Gerd Bonk et le dopage d'Etat en RDA
Bundesarchiv, Bild 183-N0929-0013 / CC-BY-SA 3.0

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Gerd Bonk et le dopage d'Etat en RDA

Dans sa quête de médaille d’or, l'haltérophile est-allemand a pris une énorme quantité de stéroïdes. Il a été la plus grande victime d’un vaste programme de dopage à grande échelle.

Gerd Bonk s'est approché de la barre avec une expression de douleur sur le visage, comme s'il souffrait de quelque chose d'autre que d'une profonde tristesse. C'était son troisième et dernier essai aux Jeux olympiques de 1976 : il devait soulever 235 kilos – soit 17,5 kilos de moins que ce qu'il avait soulevé au Championnat d'Europe trois mois plus tôt, établissant alors le record du monde de la discipline.

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Il s'est ensuite baissé et a attrapé la barre. Dans un mouvement rapide et efficace, il l'a soulevée et a voulu la lever instantanément au-dessus de sa tête. Mais il a commencé à chanceler légèrement et l'a laissée tomber. Pour la première fois, la foule rugissante de Montréal est restée muette quelques instants. Il a levé les deux mains puis a souri. Il n'avait pas réussi à établir un nouveau record du monde et il devait se contenter de la médaille d'argent.

Bonk a été l'un des 22 haltérophiles d'Europe de l'Est à obtenir une médaille lors des Jeux de 1976, disputés à Montréal. Les athlètes des pays de l'OTAN, en revanche, ne sont repartis qu'avec deux médailles. Voir l'homme le plus fort du monde perdre sa médaille d'or a été un drame, mais la défaite de Bonk est devenue plus fascinante avec le temps. Treize ans plus tard, après la chute du mur de Berlin, on a appris qu'il avait consommé une quantité incommensurable de stéroïdes.

« Non seulement il était détenteur du record en haltérophilie, explique Herbert Fischer-Solms, un journaliste allemand qui a passé une grande partie de sa carrière à informer sur le dopage, mais il a aussi été le champion du monde de dopage ».

Dans les années 70, la RDA a lancé un programme de dopage secret appelé Plan 14.25, une vaste conspiration gouvernementale qui a contrôlé la distribution de produits dopants pour environ 10 000 athlètes. Beaucoup ont commencé avant la puberté, et souvent ils n'avaient pas la moindre idée de ce qu'ils prenaient. Le 14.25 demeure le plus grand scandale de l'histoire du sport. Brigitte Berendonk, une experte en dopage venant d'Allemagne de l'Est, en est venue à le baptiser le "Projet Manhattan des sports".

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Si le plan était le Projet Manhattan, Gerd Bonk en a été la bombe atomique. Cet athlète est né en 1951 dans la petite ville de Limbach en Saxe. Il a vécu dans une Allemagne de l'Est post-nazie qui voulait construire un réseau d'académies sportives d'élites pour modeler les jeunes athlètes.

Gerd Bonk en 1975. Photo Bild.

Il est probable que Bonk avait déjà essayé les stéroïdes avant d'intégrer le programme, mais on ne sait pas exactement quand il a commencé à en prendre – Bonk est mort en 2014 et sa veuve a refusé tout commentaire auprès de VICE Sports – . En 1961, Jenapharm, une compagnie pharmaceutique détenue par l'Etat, a fait breveter le Turinabol, un anabolisant très puissant qui accélère la croissance musculaire. On s'est rendu compte plus tard qu'il permettait également aux athlètes de récupérer plus vite.

Le gouvernement d'Allemagne de l'Est est même allé encore plus loin que la majorité des nations lorsqu'il a lancé un programme expérimental pour essayer les hormones masculines sur les femmes. Une de ces athlètes, la lançeuse de poids Margitta Gummel, a gagné l'or au Jeux olympiques de Mexico de 1968. La RDA a gagné 25 médailles au Mexique et a amélioré ce chiffre 4 ans plus tard, en 1972, en gagnant 66 médailles, incluant le bronze de Bonk. L'Union soviétique en a gagné 99 ; les Etats-Unis 94 et la RFA n'en a eu ''que'' 40.

Pour l'Allemagne de l'Est, accumuler autant de médailles a été une victoire politique et sportive. Dans la logique tordue de la Guerre froide, les médailles olympiques n'étaient pas seulement des victoires sur la piste mais aussi des preuves des vertus du système politique d'un pays. Les Jeux olympiques sont devenus le centre de la lutte pour beaucoup de cœurs et d'esprits.

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La RDA dictatoriale voulait contrôler ses sportifs et standardiser leur rendement sportif, c'est pour cela que tout passait par le ministère des Sports et les infrastructures médicales du gouvernement. Bien sûr, lorsque il est devenu évident que les stéroïdes anabolisants amélioraient le rendement sportif, ils ont voulu que tous leurs athlètes en profitent. C'est devenu un secret d'État et la Stasi, la police politique, a fait en sorte que ça ne se sache pas.

Le Plan14.25 est devenu la ligne de conduite politique que tous les programmes athlétiques de la RDA devaient suivre et a imposé la consommation de stéroïdes à des milliers d'enfants. Ni eux, ni leur parents, ne savaient qu'ils en consommaient et avaient encore moins donné leur autorisation.

Ce plan a probablement été une mesure préventive pour éviter les tests antidopage qui ont commencé lors des Jeux de 1976. Ils ont commencé à contrôler quand et avec quelle quantité leurs athlètes pouvaient se doper. La réputation de la nation était en jeu car si plusieurs athlètes de la RDA étaient contrôlés positifs, le monde saurait que la RDA n'était qu'une fraude.

Le grand changement est arrivé en 1990, juste après la réunification de l'Allemagne. Quand le mur de Berlin est tombé en 1990 et avec lui la RDA, « tout a été détruit », raconte Werner Franke, l'ex-président de l'Organisation européenne de biologie cellulaire.

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Lors d'un voyage à l'Académie de médecine militaire, située dans une ville balnéaire entre Berlin et Francfort, Franke a trouvé une montagne de documents liés au dopage de l'Allemagne de l'Est, parmi lesquels figurait même une thèse de doctorat sur comment les stéroïdes peuvent augmenter le rendement sportif. « Dans l'armée rien n'est détruit tant qu'on n'en donne pas l'ordre », explique Franke en souriant.

Parmi les documents, Frank en a trouvé un qui s'intitulait : "L'usage effectif des stéroïdes anabolisants pour améliorer le rendement athlétique dans les épreuves de sauts". L'étude évaluait 191 hommes et 174 femmes pendant une période de sept ans. L'auteur, Hartmut Riedel, a obtenu son doctorat grâce à ce travail.

Riedel est ensuite devenu chef médical de la Fédération d'Athlétisme de la RDA et son étude a fait partie des nombreuses études approuvées et exécutées par le gouvernement ayant pour fin de comprendre les effets que produisent les stéroïdes sur le corps humain.

Un des chercheurs les plus enthousiastes de la RDA fut Hans-Henning Lathan, le médecin de l'équipe nationale d'haltérophilie. Ce docteur est allé encore plus loin en donnant à ses athlètes des doses de Turinabol supérieures à celles recommandées par l'Etat. Il leur a également injecté d'autre drogues et leur a pris des échantillons de sang par surprise. À ce qu'il paraît, il a réussi à avoir un contrôle presque absolu des effets, ce qui lui a permis d'augmenter à chaque fois les doses de stéroïdes. Gerd Bonk était un de ses athlètes.

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Margitta Gummel, une des premières à avoir essayé le programme de dopage en RDA. Photo Bild

En 1976, le gouvernement d'Allemagne de l'Est a fait quelque chose qu'il n'avait jamais fait avant : il a ouvert ses frontières à un groupe choisi de journalistes occidentaux. Parmi eux se trouvait Jerry Kirshenbaum, de Sports Illustrated. Il a écrit La chaîne de montage des champions juste avant les Jeux de Montréal.

Bien que tout a été orchestré par le gouvernement allemand, Kirshenbaum a donné des pistes pour de futures enquêtes et a spéculé que, à Montréal, « ils pourraient gagner entre 30 et 35 médailles d'or ». Il y en a eu 40, quatre de plus que les Etats-Unis et neuf de moins que l'URSS. En 1976, le monde soupçonnait la RDA d'utiliser des stéroïdes, spécialement pour ses athlètes féminines. Les hormones masculines ont eu un effet considérable sur les femmes : à court terme elles leur ont données de plus gros muscles, mais elles ont aussi aggravé leur voix, élargi leurs épaules et augmenté leur pilosité.

Les médecins faisaient référence au Turinabol comme une ''vitamine'', mais le sens commun et l'expérience nous dit que, même si les plus jeunes ne savaient pas qu'ils se dopaient, beaucoup des athlètes majeurs devaient se douter de quelque chose car leur rendement ne cessait de s'améliorer. Ce que Bonk savait ou pas de sa 'thérapie', nous ne le saurons cependant jamais.

La question est de savoir si les athlètes – même ceux qui savaient qu'ils trichaient – ont été informés adéquatement sur les effets secondaires. Les médecins ont assuré que tout était sûr et les athlètes leur ont fait confiance, mais la réalité c'est que s'ils n'acceptaient de se doper, ils étaient virés de l'équipe olympique et arrêtés par la Stasi.

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« Gerd Bonk était un homme simple, détaille Fischer-Solms. Pas dans un sens négatif, plus dans le sens où il venait d'un petit village et que, pour lui, arriver aussi loin dans le sport était un rêve. Son médecin à Chemnitz lui a dit qu'il devait prendre des stéroïdes sans quoi il ne serait jamais personne dans le monde l'haltérophilie ».

Après que les test anti-dopages sont devenus obligatoires, les Allemands de l'Est ont fait très attention au dopage de leurs athlètes. Mais malgré la réduction des doses, Bonk a été testé positif avant les Jeux de Moscou de 1980 et le ministère du Sport de la RDA l'a retiré de la compétition.

Ses reins ont très vite commencé à lâcher à cause de l'abus de stéroïdes anabolisants et de son diabète – dont il ignorait l'existence jusqu'à ce qu'il soit disqualifié à cause de son test – l'ancien champion a fini en fauteuil roulant en 1984.

Les effets du Turinabol à long terme sont spécialement prononcés chez les femmes. En 2016, le Bureau allemand pour l'aide à la victime du dopage a réalisé une enquête sur 140 de ses athlètes. 9% des interrogées avaient un cancer du sein, 55% avaient souffert de maladies gynécologiques et 14% d'entre elles avaient souffert d'avortements involontaires.

Lors du procès contre les médecins et entraîneurs de la RDA – connu sous le nom de Berliner Dopingprozess – un vieux médecin a dit que « pendant l'Allemagne nazie, on faisait ce qu'on nous disait de faire, le système de dopage de la RDA n'était pas plus différent. On suivait les ordres sans questionner le système, on faisait simplement notre travail ».

Le Dopingprozess a seulement condamné le médecin chef de la RDA, Manfred Hoeppner, ainsi que le ministre des Sports, Manfred Ewald. La majorité des fonctionnaires sportifs de la RDA ont été absous parce que lorsqu'ils donnaient les pastilles aux enfants, ils ne connaissaient pas les effets secondaires.

Le 29 septembre 2014, bonk a succombé à son diabète et est tombé dans le coma. Il est mort de 20 octobre de la même année à 63 ans. Personne d'associé à l'athlétisme allemand n'a assisté à ses funérailles.

Il a été deux fois l'homme le plus fort du monde, un héros national et le symbole de la fausse force de son pays, mais Gerd Bonk est mort, comme lui-même l'a dit « crâmé par la RDA et oublié de l'Allemagne réunifiée ».