978, jour de derby contre le grand rival du Sporting, où il fait arrêter le match pour retrouver sa boucle d'oreille en diamant qu'il a perdu sur le terrain en fêtant son but. En vain. Il gagnera juste un nouveau surnom « le garçon à la boucle d'oreille ».

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Le personnage fascine et bien d'autres anecdotes, à la véracité parfois douteuse, se transmettront de génération en génération. On parle souvent d'un match où Vitor avait marqué un doublé au bout d'une demie heure de jeu et était rentré direct au vestiaire juste après le second but. Stupéfaits, les journalistes lui ont de suite demandé pourquoi. Vitor a simplement répondu : « Le plus grand a déjà gagné le match et rentre chez lui maintenant ». Même Zlatan n'oserait pas.

Paraît-il aussi que le grand Vitor a refusé de jouer contre une équipe russe car il trouvait que les joueurs avaient l'air d'amateurs et que lui ne jouait que contre des pros. Ou encore qu'il a abandonné un entraînement de la sélection nationale quand il a su qu'ils allaient s'entraîner dans un jardin et que lui ne s'entraînait que sur de vrais terrains…

Le côté rebelle du joueur alimente les fantasmes au fil des ans, difficile donc de différencier le vrai du faux, même pour notre historien : « Mon père, qui l'a vu jouer plein de fois, m'a raconté aussi que Vitor Baptista venait aux entraînement pieds nus, comme un hippie, et à cheval ! Je ne sais pas si toutes ces histoires sont vraies. Elles ont certainement un fond de vérité, mais elles ont dues être exagérées avec le temps ».

« Il voulait tout essayer dans la vie… » - Pedro Romeu

Sa chute sera aussi fulgurante que son ascension. O Maior gagne une petite fortune chaque mois et perd le sens des réalités. Extraverti, capricieux, insolent, rares sont les entraîneurs qui le supportent. Malgré son statut de star il ne jouera que onze fois pour le Portugal. Juca, le sélectionneur de l'époque, n'ayant que peu apprécié d'avoir été traité d'idiot par la starlette, il préfère se passer de lui.

Mieux encore, quand il ne sèche pas les entraînements, il y débarque complètement défoncé. « Même dans les moments d'euphorie, on sentait une certaine incohérence dans ses actes. Je ne dirais pas qu'il manquait de courage… mais il ne voulait pas prendre la responsabilité de vraiment réaliser quelque chose », regrettait son ancien coéquipier du Benfica, Antonio Simoes dans Expresso.

Obnubilé par l'argent, Vitor Baptista en réclame toujours plus à ses dirigeants et exige même une Porsche. Refus sec. Vexé, il se permet de signer au Vitoria Setúbal sans les prévenir et se fait donc virer par le club lisboète en 1978 après sept saisons. C'est le début de la fin.

De plus en plus dépravé, son addiction aux drogues dures - l'héroïne notamment - et une hépatite C l'empêchent de retrouver son niveau. Toujours persuadé d'être le plus grand, il erre de club en club au Portugal et fait même une pige aux USA en 1980 - au San José Earthquakes où il côtoiera George Best - jusqu'à finir dans des clubs amateurs, incapables de lui fournir un salaire décent. Il retrouve alors ses réflexes d'antan et multiplie les petits braquages : un autoradio dans une voiture, un magasin de chaussures, un salon de coiffure… Ce qui lui vaudra plusieurs condamnations, une mort précoce et une fin de carrière dans l'anonymat le plus total.