A la rencontre des fans clubs du FC Sankt Pauli du monde entier
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A la rencontre des fans clubs du FC Sankt Pauli du monde entier

Ces dernières années, le club de seconde division allemande s'est découvert des fans partout, d'Athènes à New York en passant par Glasgow.

Pour les non-initiés, il y a quelque chose de surréaliste à voir un club de supporters de St. Pauli basé dans le Yorkshire. Pour les habitants de Leeds en revanche, le Yorkshire St. Pauli fait presque partie des meubles. Né en 2011 de cette affinité entre le peuple de cette ville du nord de l'Angleterre et les racines gauchistes de ce club de foot d'un quartier de Hambourg, qui évolue actuellement en deuxième division allemande, le groupe de supporters a bien grandi depuis sa fondation, à tel point qu'il est aujourd'hui devenu incontournable ou presque dans la vie de la cité.

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A Leeds, les fans du St. Pauli s'investissent dans les associations locales, ils se réunissent pour regarder les matches de leurs protégés au siège de la coopérative du port de la ville, sans parler de leur investissement auprès des réfugiés, avec qui ils organisent des matches de foot qui se disputent dans le centre de la ville. Bien que Sankt Pauli reste évidemment une passion de niche dans le paysage footballistique de Leeds, les fans participent grandement à la vie sociale, sportive et politique de la ville. A leur manière, peut-être modeste, mais chargée de symboles.

Le fan club Yorkshire St. Pauli est le mieux structuré et le plus développé de ces groupes implantés hors d'Allemagne. Mais il est loin d'être le seul à perpétuer à l'étranger l'esprit frondeur et militant cultivé aux abords et dans les travées du Millernor-Stadion, l'enceinte qui accueille les matches de St. Pauli. Le St. Pauli Yorkshire club sert bien souvent de référence aux nombreux groupes qui se sont développés de par le monde, parfois dans des endroits qui n'ont absolument rien à voir avec l'histoire ou l'organisation sociale d'une ville comme Hambourg.

D'une manière générale, il semble y avoir une constante parmi tous les fans clubs du Sankt Pauli qui ont fleuri aux quatre coins de la planète. D'un côté, ces organisations sont avant tout un espace de sociabilité, un moyen de boire des coups devant les matches de la deuxième division allemande. De l'autre, ce sont aussi des regroupements éminemment politiques, qui permettent de mutualiser les énergies et de s'engager dans des causes communes. Rien de surprenant tant cette deuxième caractéristique est profondément ancrée dans l'ADN du club : ses supporters ont activement participé au mouvement "Refugees are welcome" qui a essaimé en Allemagne au moment où Merkel a choisi de privilégier une politique d'accueil. Mieux, le club lui-même était impliqué dans cette cause, et dans bien d'autres. La légende voudrait même que le club ait acheté un jeu de fléchettes à l'effigie de Donald Trump. Et que tout le monde au club aime bien tenter de planter une ou deux banderilles dans sa face.

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Qu'ils soient actifs politiquement ou non, les clubs de supporters étrangers de St. Pauli permettent aux passionnés de foot qui aspirent à un autre modèle économique, social et politique pour ce sport, de rêver à un changement. Parmi les ambitions souvent affichées par ces clubs de soutien, nombreux sont les supporters qui veulent s'investir dans un football plus alternatif, éloigné des sirènes du foot business. Dans la plupart des villes dotées d'un club de foot, il y a toujours des supporters prêts à s'engager pour des raisons personnelles voire philosophiques. Le St. Pauli leur offre une opportunité de se fédérer autour de l'étendard tête de mort de leur club favori.

EPA Images/Fabian Bimmer

Une petite discussion avec Gary, membre du Glasgow St. Pauli, permet d'en apprendre plus sur le sujet : il sait mieux que personne combien certains supporters veulent une alternative à leur club actuel et à la culture footballistique dominante. « Dans notre club de supporters, il y a beaucoup de fans du Celtic », observe Gary. Rien d'étonnant à cela au vu des convergences politiques entre les deux clubs, tous les deux marqués à gauche. Gary et les siens tentent néanmoins de dépasser les divisions traditionnelles opérées par le foot à Glasgow entre Rangers et Celtic, tout en attirant de nouveaux fans venus de toute l'Ecosse. « On a des membres d'Aberdeen, d'autres coins du pays, mais on aimerait que ce soit encore plus le cas, ajoute Gary. Nous essayons de briser ce lien spécifique que les supporters entretiennent avec LE club de leur ville, parce que nous voulons constituer un groupe exclusivement dédié à Sankt Pauli. »

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Bien que le groupe a été fondé seulement l'année dernière, le Glasgow Sankt Pauli s'est développé de manière impressionnante. Plusieurs des membres fondateurs étaient à l'origine des membres du Yorkshire Sankt Pauli. Ils se sont tout simplement dit qu'ils aimeraient pouvoir en faire de même dans leur ville, à Glasgow, où ils collaient des stickers à tous les coins de rue. « Ensuite, tout s'est passé très vite, nous avons beaucoup plus grandi que ce que nous l'avions jamais imaginé », se félicite-t-il. Aujourd'hui, ils sont 26 membres, 26 activistes investis dans diverses associations, qui se font entendre sur les réseaux sociaux où ils multiplient les appels à la mobilisation lors des manifestations et autres marches organisées à Glasgow. En parallèle, ils ont également réuni près de 11 000 euros destinés à financer la protection de l'enfance, l'accueil des réfugiés, l'aide aux SDF ou encore les victimes de violences conjugales.

Image fournie par Glasgow St. Pauli

Voilà qui prouve le potentiel de ces clubs de supporters de St. Pauli installés un peu partout dans le monde, mais aussi à quel point ce club peut pousser les gens à agir dans le bon sens. Quand on lui demande comment des supporters du Celtic en sont venus à s'intéresser à un club de deuxième division allemande, Gary répond avec justesse : « Je pense que la force de ce club, ce n'est pas son rayonnement sportif, mais plutôt sa portée symbolique. Quand les gens ne connaissent pas le club, ils le considèrent avec suspicion, rapport au drapeau tête de mort. Mais quand ils commencent à connaître les valeurs qu'il porte, ils comprennent immédiatement la raison pour laquelle nous avons décidé de nous investir dans le St. Pauli. » Lorsque Gary évoque ses propres motivations, il met en avant ce côté militant : « C'est rien d'autre qu'en engagement politique, cela a très peu à voir avec le foot », conclut-il sans ambages. Et on le croit, quand on sait que Sankt Pauli est actuellement bon dernier de son championnat.

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Si les prises de positions très à gauche du club et le punk de ses supporters lui ont permis de gagner les coeurs en Grande-Bretagne, la popularité de St. Pauli ne s'arrête pas à cette frontière. En Catalogne, en Italie, à Toronto, à Indianapolis, en Argentine et au Brésil, d'autres fans clubs se sont formés, et d'autres naîtront sans doute ailleurs dans les prochains mois. L'un des plus gros groupes de soutien au club est basé à Athènes, ce qui pourrait s'expliquer par la difficile situation socio-économique du pays, mais aussi par les liens qu'entretient St. Pauli avec l'AEK Athènes, un des clubs de la ville. A vrai dire, St. Pauli est si populaire dans la capitale grecque que le club compte non pas un mais deux cercles de soutien, le Club d'Athènes et le South End Scum. Le premier a été créé dès 2007, ce qui en fait un des précurseurs du mouvement, le second a suivi en 2011, prenant racine dans la banlieue sud de la ville.

N'importe qui peut rejoindre ces groupes, du moment qu'il adhère aux principes prônés par Sankt Pauli. Le nouveau venu doit aussi se faire à l'organisation particulière du Club d'Athènes, dont l'un de membres, Vassili, m'explique qu'il n'y a « pas de président, pas de secrétaire » : « Au SPAK (l'acronyme du fan club, ndlr), tous les membres sont égaux. » Pour ces militants, cet engagement est un antidote idéal contre les maux de la société grecque actuelle, mais aussi contre le cancer du foot-business : « Pour nous, c'est une saine alternative au visage dégueu que nous offre le foot moderne. C'est aussi un club qui réunit les gens autour des valeurs anti-fascistes, anti-nazis, anti-sexistes, athées et anarchistes. Nous sommes convaincus que le foot peut être utilisé comme une arme pour un monde meilleur », affirme Vassili.

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A la manière de leurs "cousins" britanniques, les Grecs oeuvrent pour le changement. A leur échelle, dans leur communauté : « Bien sûr que nous ne ratons aucun match de St. Pauli depuis 10 ans, mais notre objectif principal, c'est surtout de porter des projets sociaux, auprès des réfugiés politiques par exemple. Nous avons pour ambition d'être toujours actifs au sein de la société grecque. »

Greg, un membre du South End Scum, reconnaît que son groupe est moins organisé que son voisin. Mais qu'importe, l'affinité ressentie avec le Sankt Pauli reste très forte chez lui. Parce qu'elle dépasse la simple dimension sportive : « La plupart d'entre nous avait complètement abandonné le foot avant de s'attacher à St. Pauli. » Pour lui comme pour beaucoup de ses frères d'armes, la situation du foot moderne n'est rien d'autre que le miroir de la société et de sa décadence, précipitée par la crise financière et les restrictions budgétaires drastiques qui en ont découlé.

Les joueurs de St. Pauli avec de jeunes réfugiés, en 2015 // EPA Images/Daniel Bockwoldt

Dans ce marasme, le St. Pauli tente de sauver ce qu'il peut. L'histoire du FC Lampedusa, uniquement constitué de réfugiés résume bien l'approche du club hambourgeois. A l'arrivée de cette équipe très symbolique en Allemagne, le Sankt Pauli a non seulement décidé de l'accueillir, mais aussi de lui fournir du matériel. Sans compter qu'une équipe de fans du Yorkshire a joué un match amical contre les réfugiés de Lampedusa, remporté par ces derniers.

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S'il y a bien un pays qui a besoin d'offrir plus de compassion aux réfugiés en ce moment, c'est bien les Etats-Unis.Malgré le climat hostile qui règne là-bas, les groupes de St. Pauli, comme celui de New York, sont toujours puissants et actifs. Fondé il y a huit ans par une bande d'Américains dont fait partie Shawn, ce fan club tente de préserver des valeurs défendues 7000 kilomètres plus loin, de l'autre côté de l'Atlantique.

Même fonctionnement ici, raconte Shawn, qui évoque une organisation « sans membres officiels ou une quelconque hiérarchie ». Les sympathisants se réunissent dans un bar de Brooklyn, à Williamsburg, pour regarder les matchs. peu à peu, ils convertissent des aficionados des Cosmos et quelques livreurs à vélo à leur cause. Malgré la structuration plutôt anarchique du groupe, ses membres sont très actifs puisqu'ils organisent des collectes à chaque match pour une association qui conseille juridiquement les migrants.

« Vu le climat politique qui règne actuellement dans le pays, j'imagine que les choses ne vont faire qu'empirer », s'inquiète Shawn. Conséquence, les Sankt Pauli boys sont sur tous les fronts : à la marche des femmes de New York et de Washington par exemple. Les Américains ont besoin d'un discours alternatif pour faire face aux voix fascisantes qui semblent parties pour dominer le paysage politique national, mais aussi de structures pour changer les choses à l'échelle locale. C'est pourquoi St. Pauli NYC rencontre un franc succès : « Finalement, le foot est juste une excuse pour se réunir et sentir un vent nouveau souffler », résume Shawn.

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S'il est indéniable que St. Pauli suscite un grand engouement à l'international, il est plus difficile en revanche de se figurer comment ces fans clubs qui fleurissent un peu partout dans le monde sont perçus parmi les supporters du club à Hambourg-même. Les supporters de la première heure sont partagés entre la satisfaction de voir leurs idées diffusées dans le monde entier et la crainte de voir leur identité devenir un produit commercial. De plus en plus souvent, des fans de foot ne connaissant rien à l'histoire et l'ADN du club achètent le maillot du St. Pauli, sans jamais chercher à en comprendre les valeurs. Ce genre de comportement et de pratique a forcément alimenté un certain ressentiment de la part des supporters originaux.

La meilleure personne pour analyser ces sentiments paradoxaux reste Jenni Wulfhekel, une écrivaine hambourgeoise qui a fait du foot l'un de ses domaines d'étude favori : « Les supporters de St. Pauli à Hambourg sont bien conscients de la problématique soulevée par la popularité nouvelle du club. Le danger, c'est qu'il devienne un mélange des genres entre positionnement politique, identité musicale et culturelle et produit marchand », analyse-t-elle.

EPA Images/Daniel Bockwoldt

Et Jenni de reprendre : « J'ai assisté aux changements de ces dix dernières années et à l'attitude de plus en plus méfiante des 'vrais' fans quand il s'agit de protéger l'image du club. Mais ils veulent surtout la protéger des Hambourgeois eux-mêmes, dont certains, les hommes d'affaires et les hipsters, tentent de s'accaparer le club car ils pensent pouvoir faire de l'argent avec, ou tout simplement, ils le trouvent cool. Moi-même, je suis assez d'accord pour dire que les nouveaux fans ne savent pas exactement en quoi consiste l'héritage du club et ce qu'il signifie. »

La plupart de ces nouveaux sympathisants savent que le club est marqué à gauche avec une sensibilité libertaire, là n'est pas la question. Le problème, c'est que tout le monde semble oublier que dans les années 80, le club était bien plus que cela. A l'époque, la moitié des gens n'avaient même pas de maison où habiter. La plupart des fans étaient des sans-abris, membre de la scène punk locale. Pour résumer, je dirais que le problème n'est pas tant avec les supporters étrangers qu'entre les supporters au sein de la ville.

A la limite, Jenni pense même que les fans étrangers de St. Pauli sont même plus conscients de l'histoire du club. C'est même l'une des raisons qui les poussent à soutenir ces couleurs : « De ce que j'en sais, les étrangers se foutent du niveau sportif du club, ils sont attachés à son histoire, avec une grande compréhension des enjeux politiques. J'ai vu par exemple des fans sud-américains avec le drapeau tête de mort et des badges anarchistes. Et au-delà de ça, la plupart des étrangers qui soutiennent le club sont plus âgés, ils ont entre 50 et 60 ans, ce qui est un signe selon moi qu'ils sont plus attachés à l'identité du club qu'à son côté cool. Ce ne sont pas des fashionistas, comme peuvent l'être certains supporters de Hambourg…"

La plupart des supporters internationaux gratifient Millertnor d'un pèlerinage annuel. Gary, Vassili, Greg et Shawn font partie de ceux-là, et se sentent à chaque fois accueillis chaleureusement par les locaux. Au fil des années et des démonstrations d'hospitalité des supporters du cru dans les bars jouxtant le stade, les connaissances sont devenues affinités, les affinités des amitiés. Aujourd'hui, une communauté internationale se retrouve liée à ce club, à ce stade, à ces valeurs. Et vu la gueule du monde dans lequel on vit, assombri par des idées préconçues et par la peur de l'autre, ça ne peut pas être une mauvaise chose.